La"cupping therapy" est la dĂ©signation anglo-saxonne. En France, on parle plus volontiers de MĂ©decine des Ventouses©. Il est en fait question d'appliquer des ventouses sur le corps, sur des points prĂ©cis, pour venir Ă  bout d'un mal ou booster son corps. MĂȘlant Ă  la fois les connaissances en mĂ©decine chinoise, acupuncture, ostĂ©opathie
La hijama est une mĂ©thode thĂ©rapeutique trĂšs utilisĂ©e dans la mĂ©decine prophĂ©tique et permettant de soigner de nombreux maux et amĂ©liorer la circulation sanguine dans le corps. La hijama dĂ©finition et mode opĂ©ratoire AutorisĂ©e par la Sunna, la Hijama, du mot hijm absorber, extraire est une mĂ©thode d’extraction du sang de la surface de l’épiderme Ă  l’aide de ventouses. Elle est connue aussi sous les noms de l’incisiothĂ©rapie ou cupping therapy. Elle consiste Ă  effectuer des petites incisions superficielles sur une partie bien prĂ©cise, Ă  y placer une ventouse, et Ă  l’aide d’un appareil on en sortira l’air, afin de crĂ©er un vide, qui permettra au sang de sortir plus facilement. On peut placer plusieurs ventouses. L’endroit prĂ©cis dĂ©pend des maux que l’on dĂ©sire soigner. On rĂ©cupĂšre ainsi le sang, Ă  l’aspect plus ou moins noirĂątre et Ă©pais. Ce remĂšde faisant partie de la Sunna est reconnu par l’OMS depuis 2004 comme une mĂ©decine qui soigne. Elle est Ă©galement une mĂ©decine ancestrale pratiquĂ©e en Egypte mais aussi une mĂ©decine traditionnelle reconnue par les chinois. Qui ne doit pas faire la hijama ? La hijama ne doit pas ĂȘtre appliquĂ©e sur certaines personnes femmes enceintes, les jeunes enfants, les personnes faibles, les personnes sous anticoagulants. Elle peut ĂȘtre prĂ©ventive, ou bien effectuĂ©e en cas de nĂ©cessitĂ© douleurs, maux. Elle peut ĂȘtre rĂ©alisĂ©e Ă  sec sans les petites incisions superficielles ou non. Les nombreuses vertus de la Hijama De nombreux hadiths authentiques rapportent la recommandation de faire la hijama en islam, en raison de ses bienfaits sur notre corps. Ainsi, Anas Ibn Malik rapporte que le Messager de Dieu salallahou alayi wa sallam a dit Pendant mon Voyage nocturne, je ne suis pas passĂ© devant un groupe d’Anges sans qu’ils me disent Ô Muhammad ! Ordonne Ă  ta communautĂ© de pratiquer Al-Hijama ». Sahih Al-Jamii’ Ibn Abbas rapport que “Le ProphĂšte salallahou alayi wa sallam se fit faire une Hijama et il paya celui qui la lui pratiqua “. Boukhari et Mouslim Ce hadith ajoute qu’il est licite de rĂ©munĂ©rer la personne la pratiquant. Les bienfaits de la hijama sont nombreux elle stimule l’immunitĂ©, et permet un effet d’épuration du sang. Une Ă©tude d’un professeur Cantel UniversitĂ© de Chicago a dĂ©montrĂ© que le taux d’interfĂ©ron aprĂšs une hijama est multipliĂ© par dix, augmentant ainsi l’immunitĂ©. Elle est Ă©galement un remĂšde contre l’affaiblissement de la mĂ©moire, les migraines. Ainsi, le ProphĂšte pratiqua la Hijama sur son crĂąne alors qu’il Ă©tait en Ă©tat de sacralisation, en raison d’une migraine. Jabir rapporte que le ProphĂšte salallahou alayi wa sallam pratiqua Al Hijama sur sa hanche, en raison d’une douleur ». sahih Abou Dawoud Selon Ibn Qayiim, dans son ouvrage La mĂ©decine ProphĂ©tique, la hijama, sur la veine jugulaire postĂ©rieure Al-Kahil, situĂ©e Ă  la base de la nuque entre les Ă©paules est utile aux douleurs du bras et de la gorge. Ainsi, les ventouses de la hijama sont souvent positionnĂ©es en fonction de la localisation du mal. Contrairement Ă  ce que l’on peut croire, cette pratique n’est pas un remĂšde en soi contre la sorcellerie mais plutĂŽt reconnu par la Sunna. Le ProphĂšte salallahou alayi wa sallam l’avait pratiquĂ©, aprĂšs son ensorcellement, lorsqu’il avait des douleurs mais ignorant qu’il Ă©tait ensorcelĂ©. Lorsque Allah azawajjal l’inspira en l’informant qu’il s’agissait d’un ensorcellement, le ProphĂšte salallahou alayi wa salam recourut Ă  la roqyia. Conditions et moments de sa pratique La hijama, en cas d’urgence, est bĂ©nĂ©fique Ă  tout moment. Mais si elle est de caractĂšre prĂ©ventif, des moments prĂ©cis de sa pratique sont recommandĂ©s. Il est conseillĂ© Ă©galement de la faire Ă  jeun. La hijama Ă  jeun est meilleure, et elle augmente la raison, la mĂ©moire et facilite l’apprentissage . sahih sounan ibn Maja Quand ne pas faire la Hijama ? On a posĂ© la question au Imam Malik concernant la hijama le samedi et le mercredi, il rĂ©pondit “Ce n’est dĂ©conseillĂ© et il n’y a pas de jour [de la semaine] oĂč je ne me suis pas fait une hijama, je ne dĂ©conseille aucunement cela” ConfĂšre L’explication du El-Mouata’ 7/225 . Elle rompt cependant le jeĂ»ne Celui qui applique Al Hijama et celui qui se la fait appliquer ont tous deux rompu le jeĂ»ne ». At-Tirmidhi Retrouvezici le meilleur de nos Ă©missions santĂ© Ă  la tĂ©lĂ©vision comme le Magazine de la SantĂ© ou EnquĂȘte de SantĂ© produits par 17 Juin Life pour France 5. Retrouvez aussi les Ă©missions de notre rĂ©daction numĂ©rique au format mobile comme Raconte!, 3 OU Lettres recueillies dans une société et publiées pour l'instruction de quelques autres. " J'ai vu les mÅ“urs de mon temps et j'ai publié ces lettres. " J. J. ROUSSEAU. Préface de La Nouvelle Héloïse TABLE DES MATIERES AVERTISSEMENT DE L'EDITEUR Nous croyons devoir prévenir le Public, que, malgré le titre de cet Ouvrage et ce qu'en dit le Rédacteur dans sa Préface, nous ne garantissons pas l'authenticité de ce Recueil, et que nous avons mÃÂȘme de fortes raisons de penser que ce n'est qu'un Roman. Il nous semble de plus que l'Auteur, qui paraÃt pourtant avoir cherché la vraisemblance, l'a détruite lui-mÃÂȘme et bien maladroitement, par l'époque oÃÂč il a placé les événements qu'il publie. En effet, plusieurs des personnages qu'il met en scÚne ont de si mauvaises mÅ“urs, qu'il est impossible de supposer qu'ils aient vécu dans notre siÚcle; dans ce siÚcle de philosophie, oÃÂč les lumiÚres, répandues de toutes parts, ont rendu, comme chacun sait, tous les hommes si honnÃÂȘtes et toutes les femmes si modestes et si réservées. Notre avis est donc que si les aventures rapportées dans cet Ouvrage ont un fond de vérité, elles n'ont pu arriver que dans d'autres lieux ou dans d'autres temps; et nous blùmons beaucoup l'Auteur, qui, séduit apparemment par l'espoir d'intéresser davantage en se rapprochant plus de son siÚcle et de son pays, a osé faire paraÃtre sous notre costume et avec nos usages, des mÅ“urs qui nous sont si étrangÚres. Pour préserver au moins, autant qu'il est en nous, le Lecteur trop crédule de toute surprise à ce sujet, nous appuierons notre opinion d'un raisonnement que nous lui proposons avec confiance, parce qu'il nous paraÃt victorieux et sans réplique; c'est que sans doute les mÃÂȘmes causes ne manqueraient pas de produire les mÃÂȘmes effets, et que cependant nous ne voyons point aujourd'hui de Demoiselle, avec soixante mille livres de rente, se faire Religieuse, ni de Présidente, jeune et jolie, mourir de chagrin. PREFACE DU REDACTEUR. Cet Ouvrage, ou plutÎt ce Recueil, que le Public trouvera peut-ÃÂȘtre encore trop volumineux, ne contient pourtant que le plus petit nombre des Lettres qui composaient la totalité de la correspondance dont il est extrait. Chargé de la mettre en ordre par les personnes à qui elle était parvenue, et que je savais dans l'intention de la publier, je n'ai demandé, pour prix de mes soins, que la permission d'élaguer tout ce qui me paraÃtrait inutile; et j'ai tùché de ne conserver en effet que les Lettres qui m'ont paru nécessaires, soit à l'intelligence des événements, soit au développement des caractÚres. Si l'on ajoute à ce léger travail, celui de replacer par ordre les Lettres que j'ai laissées subsister, ordre pour lequel j'ai mÃÂȘme presque toujours suivi celui des dates, et enfin quelques notes courtes et rares, et qui, pour la plupart, n'ont d'autre objet que d'indiquer la source de quelques citations, ou de motiver quelques- uns des retranchements que je me suis permis, on saura toute la part que j'ai eue à cet Ouvrage. Ma mission ne s'étendait pas plus loin. [Je dois prévenir aussi que j'ai supprimé ou changé tous les noms des personnes dont il est question dans ces Lettres; et que si dans le nombre de ceux que je leur ai substitués, il s'en trouvait qui appartinssent à quelqu'un, ce serait seulement une erreur de ma part et dont il ne faudrait tirer aucune conséquence.] J'avais proposé des changements plus considérables, et presque tous relatifs à la pureté de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J'aurais désiré aussi ÃÂȘtre autorisé à couper quelques Lettres trop longues, et dont plusieurs traitent séparément, et presque sans transition, d'objets tout à fait étrangers l'un à l'autre. Ce travail, qui n'a pas été accepté, n'aurait pas suffi sans doute pour donner du mérite à l'Ouvrage, mais en aurait au moins Îté une partie des défauts. On m'a objecté que c'étaient les Lettres mÃÂȘmes qu'on voulait faire connaÃtre, et non pas seulement un Ouvrage fait d'aprÚs ces Lettres; qu'il serait autant contre la vraisemblance que contre la vérité, que de huit à dix personnes qui ont concouru à cette correspondance, toutes eussent écrit avec une égale pureté. Et sur ce que j'ai représenté que, loin de là , il n'y en avait au contraire aucune qui n'eût fait des fautes graves, et qu'on ne manquerait pas de critiquer, on m'a répondu que tout Lecteur raisonnable s'attendrait sûrement à trouver des fautes dans un Recueil de Lettres de quelques Particuliers, puisque dans tous ceux publiés jusqu'ici de différents Auteurs estimés, et mÃÂȘme de quelques Académiciens, on n'en trouvait aucun totalement à l'abri de ce reproche. Ces raisons ne m'ont pas persuadé, et je les ai trouvées, comme je les trouve encore, plus faciles à donner qu'à recevoir; mais je n'étais pas le maÃtre, et je me suis soumis. Seulement je me suis réservé de protester contre, et de déclarer que ce n'était pas mon avis; ce que je fais en ce moment. Quant au mérite que cet Ouvrage peut avoir, peut-ÃÂȘtre ne m'appartient-il pas de m'en expliquer, mon opinion ne devant ni ne pouvant influer sur celle de personne. Cependant ceux qui, avant de commencer une lecture, sont bien aises de savoir à peu prÚs sur quoi compter; ceux-là , dis-je, peuvent continuer les autres feront mieux de passer tout de suite à l'Ouvrage mÃÂȘme; ils en savent assez. Ce que je puis dire d'abord, c'est que si mon avis a été, comme j'en conviens, de faire paraÃtre ces Lettres, je suis pourtant bien loin d'en espérer le succÚs et qu'on ne prenne pas cette sincérité de ma part pour la modestie jouée d'un Auteur; car je déclare avec la mÃÂȘme franchise, que si ce Recueil ne m'avait pas paru digne d'ÃÂȘtre offert au Public, je ne m'en serais pas occupé. Tùchons de concilier cette apparente contradiction. Le mérite d'un Ouvrage se compose de son utilité ou de son agrément, et mÃÂȘme de tous deux, quand il en est susceptible mais le succÚs, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient souvent davantage au choix du sujet qu'à son exécution, à l'ensemble des objets qu'il présente, qu'à la maniÚre dont ils sont traités. Or ce Recueil contenant, comme son titre l'annonce, les Lettres de toute une société, il y rÚgne une diversité d'intérÃÂȘt qui affaiblit celui du Lecteur. De plus, presque tous les sentiments qu'on y exprime, étant feints ou dissimulés, ne peuvent mÃÂȘme exciter qu'un intérÃÂȘt de curiosité toujours bien au-dessous de celui de sentiment, qui, surtout, porte moins à l'indulgence, et laisse d'autant plus apercevoir les fautes qui s'y trouvent dans les détails, que ceux-ci s'opposent sans cesse au seul désir qu'on veuille satisfaire. Ces défauts sont peut-ÃÂȘtre rachetés, en partie, par une qualité qui tient de mÃÂȘme à la nature de l'Ouvrage c'est la variété des styles; mérite qu'un Auteur atteint difficilement, mais qui se présentait ici de lui-mÃÂȘme, et qui sauve au moins l'ennui de l'uniformité. Plusieurs personnes pourront compter encore pour quelque chose un assez grand nombre d'observations, ou nouvelles, ou peu connues, et qui se trouvent éparses dans ces Lettres. C'est aussi là , je crois, tout ce qu'on y peut espérer d'agréments, en les jugeant mÃÂȘme avec la plus grande faveur. L'utilité de l'Ouvrage, qui peut-ÃÂȘtre sera encore plus contestée, me paraÃt pourtant plus facile à établir. Il me semble au moins que c'est rendre un service aux mÅ“urs, que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces Lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la preuve et l'exemple de deux vérités importantes qu'on pourrait croire méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées l'une, que toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mÅ“urs, finit par en devenir la victime; l'autre, que toute mÚre est au moins imprudente, qui souffre qu'un autre qu'elle ait la confiance de sa fille. Les jeunes gens de l'un et de l'autre sexe pourraient encore y apprendre que l'amitié que les personnes de mauvaises mÅ“urs paraissent leur accorder si facilement n'est jamais qu'un piÚge dangereux, et aussi fatal à leur bonheur qu'à leur vertu. Cependant l'abus, toujours si prÚs du bien, me paraÃt ici trop à craindre; et, loin de conseiller cette lecture à la jeunesse, il me paraÃt trÚs important d'éloigner d'elle toutes celles de ce genre. L'époque oÃÂč celle-ci peut cesser d'ÃÂȘtre dangereuse et devenir utile me paraÃt avoir été trÚs bien saisie, pour son sexe, par une bonne mÚre qui non seulement a de l'esprit, mais qui a du bon esprit. " Je croirais " , me disait-elle, aprÚs avoir lu le manuscrit de cette Correspondance, " rendre un vrai service à ma fille, en lui donnant ce Livre le jour de son mariage. " Si toutes les mÚres de famille en pensent ainsi, je me féliciterai éternellement de l'avoir publié. Mais, en partant encore de cette supposition favorable, il me semble toujours que ce Recueil doit plaire à peu de monde. Les hommes et les femmes dépravés auront intérÃÂȘt à décrier un Ouvrage qui peut leur nuire; et comme ils ne manquent pas d'adresse, peut-ÃÂȘtre auront-ils celle de mettre dans leur parti les Rigoristes, alarmés par le tableau des mauvaises mÅ“urs qu'on n'a pas craint de présenter. Les prétendus esprits forts ne s'intéresseront point à une femme dévote, que par cela mÃÂȘme ils regarderont comme une femmelette, tandis que les dévots se fùcheront de voir succomber la vertu, et se plaindront que la Religion se montre avec trop peu de puissance. D'un autre cÎté, les personnes d'un goût délicat seront dégoûtées par le style trop simple et trop fautif de plusieurs de ces Lettres, tandis que le commun des Lecteurs, séduit par l'idée que tout ce qui est imprimé est le fruit d'un travail, croira voir dans quelques autres la maniÚre peinée d'un Auteur qui se montre derriÚre le personnage qu'il fait parler. Enfin, on dira peut-ÃÂȘtre assez généralement, que chaque chose ne vaut qu'à sa place; et que si d'ordinaire le style trop chùtié des Auteurs Îte en effet de la grùce aux Lettres de société, les négligences de celles-ci deviennent de véritables fautes, et les rendent insupportables, quand on les livre à l'impression. J'avoue avec sincérité que tous ces reproches peuvent ÃÂȘtre fondés je crois aussi qu'il me serait possible d'y répondre, et mÃÂȘme sans excéder la longueur d'une Préface. Mais on doit sentir que pour qu'il fût nécessaire de répondre à tout, il faudrait que l'Ouvrage ne pût répondre à rien; et que si j'en avais jugé ainsi, j'aurais supprimé à la fois la Préface et le Livre. PREMIERE PARTIE LETTRE PREMIERE CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY. AUX URSULINES DE ... Tu vois, ma bonne amie, que je tiens parole, et que les bonnets et les pompons ne prennent pas tout mon temps; il m'en restera toujours pour toi. J'ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans que nous avons passés ensemble; et je crois que la superbe Tanville [Pensionnaire du mÃÂȘme Couvent] aura plus de chagrin à ma premiÚre visite, oÃÂč je compte bien la demander, qu'elle n'a cru nous en faire toutes les fois qu'elle est venue nous voir in fiocchi . Maman m'a consultée sur tout; elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. J'ai une Femme de chambre à moi; j'ai une chambre et un cabinet dont je dispose, et je t'écris à un Secrétaire trÚs joli, dont on m'a remis la clef, et oÃÂč je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m'a dit que je la verrais tous les jours à son lever; qu'il suffisait que je fusse coiffée pour dÃner, parce que nous serions toujours seules, et qu'alors elle me dirait chaque jour l'heure oÃÂč je devrais l'aller joindre l'aprÚs-midi. Le reste du temps est à ma disposition, et j'ai ma harpe, mon dessin et des livres comme au Couvent; si ce n'est que la MÚre Perpétue n'est pas là pour me gronder, et qu'il ne tiendrait qu'à moi d'ÃÂȘtre toujours à rien faire mais comme je n'ai pas ma Sophie pour causer et pour rire, j'aime autant m'occuper. Il n'est pas encore cinq heures; je ne dois aller retrouver Maman qu'à sept voilà bien du temps, si j'avais quelque chose à te dire! Mais on ne m'a encore parlé de rien; et sans les apprÃÂȘts que je vois faire, et la quantité d'OuvriÚres qui viennent toutes pour moi, je croirais qu'on ne songe pas à me marier, et que c'est un radotage de plus de la bonne Joséphine [TouriÚre du Couvent]. Cependant Maman m'a dit si souvent qu'une Demoiselle devait rester au Couvent jusqu'à ce qu'elle se mariùt, que puisqu'elle m'en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison. Il vient d'arrÃÂȘter un carrosse à la porte, et Maman me fait dire de passer chez elle tout de suite. Si c'était le Monsieur? Je ne suis pas habillée, la main me tremble et le cÅ“ur me bat. J'ai demandé à la Femme de chambre, si elle savait qui était chez ma mÚre " Vraiment, m'a-t-elle dit, c'est M. C**. " Et elle riait. Oh! je crois que c'est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu'à un petit moment. Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile! Oh! j'ai été bien honteuse! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez Maman, j'ai vu un Monsieur en noir, debout auprÚs d'elle. Je l'ai salué du mieux que j'ai pu, et suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l'examinais! " Madame " , a-t-il dit à ma mÚre, en me saluant, " voilà une charmante Demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. " A ce propos si positif, il m'a pris un tremblement tel, que je ne pouvais me soutenir; j'ai trouvé un fauteuil, et je m'y suis assise, bien rouge et bien déconcertée. J'y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tÃÂȘte; j'étais, comme a dit Maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant, ... tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d'un éclat de rire, en me disant " Eh bien! qu'avez-vous? Asseyez-vous et donnez votre pied à Monsieur. " En effet, ma chÚre amie, le Monsieur était un Cordonnier. Je ne peux te rendre combien j'ai été honteuse par bonheur il n'y avait que Maman. Je crois que, quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce Cordonnier-là . Conviens que nous voilà bien savantes! Adieu. Il est prÚs de six heures, et ma Femme de chambre dit qu'il faut que je m'habille. Adieu, ma chÚre Sophie; je t'aime comme si j'étais encore au Couvent. Je ne sais par qui envoyer ma Lettre ainsi j'attendrai que Joséphine vienne. Paris, ce 3 août 17** LETTRE II LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT AU CHATEAU DE ... Revenez, mon cher Vicomte, revenez que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substitués? Partez sur-le- champ; j'ai besoin de vous. Il m'est venu une excellente idée, et je veux bien vous en confier l'exécution. Ce peu de mots devrait suffire; et, trop honoré de mon choix, vous devriez venir, avec empressement, prendre mes ordres à genoux mais vous abusez de mes bontés, mÃÂȘme depuis que vous n'en usez plus; et dans l'alternative d'une haine éternelle ou d'une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bonté l'emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets mais jurez-moi qu'en fidÚle Chevalier vous ne courrez aucune aventure que vous n'ayez mis celle-ci à fin. Elle est digne d'un Héros vous servirez l'Amour et la vengeance; ce sera enfin une rouerie [Ces mots roué et rouerie , dont heureusement la bonne compagnie commence à se défaire, étaient fort en usage à l'époque oÃÂč ces Lettres ont été écrites] de plus à mettre dans vos Mémoires oui, dans vos Mémoires, car je veux qu'ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m'occupe. Madame de Volanges marie sa fille c'est encore un secret; mais elle m'en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu'elle ait choisi pour gendre? Le Comte de Gercourt. Qui m'aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt? J'en suis dans une fureur! Eh bien! vous ne devinez pas encore? oh! l'esprit lourd! Lui avez-vous donc pardonné l'aventure de l'Intendante? Et moi, n'ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous ÃÂȘtes? [Pour entendre ce passage, il faut savoir que le Comte de Gercourt avait quitté la Marquise de Merteuil pour l'Intendante de ***, qui lui avait sacrifié le Vicomte de Valmont, et que c'est alors que la Marquise et le Vicomte s'attachÚrent l'un à l'autre. Comme cette aventure est fort antérieure aux événements dont il est question dans ces Lettres, on a cru devoir en supprimer toute la Correspondance.] Mais je m'apaise, et l'espoir de me venger rassérÚne mon ùme. Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l'importance que met Gercourt à la femme qu'il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu'il évitera le sort inévitable. Vous connaissez sa ridicule prévention pour les éducations cloÃtrées, et son préjugé, plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgré les soixante mille livres de rente de la petite Volanges, il n'aurait jamais fait ce mariage, si elle eût été brune, ou si elle n'eût pas été au Couvent. Prouvons-lui donc qu'il n'est qu'un sot il le sera sans doute un jour; ce n'est pas là ce qui m'embarrasse mais le plaisant serait qu'il débutùt par là . Comme nous nous amuserions le lendemain en l'entendant se vanter! car il se vantera; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris. Au reste, l'Héroïne de ce nouveau Roman mérite tous vos soins elle est vraiment jolie; cela n'a que quinze ans, c'est le bouton de rose; gauche, à la vérité, comme on ne l'est point, et nullement maniérée mais, vous autres hommes, vous ne craignez pas cela; de plus, un certain regard langoureux qui promet beaucoup en vérité ajoutez-y que je vous la recommande; vous n'avez plus qu'à me remercier et m'obéir. Vous recevrez cette Lettre demain matin. J'exige que demain à sept heures du soir, vous soyez chez moi. Je ne recevrai personne qu'à huit, pas mÃÂȘme le régnant Chevalier; il n'a pas assez de tÃÂȘte pour une aussi grande affaire. Vous voyez que l'Amour ne m'aveugle pas. A huit heures je vous rendrai votre liberté, et vous reviendrez à dix souper avec le bel objet; car la mÚre et la fille souperont chez moi. Adieu, il est midi passé bientÎt je ne m'occuperai plus de vous. Paris, ce 4 août 17** LETTRE III CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne sais encore rien, ma bonne amie. Maman avait hier beaucoup de monde à souper. Malgré l'intérÃÂȘt que j'avais à examiner, les hommes surtout, je me suis fort ennuyée. Hommes et femmes, tout le monde m'a beaucoup regardée, et puis on se parlait à l'oreille; et je voyais bien qu'on parlait de moi cela me faisait rougir; je ne pouvais m'en empÃÂȘcher. Je l'aurais bien voulu, car j'ai remarqué que quand on regardait les autres femmes, elles ne rougissaient pas; ou bien c'est le rouge qu'elles mettent, qui empÃÂȘche de voir celui que l'embarras leur cause; car il doit ÃÂȘtre bien difficile de ne pas rougir quand un homme vous regarde fixement. Ce qui m'inquiétait le plus était de ne pas savoir ce qu'on pensait sur mon compte. Je crois avoir entendu pourtant deux ou trois fois le mot de jolie mais j'ai entendu bien distinctement celui de gauche ; et il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mÚre; elle paraÃt mÃÂȘme avoir pris tout de suite de l'amitié pour moi. C'est la seule personne qui m'ait un peu parlé dans la soirée. Nous souperons demain chez elle. J'ai encore entendu, aprÚs souper, un homme que je suis sûre qui parlait de moi, et qui disait à un autre " Il faut laisser mûrir cela, nous verrons cet hiver. " C'est peut-ÃÂȘtre celui-là qui doit m'épouser; mais alors ce ne serait donc que dans quatre mois! Je voudrais bien savoir ce qui en est. Voilà Joséphine, et elle me dit qu'elle est pressée. Je veux pourtant te raconter encore une de mes gaucheries . Oh! je crois que cette dame a raison! AprÚs le souper on s'est mis à jouer. Je me suis placée auprÚs de Maman; je ne sais pas comment cela s'est fait, mais je me suis endormie presque tout de suite. Un grand éclat de rire m'a réveillée. Je ne sais si l'on riait de moi, mais je le crois. Maman m'a permis de me retirer et elle m'a fait grand plaisir. Figure- toi qu'il était onze heures passées. Adieu, ma chÚre Sophie; aime toujours bien ta Cécile. Je t'assure que le monde n'est pas aussi amusant que nous l'imaginions. Paris, ce 4 août l7**. LETTRE IV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A PARIS Vos ordres sont charmants; votre façon de les donner est plus aimable encore; vous feriez chérir le despotisme. Ce n'est pas la premiÚre fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus ÃÂȘtre votre esclave; et tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps oÃÂč vous m'honoriez de noms plus doux. Souvent mÃÂȘme je désire de les mériter de nouveau, et de finir par donner, avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intérÃÂȘts nous appellent; conquérir est notre destin; il faut le suivre peut-ÃÂȘtre au bout de la carriÚre nous rencontrerons- nous encore; car, soit dit sans vous fùcher, ma trÚs belle Marquise, vous me suivez au moins d'un pas égal; et depuis que, nous séparant pour le bonheur du monde, nous prÃÂȘchons la foi chacun de notre cÎté, il me semble que dans cette mission d'amour, vous avez fait plus de prosélytes que moi. Je connais votre zÚle, votre ardente ferveur; et si ce Dieu-là nous jugeait sur nos Å’uvres, vous seriez un jour la Patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un Saint de village. Ce langage vous étonne, n'est-il pas vrai? Mais depuis huit jours, je n'en entends, je n'en parle pas d'autre; et c'est pour m'y perfectionner, que je me vois forcé de vous désobéir. Ne vous fùchez pas et écoutez-moi. Dépositaire de tous les secrets de mon cÅ“ur, je vais vous confier le plus grand projet que j'aie jamais formé. Que me proposez-vous? de séduire une jeune fille qui n'a rien vu, ne connaÃt rien; qui, pour ainsi dire, me serait livrée sans défense; qu'un premier hommage ne manquera pas d'enivrer et que la curiosité mÚnera peut-ÃÂȘtre plus vite que l'Amour. Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n'en est pas ainsi de l'entreprise qui m'occupe; son succÚs m'assure autant de gloire que de plaisir l'Amour qui prépare ma couronne hésite lui-mÃÂȘme entre le myrte et le laurier, ou plutÎt il les réunira pour honorer mon triomphe. Vous-mÃÂȘme, ma belle amie, vous serez saisie d'un saint respect, et vous direz avec enthousiasme " Voilà l'homme selon mon cÅ“ur. " Vous connaissez la Présidente Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austÚres. Voilà ce que j'attaque; voilà l'ennemi digne de moi; voilà le but oÃÂč je prétends atteindre Et si de l'obtenir je n'emporte le prix, J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. On peut citer de mauvais vers, quand ils sont d'un grand PoÚte [La Fontaine]. Vous saurez donc que le Président est en Bourgogne, à la suite d'un grand procÚs j'espÚre lui en faire perdre un plus important. Son inconsolable moitié doit passer ici tout le temps de cet affligeant veuvage. Une messe chaque jour, quelques visites aux Pauvres du canton, des priÚres du matin et du soir, des promenades solitaires, de pieux entretiens avec ma vieille tante, et quelquefois un triste Wisk, devaient ÃÂȘtre ses seules distractions. Je lui en prépare de plus efficaces. Mon bon Ange m'a conduit ici, pour son bonheur et pour le mien. Insensé! je regrettais vingt-quatre heures que je sacrifiais à des égards d'usage. Combien on me punirait, en me forçant de retourner à Paris! Heureusement il faut ÃÂȘtre quatre pour jouer au Wisk; et comme il n'y a ici que le Curé du lieu, mon éternelle tante m'a beaucoup pressé de lui sacrifier quelques jours. Vous devinez que j'ai consenti. Vous n'imaginez pas combien elle me cajole depuis ce moment, combien surtout elle est édifiée de me voir réguliÚrement à ses priÚres et à sa Messe. Elle ne se doute pas de la Divinité que j'y adore. Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion forte. Vous savez si je désire vivement, si je dévore les obstacles mais ce que vous ignorez, c'est combien la solitude ajoute à l'ardeur du désir. Je n'ai plus qu'une idée; j'y pense le jour, et j'y rÃÂȘve la nuit. J'ai bien besoin d'avoir cette femme, pour me sauver du ridicule d'en ÃÂȘtre amoureux car oÃÂč ne mÚne pas un désir contrarié? Ô délicieuse jouissance! Je t'implore pour mon bonheur et surtout pour mon repos. Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal! nous ne serions auprÚs d'elles que de timides esclaves. J'ai dans ce moment un sentiment de reconnaissance pour les femmes faciles, qui m'amÚne naturellement à vos pieds. Je m'y prosterne pour obtenir mon pardon, et j'y finis cette trop longue Lettre. Adieu, ma trÚs belle amie sans rancune. Du Chùteau de ..., 5 août 17** LETTRE V LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Savez-vous, Vicomte, que votre Lettre est d'une insolence rare, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de m'en fùcher? mais elle m'a prouvé clairement que vous aviez perdu la tÃÂȘte, et cela seul vous a sauvé de mon indignation. Amie généreuse et sensible, j'oublie mon injure pour ne m'occuper que de votre danger; et quelque ennuyeux qu'il soit de raisonner, je cÚde au besoin que vous en avez dans ce moment. Vous, avoir la Présidente de Tourvel! mais quel ridicule caprice! Je reconnais bien là votre mauvaise tÃÂȘte qui ne sait désirer que ce qu'elle croit ne pas pouvoir obtenir. Qu'est-ce donc que cette femme? des traits réguliers si vous voulez, mais nulle expression passablement faite, mais sans grùces toujours mise à faire rire! avec ses paquets de fichus sur la gorge, et son corps qui remonte au menton! Je vous le dis en amie, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-là , pour vous faire perdre toute votre considération. Rappelez-vous donc ce jour oÃÂč elle quÃÂȘtait à Saint-Roch, et oÃÂč vous me remerciùtes tant de vous avoir procuré ce spectacle. Je crois la voir encore, donnant la main à ce grand échalas en cheveux longs, prÃÂȘte à tomber à chaque pas, ayant toujours son panier de quatre aunes sur la tÃÂȘte de quelqu'un, et rougissant à chaque révérence. Qui vous eût dit alors vous désirerez cette femme? Allons, Vicomte, rougissez vous-mÃÂȘme, et revenez à vous. Je vous promets le secret. Et puis, voyez donc les désagréments qui vous attendent! quel rival avez-vous à combattre? un mari! Ne vous sentez-vous pas humilié à ce seul mot? Quelle honte si vous échouez! et mÃÂȘme combien peu de gloire dans le succÚs! Je dis plus; n'en espérez aucun plaisir. En est-il avec les prudes? j'entends celles de bonne foi réservées au sein mÃÂȘme du plaisir, elles ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-mÃÂȘme, ce délire de la volupté oÃÂč le plaisir s'épure par son excÚs, ces biens de l'Amour, ne sont pas connus d'elles. Je vous le prédis; dans la plus heureuse supposition, votre Présidente croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme son mari, et dans le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte conjugal le plus tendre, on reste toujours deux. Ici c'est bien pis encore; votre prude est dévote et de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-ÃÂȘtre surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire vainqueur de l'Amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du Diable; et quand, tenant votre MaÃtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cÅ“ur, ce sera de crainte et non d'amour. Peut- ÃÂȘtre, si vous eussiez connu cette femme plus tÎt, en eussiez-vous pu faire quelque chose; mais cela a vingt-deux ans, et il y en a prÚs de deux qu'elle est mariée. Croyez-moi, Vicomte, quand une femme s'est encroûtée à ce point, il faut l'abandonner à son sort; ce ne sera jamais qu'une espÚce . C'est pourtant pour ce bel objet que vous refusez de m'obéir, que vous vous enterrez dans le tombeau de votre tante, et que vous renoncez à l'aventure la plus délicieuse et la plus faite pour vous faire honneur. Par quelle fatalité faut- il donc que Gercourt garde toujours quelque avantage sur vous? Tenez, je vous en parle sans humeur mais, dans ce moment, je suis tentée de croire que vous ne méritez pas votre réputation; je suis tentée surtout de vous retirer ma confiance. Je ne m'accoutumerai jamais à dire mes secrets à l'amant de Madame de Tourvel. Sachez pourtant que la petite Volanges a déjà fait tourner une tÃÂȘte. Le jeune Danceny en raffole. Il a chanté avec elle; et en effet elle chante mieux qu'à une Pensionnaire n'appartient. Ils doivent répéter beaucoup de Duos, et je crois qu'elle se mettrait volontiers à l'unisson mais ce Danceny est un enfant qui perdra son temps à faire l'Amour, et ne finira rien. La petite personne de son cÎté est assez farouche; et, à tout événement, cela sera toujours beaucoup moins plaisant que vous n'auriez pu le rendre aussi j'ai de l'humeur, et sûrement je querellerai le Chevalier à son arrivée. Je lui conseille d'ÃÂȘtre doux; car, dans ce moment, il ne m'en coûterait rien de rompre avec lui. Je suis sûre que si j'avais le bon esprit de le quitter à présent, il en serait au désespoir; et rien ne m'amuse comme un désespoir amoureux. Il m'appellerait perfide, et ce mot de perfide m'a toujours fait plaisir; c'est, aprÚs celui de cruelle, le plus doux à l'oreille d'une femme, et il est moins pénible à mériter. Sérieusement, je vais m'occuper de cette rupture. Voilà pourtant de quoi vous ÃÂȘtes cause! aussi je le mets sur votre conscience. Adieu. Recommandez-moi aux priÚres de votre Présidente. Paris, ce 7 août 17** LETTRE VI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il n'est donc point de femme qui n'abuse de l'empire qu'elle a su prendre! Et vous-mÃÂȘme, vous que je nommai si souvent mon indulgente amie, vous cessez enfin de l'ÃÂȘtre, et vous ne craignez pas de m'attaquer dans l'objet de mes affections! De quels traits vous osez peindre Madame de Tourvel! quel homme n'eût point payé de sa vie cette insolente audace? à quelle autre femme qu'à vous n'eût-elle valu au moins une noirceur? De grùce, ne me mettez plus à d'aussi rudes épreuves; je ne répondrais pas de les soutenir. Au nom de l'amitié, attendez que j'aie eu cette femme, si vous voulez en médire. Ne savez-vous pas que la seule volupté a le droit de détacher le bandeau de l'Amour? Mais que dis-je? Madame de Tourvel a-t-elle besoin d'illusion? non; pour ÃÂȘtre adorable il lui suffit d'ÃÂȘtre elle-mÃÂȘme. Vous lui reprochez de se mettre mal; je le crois bien; toute parure lui nuit; tout ce qui la cache la dépare c'est dans l'abandon du négligé qu'elle est vraiment ravissante. Grùce aux chaleurs accablantes que nous éprouvons, un déshabillé de simple toile me laisse voir sa taille ronde et souple. Une seule mousseline couvre sa gorge, et mes regards furtifs, mais pénétrants, en ont déjà saisi les formes enchanteresses. Sa figure, dites-vous, n'a nulle expression. Et qu'exprimerait-elle, dans les moments oÃÂč rien ne parle à son cÅ“ur? Non, sans doute, elle n'a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d'une phrase par un sourire étudié; et quoiqu'elle ait les plus belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l'amuse. Mais il faut voir comme, dans les folùtres jeux, elle offre l'image d'une gaieté naïve et franche! comme, auprÚs d'un malheureux qu'elle s'empresse de secourir, son regard annonce la joie pure et la bonté compatissante! Il faut voir, surtout au moindre mot d'éloge ou de cajolerie, se peindre, sur sa figure céleste, ce touchant embarras d'une modestie qui n'est point jouée! Elle est prude et dévote, et de là vous la jugez froide et inanimée? Je pense bien différemment. Quelle étonnante sensibilité ne faut-il pas avoir pour la répandre jusque sur son mari, et pour aimer toujours un ÃÂȘtre toujours absent? Quelle preuve plus forte pourriez-vous désirer? J'ai su pourtant m'en procurer une autre. J'ai dirigé sa promenade de maniÚre qu'il s'est trouvé un fossé à franchir; et, quoique fort leste, elle est encore plus timide vous jugez bien qu'une prude craint de sauter le fossé [On reconnaÃt ici le mauvais goût des calembours, qui commençait à prendre, et qui depuis a fait tant de progrÚs]. Il a fallu se confier à moi. J'ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos préparatifs et le passage de ma vieille tante avaient fait rire aux éclats la folùtre Dévote mais, dÚs que je me fus emparé d'elle, par une adroite gaucherie, nos bras s'enlacÚrent mutuellement. Je pressai son sein contre le mien; et, dans ce court intervalle, je sentis son cÅ“ur battre plus vite. L'aimable rougeur vint colorer son visage, et son modeste embarras m'apprit assez que son cÅ“ur avait palpité d'amour et non de crainte . Ma tante cependant s'y trompa comme vous, et se mit à dire " L'enfant a eu peur " ; mais la charmante candeur de l'enfant ne lui permit pas le mensonge, et elle répondit naïvement " Oh non, mais!... " Ce seul mot m'a éclairé. DÚs ce moment, le doux espoir a remplacé la cruelle inquiétude. J'aurai cette femme; je l'enlÚverai au mari qui la profane j'oserai la ravir au Dieu mÃÂȘme qu'elle adore. Quel délice d'ÃÂȘtre tour à tour l'objet et le vainqueur de ses remords! Loin de moi l'idée de détruire les préjugés qui l'assiÚgent! ils ajouteront à mon bonheur et à ma gloire. Qu'elle croie à la vertu, mais qu'elle me la sacrifie; que ses fautes l'épouvantent sans pouvoir l'arrÃÂȘter; et qu'agitée de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras. Qu'alors, j'y consens, elle me dise " Je t'adore " , elle seule, entre toutes les femmes, sera digne de prononcer ce mot. Je serai vraiment le Dieu qu'elle aura préféré. Soyons de bonne foi; dans nos arrangements, aussi froids que faciles, ce que nous appelons bonheur est à peine un plaisir. Vous le dirai-je? je croyais mon cÅ“ur flétri, et ne me trouvant plus que des sens, je me plaignais d'une vieillesse prématurée. Madame de Tourvel m'a rendu les charmantes illusions de la jeunesse. AuprÚs d'elle, je n'ai pas besoin de jouir pour ÃÂȘtre heureux. La seule chose qui m'effraie, est le temps que va me prendre cette aventure; car je n'ose rien donner au hasard. J'ai beau me rappeler mes heureuses témérités, je ne puis me résoudre à les mettre en usage. Pour que je sois vraiment heureux, il faut qu'elle se donne; et ce n'est pas une petite affaire. Je suis sûr que vous admireriez ma prudence. Je n'ai pas encore prononcé le mot d'amour; mais déjà nous en sommes à ceux de confiance et d'intérÃÂȘt. Pour la tromper le moins possible, et surtout pour prévenir l'effet des propos qui pourraient lui revenir, je lui ai raconté moi-mÃÂȘme, et comme en m'accusant, quelques-uns de mes traits les plus connus. Vous ririez de voir avec quelle candeur elle me prÃÂȘche. Elle veut, dit-elle, me convertir. Elle ne se doute pas encore de ce qu'il lui en coûtera pour le tenter. Elle est loin de penser qu'en plaidant , pour parler comme elle, pour les infortunées que j'ai perdues , elle parle d'avance dans sa propre cause. Cette idée me vint hier au milieu d'un de ses sermons, et je ne pus me refuser au plaisir de l'interrompre, pour l'assurer qu'elle parlait comme un prophÚte. Adieu, ma trÚs belle amie. Vous voyez que je ne suis pas perdu sans ressources. A propos, ce pauvre Chevalier, s'est-il tué de désespoir? En vérité, vous ÃÂȘtes cent fois plus mauvais sujet que moi, et vous m'humilieriez si j'avais de l'amour-propre. Du Chùteau de ..., ce 9 août 17** LETTRE VII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY [Pour ne pas abuser de la patience du Lecteur, on supprime beaucoup de Lettres de cette Correspondance journaliÚre; on ne donne que celles qui ont paru nécessaires à l'intelligence des événements de cette société. C'est par le mÃÂȘme motif qu'on supprime aussi toutes les Lettres de Sophie Carnay et plusieurs de celles des autres Acteurs de ces aventures.] Si je ne t'ai rien dit de mon mariage, c'est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour. Je m'accoutume à n'y plus penser et je me trouve assez bien de mon genre de vie. J'étudie beaucoup mon chant et ma harpe; il me semble que je les aime mieux depuis que je n'ai plus de MaÃtres, ou plutÎt c'est que j'en ai un meilleur. M. le Chevalier Danceny, ce Monsieur dont je t'ai parlé, et avec qui j'ai chanté chez Madame de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours, et de chanter avec moi des heures entiÚres. Il est extrÃÂȘmement aimable. Il chante comme un Ange, et compose de trÚs jolis airs dont il fait aussi les paroles. C'est bien dommage qu'il soit Chevalier de Malte! Il me semble que s'il se mariait, sa femme serait bien heureuse. Il a une douceur charmante. Il n'a jamais l'air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu'il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose mais il mÃÂȘle à ses critiques tant d'intérÃÂȘt et de gaieté, qu'il est impossible de ne pas lui en savoir gré. Seulement quand il vous regarde, il a l'air de vous dire quelque chose d'obligeant. Il joint à tout cela d'ÃÂȘtre trÚs complaisant. Par exemple, hier, il était prié d'un grand concert; il a préféré de rester toute la soirée chez Maman. Cela m'a fait bien plaisir; car quand il n'y est pas, personne ne me parle, et je m'ennuie au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose à me dire. Lui et Madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais adieu, ma chÚre amie j'ai promis que je saurais pour aujourd'hui une ariette dont l'accompagnement est trÚs difficile, et je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre à l'étude jusqu'à ce qu'il vienne. De ..., ce 7 août 17** LETTRE VIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES On ne peut ÃÂȘtre plus sensible que je le suis, Madame, à la confiance que vous me témoignez, ni prendre plus d'intérÃÂȘt que moi à l'établissement de Mademoiselle de Volanges. C'est bien de toute mon ùme que je lui souhaite une félicité dont je ne doute pas qu'elle ne soit digne, et sur laquelle je m'en rapporte bien à votre prudence. Je ne connais point M. le Comte de Gercourt; mais, honoré de votre choix, je ne puis prendre de lui qu'une idée trÚs avantageuse. Je me borne, Madame, à souhaiter à ce mariage un succÚs aussi heureux qu'au mien, qui est pareillement votre ouvrage, et pour lequel chaque jour ajoute à ma reconnaissance. Que le bonheur de Mademoiselle votre fille soit la récompense de celui que vous m'avez procuré; et puisse la meilleure des amies ÃÂȘtre aussi la plus heureuse des mÚres! Je suis vraiment peinée de ne pouvoir vous offrir de vive voix l'hommage de ce vÅ“u sincÚre, et faire, aussi tÎt que je le désirerais, connaissance avec Mademoiselle de Volanges. AprÚs avoir éprouvé vos bontés vraiment maternelles, j'ai droit d'espérer d'elle l'amitié tendre d'une sÅ“ur. Je vous prie, Madame, de vouloir bien la lui demander de ma part, en attendant que je me trouve à portée de la mériter. Je compte rester à la campagne tout le temps de l'absence de M. de Tourvel. J'ai pris ce temps pour jouir et profiter de la société de la respectable Madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante son grand ùge ne lui fait rien perdre; elle conserve toute sa mémoire et sa gaieté. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans; son esprit n'en a que vingt. Notre retraite est égayée par son neveu le Vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de réputation, et elle me faisait peu désirer de le connaÃtre davantage mais il me semble qu'il vaut mieux qu'elle. Ici, oÃÂč le tourbillon du monde ne le gùte pas, il parle raison avec une facilité étonnante, et il s'accuse de ses torts avec une candeur rare. Il me parle avec beaucoup de confiance, et je le prÃÂȘche avec beaucoup de sévérité. Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion à faire mais je ne doute pas, malgré ses promesses, que huit jours de Paris ne lui fassent oublier tous mes sermons. Le séjour qu'il fera ici sera au moins autant de retranché sur sa conduite ordinaire et je crois que, d'aprÚs sa façon de vivre, ce qu'il peut faire de mieux est de ne rien faire du tout. Il sait que je suis occupée à vous écrire, et il m'a chargée de vous présenter ses respectueux hommages. Recevez aussi le mien avec la bonté que je vous connais, et ne doutez jamais des sentiments sincÚres avec lesquels j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Du Chùteau de ..., ce 9 août 17** LETTRE IX MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Je n'ai jamais douté, ma jeune et belle amie, ni de l'amitié que vous avez pour moi, ni de l'intérÃÂȘt sincÚre que vous prenez à tout ce qui me regarde. Ce n'est pas pour éclaircir ce point, que j'espÚre convenu à jamais entre nous, que je réponds à votre Réponse mais je ne crois pas pouvoir me dispenser de causer avec vous au sujet du Vicomte de Valmont. Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à trouver jamais ce nom-là dans vos Lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous et lui? Vous ne connaissez pas cet homme; oÃÂč auriez-vous pris l'idée de l'ùme d'un libertin? Vous me parlez de sa rare candeur oh! oui; la candeur de Valmont doit ÃÂȘtre en effet trÚs rare. Encore plus faux et dangereux qu'il n'est aimable et séduisant, jamais depuis sa plus grande jeunesse, il n'a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, et jamais il n'eut un projet qui ne fût malhonnÃÂȘte ou criminel. Mon amie, vous me connaissez; vous savez si, des vertus que je tùche d'acquérir, l'indulgence n'est pas celle que je chéris le plus. Aussi, si Valmont était entraÃné par des passions fougueuses; si, comme mille autres, il était séduit par les erreurs de son ùge, blùmant sa conduite je plaindrais sa personne, et j'attendrais, en silence, le temps oÃÂč un retour heureux lui rendrait l'estime des gens honnÃÂȘtes. Mais Valmont n'est pas cela sa conduite est le résultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu'un homme peut se permettre d'horreurs, sans se compromettre; et pour ÃÂȘtre cruel et méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. Je ne m'arrÃÂȘte pas à compter celles qu'il a séduites mais combien n'en a-t-il pas perdues? Dans la vie sage et retirée que vous menez, ces scandaleuses aventures ne parviennent pas jusqu'à vous. Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir; mais vos regards, purs comme votre ùme, seraient souillés par de semblables tableaux sûre que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n'avez pas besoin de pareilles armes pour vous défendre. La seule chose que j'ai à vous dire, c'est que, de toutes les femmes auxquelles il a rendu des soins, succÚs ou non, il n'en est point qui n'aient eu à s'en plaindre. La seule Marquise de Merteuil fait l'exception à cette rÚgle générale; seule, elle a su lui résister et enchaÃner sa méchanceté. J'avoue que ce trait de sa vie est celui qui lui fait le plus d'honneur à mes yeux aussi a-t-il suffi pour la justifier pleinement aux yeux de tous, de quelques inconséquences qu'on avait à lui reprocher dans le début de son veuvage. [L'erreur oÃÂč est Madame de Volanges nous fait voir qu'ainsi que les autres scélérats Valmont ne décelait pas ses complices.] Quoi qu'il en soit, ma belle amie, ce que l'ùge, l'expérience et surtout l'amitié, m'autorisent à vous représenter, c'est qu'on commence à s'apercevoir dans le monde de l'absence de Valmont; et que si on sait qu'il soit resté quelque temps en tiers entre sa tante et vous, votre réputation sera entre ses mains; malheur le plus grand qui puisse arriver à une femme. Je vous conseille donc d'engager sa tante à ne pas le retenir davantage; et s'il s'obstine à rester, je crois que vous ne devez pas hésiter à lui céder la place. Mais pourquoi resterait-il? que fait-il donc à cette campagne? Si vous faisiez épier ses démarches, je suis sûre que vous découvririez qu'il n'a fait que prendre un asile plus commode, pour quelques noirceurs qu'il médite dans les environs. Mais, dans l'impossibilité de remédier au mal, contentons-nous de nous en garantir. Adieu, ma belle amie; voilà le mariage de ma fille un peu retardé. Le Comte de Gercourt, que nous attendions d'un jour à l'autre, me mande que son Régiment passe en Corse; et comme il y a encore des mouvements de guerre, il lui sera impossible de s'absenter avant l'hiver. Cela me contrarie; mais cela me fait espérer que nous aurons le plaisir de vous voir à la noce, et j'étais fùchée qu'elle se fÃt sans vous. Adieu; je suis, sans compliment comme sans réserve, entiÚrement à vous. Rappelez-moi au souvenir de Madame de Rosemonde, que j'aime toujours autant qu'elle le mérite. De ..., ce 11 août 17** LETTRE X LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Me boudez-vous, Vicomte? ou bien ÃÂȘtes-vous mort? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre Présidente? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse , vous en rendra bientÎt aussi les ridicules préjugés. Déjà vous voilà timide et esclave; autant vaudrait ÃÂȘtre amoureux. Vous renoncez à vos heureuses témérités . Vous voilà donc vous conduisant sans principes, et donnant tout au hasard, ou plutÎt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l'Amour est, comme la médecine, seulement l'art d'aider la Nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes mais je n'en prendrai pas d'orgueil; car c'est bien battre un homme à terre. Il faut qu'elle se donne , me dites-vous eh! sans doute, il le faut; aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette différence que ce sera de mauvaise grùce. Mais, pour qu'elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai déraisonnement de l'Amour! Je dis l'Amour; car vous ÃÂȘtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues, croyez- vous les avoir violées? Mais, quelque envie qu'on ait de se donner, quelque pressée que l'on en soit, encore faut-il un prétexte; et y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l'air de céder à la force? Pour moi, je l'avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive et bien faite, oÃÂč tout se succÚde avec ordre quoique avec rapidité; qui ne nous met jamais dans ce pénible embarras de réparer nous-mÃÂȘmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dû profiter; qui sait garder l'air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, et flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la défense et le plaisir de la défaite. Je conviens que ce talent, plus rare que l'on ne croit, m'a toujours fait plaisir, mÃÂȘme alors qu'il ne m'a pas séduite, et que quelquefois il m'est arrivé de me rendre, uniquement comme récompense. Telle dans nos anciens Tournois, la Beauté donnait le prix de la valeur et de l'adresse. Mais vous, vous qui n'ÃÂȘtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de réussir. Eh! depuis quand voyagez-vous à petites journées et par des chemins de traverse? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste et la grande route! Mais laissons ce sujet, qui me donne d'autant plus d'humeur, qu'il me prive du plaisir de vous voir. Au moins écrivez-moi plus souvent que vous ne faites, et mettez-moi au courant de vos progrÚs. Savez- vous que voilà plus de quinze jours que cette ridicule aventure vous occupe, et que vous négligez tout le monde? A propos de négligence, vous ressemblez aux gens qui envoient réguliÚrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la réponse. Vous finissez votre derniÚre Lettre par me demander si le Chevalier est mort. Je ne réponds pas, et vous ne vous en inquiétez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-né? Mais rassurez-vous, il n'est point mort; ou s'il l'était, ce serait de l'excÚs de sa joie. Ce pauvre Chevalier, comme il est tendre! comme il est fait pour l'Amour! comme il sait sentir vivement! la tÃÂȘte m'en tourne. Sérieusement, le bonheur parfait qu'il trouve à ÃÂȘtre aimé de moi m'attache véritablement à lui. Ce mÃÂȘme jour, oÃÂč je vous écrivais que j'allais travailler à notre rupture, combien je le rendis heureux! Je m'occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer, quand on me l'annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle oÃÂč ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j'allais sortir il me demanda oÃÂč j'allais; je refusai de le lui apprendre. Il insista; oÃÂč vous ne serez pas , repris-je, avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse; car, s'il eût dit un mot, il s'ensuivait immanquablement une scÚne qui eût amené la rupture que j'avais projetée. Etonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu'il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure, cette tristesse, à la fois profonde et tendre, à laquelle vous-mÃÂȘme ÃÂȘtes convenu qu'il était si difficile de résister. La mÃÂȘme cause produisit le mÃÂȘme effet; je fus vaincue une seconde fois. DÚs ce moment, je ne m'occupai plus que des moyens d'éviter qu'il pût me trouver un tort. " Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, et mÃÂȘme cette affaire vous regarde; mais ne m'interrogez pas. Je souperai chez moi; revenez, et vous serez instruit. " Alors il retrouva la parole; mais je ne lui permis pas d'en faire usage. " Je suis trÚs pressée, continuai-je. Laissez-moi; à ce soir. " Il baisa ma main et sortit. AussitÎt, pour le dédommager, peut-ÃÂȘtre pour me dédommager moi-mÃÂȘme, je me décide à lui faire connaÃtre ma petite maison dont il ne se doutait pas. J'appelle ma fidÚle Victoire . J'ai ma migraine; je me couche pour tous mes gens; et, restée enfin seule avec la véritable , tandis qu'elle se travestit en Laquais, je fais une toilette de Femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre à la porte de mon jardin, et nous voilà parties. Arrivée dans ce temple de l'Amour, je choisis le déshabillé le plus galant. Celui-ci est délicieux; il est de mon invention il ne laisse rien voir, et pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modÚle pour votre Présidente, quand vous l'aurez rendue digne de le porter. AprÚs ces préparatifs, pendant que Victoire s'occupe des autres détails, je lis un chapitre du Sopha , une Lettre d' Héloïse et deux Contes de La Fontaine, pour recorder les différents tons que je voulais prendre. Cependant mon Chevalier arrive à ma porte, avec l'empressement qu'il a toujours. Mon Suisse la lui refuse, et lui apprend que je suis malade premier incident. Il lui remet en mÃÂȘme temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente rÚgle. Il l'ouvre, et y trouve de la main de Victoire " A neuf heures précises, au Boulevard, devant les Cafés. " Il s'y rend; et là , un petit Laquais qu'il ne connaÃt pas, qu'il croit au moins ne pas connaÃtre, car c'était toujours Victoire, vient lui annoncer qu'il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tÃÂȘte d'autant, et la tÃÂȘte échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, et la surprise et l'Amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet; puis je le ramÚne vers la maison. Il voit d'abord deux couverts mis ensuite un lit fait. Nous passons jusqu'au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là , moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui et me laissai tomber à ses genoux. " O mon ami, lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t'avoir affligé par l'apparence de l'humeur, d'avoir pu un instant voiler mon cÅ“ur à tes regards. Pardonne-moi mes torts je veux les expier à force d'amour. " Vous jugez de l'effet de ce discours sentimental. L'heureux Chevalier me releva et mon pardon fut scellé sur cette mÃÂȘme ottomane oÃÂč vous et moi scellùmes si gaiement et de la mÃÂȘme maniÚre notre éternelle rupture. Comme nous avions six heures à passer ensemble, et que j'avais résolu que tout ce temps fût pour lui également délicieux, je modérai ses transports, et l'aimable coquetterie vint remplacer la tendresse. Je ne crois pas avoir jamais mis tant de soin à plaire, ni avoir été jamais aussi contente de moi. AprÚs le souper, tour à tour enfant et raisonnable, folùtre et sensible, quelquefois mÃÂȘme libertine, je me plaisais à le considérer comme un Sultan au milieu de son Sérail, dont j'étais tour à tour les Favorites différentes. En effet, ses hommages réitérés, quoique toujours reçus par la mÃÂȘme femme, le furent toujours par une MaÃtresse nouvelle. Enfin au point du jour il fallut se séparer; et, quoi qu'il dÃt, quoi qu'il fÃt mÃÂȘme pour me prouver le contraire, il en avait autant de besoin que peu d'envie. Au moment oÃÂč nous sortÃmes et pour dernier adieu, je pris la clef de cet heureux séjour, et la lui remettant entre les mains " Je ne l'ai eue que pour vous, lui dis-je; il est juste que vous en soyez maÃtre c'est au Sacrificateur à disposer du Temple. " C'est par cette adresse que j'ai prévenu les réflexions qu'aurait pu lui faire naÃtre la propriété, toujours suspecte, d'une petite maison. Je le connais assez, pour ÃÂȘtre sûre qu'il ne s'en servira que pour moi; et si la fantaisie me prenait d'y aller sans lui, il me reste bien une double clef. Il voulait à toute force prendre jour pour y revenir; mais je l'aime trop encore, pour vouloir l'user si vite. Il ne faut se permettre d'excÚs qu'avec les gens qu'on veut quitter bientÎt. Il ne sait pas cela, lui; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux. Je m'aperçois qu'il est trois heures du matin, et que j'ai écrit un volume, ayant le projet de n'écrire qu'un mot. Tel est le charme de la confiante amitié c'est elle qui fait que vous ÃÂȘtes toujours ce que j'aime le mieux, mais, en vérité, le Chevalier est ce qui me plaÃt davantage. De ..., ce 12 août 17** LETTRE XI LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Votre Lettre sévÚre m'aurait effrayée, Madame, si, par bonheur, je n'avais trouvé ici plus de motifs de sécurité que vous ne m'en donnez de crainte. Ce redoutable M. de Valmont, qui doit ÃÂȘtre la terreur de toutes les femmes, paraÃt avoir déposé ses armes meurtriÚres, avant d'entrer dans ce Chùteau. Loin d'y former des projets, il n'y a pas mÃÂȘme porté de prétentions; et la qualité d'homme aimable que ses ennemis mÃÂȘmes lui accordent, disparaÃt presque ici, pour ne lui laisser que celle de bon enfant. C'est apparemment l'air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je vous puis assurer, c'est qu'étant sans cesse avec moi, paraissant mÃÂȘme s'y plaire, il ne lui est pas échappé un mot qui ressemble à l'Amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu'il faut pour les justifier. Jamais il n'oblige à cette réserve, dans laquelle toute femme qui se respecte est forcée de se tenir aujourd'hui, pour contenir les hommes qui l'entourent. Il sait ne point abuser de la gaieté qu'il inspire. Il est peut-ÃÂȘtre un peu louangeur; mais c'est avec tant de délicatesse qu'il accoutumerait la modestie mÃÂȘme à l'éloge. Enfin, si j'avais un frÚre, je désirerais qu'il fût tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-ÃÂȘtre beaucoup de femmes lui désireraient une galanterie plus marquée; et j'avoue que je lui sais un gré infini d'avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles. Ce portrait diffÚre beaucoup sans doute de celui que vous me faites; et, malgré cela, tous deux peuvent ÃÂȘtre ressemblants en fixant les époques. Lui- mÃÂȘme convient d'avoir eu beaucoup de torts, et on lui en aura bien aussi prÃÂȘté quelques-uns. Mais j'ai rencontré peu d'hommes qui parlassent des femmes honnÃÂȘtes avec plus de respect, je dirais presque d'enthousiasme. Vous m'apprenez qu'au moins sur cet objet il ne trompe pas. Sa conduite avec Madame de Merteuil en est une preuve. Il nous en parle beaucoup; et c'est toujours avec tant d'éloges et l'air d'un attachement si vrai, que j'ai cru, jusqu'à la réception de votre Lettre, que ce qu'il appelait amitié entre eux deux était bien réellement de l'Amour. Je m'accuse de ce jugement téméraire, dans lequel j'ai eu d'autant plus de tort, que lui-mÃÂȘme a pris souvent le soin de la justifier. J'avoue que je ne regardais que comme finesse, ce qui était de sa part une honnÃÂȘte sincérité. Je ne sais; mais il me semble que celui qui est capable d'une amitié aussi suivie pour une femme aussi estimable, n'est pas un libertin sans retour. J'ignore au reste si nous devons la conduite sage qu'il tient ici à quelques projets dans les environs, comme vous le supposez. Il y a bien quelques femmes aimables à la ronde; mais il sort peu, excepté le matin, et alors il dit qu'il va à la chasse. Il est vrai qu'il rapporte rarement du gibier; mais il assure qu'il est maladroit à cet exercice. D'ailleurs, ce qu'il peut faire au- dehors m'inquiÚte peu; et si je désirais le savoir, ce ne serait que pour avoir une raison de plus de me rapprocher de votre avis ou de vous ramener au mien. Sur ce que vous me proposez de travailler à abréger le séjour que M. de Valmont compte faire ici, il me paraÃt bien difficile d'oser demander à sa tante de ne pas avoir son neveu chez elle, d'autant qu'elle l'aime beaucoup. Je vous promets pourtant, mais seulement par déférence et non par besoin, de saisir l'occasion de faire cette demande, soit à elle, soit à lui-mÃÂȘme. Quant à moi, M. de Tourvel est instruit de mon projet de rester ici jusqu'à son retour, et il s'étonnerait, avec raison, de la légÚreté qui m'en ferait changer. Voilà , Madame, de bien longs éclaircissements mais j'ai cru devoir à la vérité un témoignage avantageux à M. de Valmont, et dont il me paraÃt avoir grand besoin auprÚs de vous. Je n'en suis pas moins sensible à l'amitié qui a dicté vos conseils. C'est à elle que je dois aussi ce que vous me dites d'obligeant à l'occasion du retard du mariage de Mademoiselle votre fille. Je vous en remercie bien sincÚrement mais, quelque plaisir que je me promette à passer ces moments avec vous, je les sacrifierais de bien bon cÅ“ur au désir de savoir Mademoiselle de Volanges plus tÎt heureuse, si pourtant elle peut jamais l'ÃÂȘtre plus qu'auprÚs d'une mÚre aussi digne de toute sa tendresse et de son respect. Je partage avec elle ces deux sentiments qui m'attachent à vous, et je vous prie d'en recevoir l'assurance avec bonté. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Maman est incommodée, Madame; elle ne sortira point, et il faut que je lui tienne compagnie ainsi je n'aurai pas l'honneur de vous accompagner à l'Opéra. Je vous assure que je regrette bien plus de ne pas ÃÂȘtre avec vous que le Spectacle. Je vous prie d'en ÃÂȘtre persuadée. Je vous aime tant! Voudriez- vous bien dire à M. le Chevalier Danceny que je n'ai point le Recueil dont il m'a parlé, et que s'il peut me l'apporter demain, il me fera grand plaisir. S'il vient aujourd'hui, on lui dira que nous n'y sommes pas; mais c'est que Maman ne veut recevoir personne. J'espÚre qu'elle se portera mieux demain. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XIII LA MARQUISE DE MERTEUIL A CECILE VOLANGES Je suis trÚs fùchée, ma belle, et d'ÃÂȘtre privée du plaisir de vous voir, et de la cause de cette privation. J'espÚre que cette occasion se retrouvera. Je m'acquitterai de votre commission auprÚs du Chevalier Danceny, qui sera sûrement trÚs fùché de savoir votre Maman malade. Si elle veut me recevoir demain, j'irai lui tenir compagnie. Nous attaquerons, elle et moi, le Chevalier de Belleroche. [C'est le mÃÂȘme dont il est question dans les lettres de Madame de Merteuil] au piquet; et, en lui gagnant son argent, nous aurons, pour surcroÃt de plaisir, celui de vous entendre chanter avec votre aimable MaÃtre, à qui je le proposerai. Si cela convient à votre Maman et à vous, je réponds de moi et de mes deux Chevaliers. Adieu, ma belle; mes compliments à ma chÚre Madame de Volanges. Je vous embrasse bien tendrement. De ..., ce 13 août 17** LETTRE XIV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je ne t'ai pas écrit hier, ma chÚre Sophie mais ce n'est pas le plaisir qui en est cause; je t'en assure bien. Maman était malade, et je ne l'ai pas quittée de la journée. Le soir, quand je me suis retirée, je n'avais cÅ“ur à rien du tout; et je me suis couchée bien vite, pour m'assurer que la journée était finie; jamais je n'en avais passé de si longue. Ce n'est pas que je n'aime bien Maman; mais je ne sais pas ce que c'était. Je devais aller à l'Opéra avec Madame de Merteuil; le Chevalier Danceny devait y ÃÂȘtre. Tu sais bien que ce sont les deux personnes que j'aime le mieux. Quand l'heure oÃÂč j'aurais dû y ÃÂȘtre aussi est arrivée, mon cÅ“ur s'est serré malgré moi. Je me déplaisais à tout, et j'ai pleuré, pleuré, sans pouvoir m'en empÃÂȘcher. Heureusement Maman était couchée, et ne pouvait pas me voir. Je suis bien sûre que le Chevalier Danceny aura été fùché aussi; mais il aura été distrait par le Spectacle et par tout le monde c'est bien différent. Par bonheur, Maman va mieux aujourd'hui, et Madame de Merteuil viendra avec une autre personne et le Chevalier Danceny mais elle arrive toujours bien tard, Madame de Merteuil; et quand on est si longtemps toute seule, c'est bien ennuyeux. Il n'est encore qu'onze heures. Il est vrai qu'il faut que je joue de la harpe; et puis ma toilette me prendra un peu de temps, car je veux ÃÂȘtre bien coiffée aujourd'hui. Je crois que la MÚre Perpétue a raison, et qu'on devient coquette dÚs qu'on est dans le monde. Je n'ai jamais eu tant d'envie d'ÃÂȘtre jolie que depuis quelques jours, et je trouve que je ne le suis pas autant que je le croyais; et puis, auprÚs des femmes qui ont du rouge, on perd beaucoup. Madame de Merteuil, par exemple, je vois bien que tous les hommes la trouvent plus jolie que moi cela ne me fùche pas beaucoup, parce qu'elle m'aime bien; et puis elle assure que le Chevalier Danceny me trouve plus jolie qu'elle. C'est bien honnÃÂȘte à elle de me l'avoir dit! elle avait mÃÂȘme l'air d'en ÃÂȘtre bien aise. Par exemple, je ne conçois pas ça. C'est qu'elle m'aime tant! et lui!... oh! ça m'a fait bien plaisir! aussi, c'est qu'il me semble que rien que le regarder suffit pour embellir. Je le regarderais toujours, si je ne craignais de rencontrer ses yeux car, toutes les fois que cela m'arrive, cela me décontenance, et me fait comme de la peine; mais ça ne fait rien. Adieu, ma chÚre amie; je vais me mettre à ma toilette. Je t'aime toujours comme de coutume. Paris, ce 14 août 17** LETTRE XV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Il est bien honnÃÂȘte à vous de ne pas m'abandonner à mon triste sort. La vie que je mÚne ici est réellement fatigante, par l'excÚs de son repos et son insipide uniformité. En lisant votre Lettre et le détail de votre charmante journée, j'ai été tenté vingt fois de prétexter une affaire, de voler à vos pieds, et de vous y demander, en ma faveur, une infidélité à votre Chevalier, qui, aprÚs tout, ne mérite pas son bonheur. Savez-vous que vous m'avez rendu jaloux de lui? Que me parlez-vous d'éternelle rupture? J'abjure ce serment, prononcé dans le délire nous n'aurions pas été dignes de le faire, si nous eussions dû le garder. Ah! que je puisse un jour me venger dans vos bras, du dépit involontaire que m'a causé le bonheur du Chevalier! Je suis indigné, je l'avoue, quand je songe que cet homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine, en suivant tout bÃÂȘtement l'instinct de son cÅ“ur, trouve une félicité à laquelle je ne puis atteindre. Oh! je la troublerai... Promettez-moi que je la troublerai. Vous-mÃÂȘme n'ÃÂȘtes-vous pas humiliée? Vous vous donnez la peine de le tromper, et il est plus heureux que vous. Vous le croyez dans vos chaÃnes! C'est bien vous qui ÃÂȘtes dans les siennes. Il dort tranquillement, tandis que vous veillez pour ses plaisirs. Que ferait de plus son esclave? Tenez, ma belle amie, tant que vous vous partagez entre plusieurs, je n'ai pas la moindre jalousie je ne vois alors dans vos Amants que les successeurs d'Alexandre, incapables de conserver entre eux tous cet empire oÃÂč je régnais seul. Mais que vous vous donniez entiÚrement à un d'eux! qu'il existe un autre homme aussi heureux que moi! je ne le souffrirai pas; n'espérez pas que je le souffre. Ou reprenez-moi, ou au moins prenez-en un autre; et ne trahissez pas, par un caprice exclusif, l'amitié inviolable que nous nous sommes jurée. C'est bien assez, sans doute, que j'aie à me plaindre de l'Amour. Vous voyez que je me prÃÂȘte à vos idées, et que j'avoue mes torts. En effet, si c'est ÃÂȘtre amoureux que de ne pouvoir vivre sans posséder ce qu'on désire, d'y sacrifier son temps, ses plaisirs, sa vie, je suis bien réellement amoureux. Je n'en suis guÚre plus avancé. Je n'aurais mÃÂȘme rien du tout à vous apprendre à ce sujet, sans un événement qui me donne beaucoup à réfléchir, et dont je ne sais encore si je dois craindre ou espérer. Vous connaissez mon Chasseur, trésor d'intrigue, et vrai valet de Comédie; vous jugez bien que ses instructions portaient d'ÃÂȘtre amoureux de la Femme de chambre, et d'enivrer les gens. Le coquin est plus heureux que moi; il a déjà réussi. Il vient de découvrir que Madame de Tourvel a chargé un de ses gens de prendre des informations sur ma conduite, et mÃÂȘme de me suivre dans mes courses du matin, autant qu'il le pourrait, sans ÃÂȘtre aperçu. Que prétend cette femme? Ainsi donc la plus modeste de toutes ose encore risquer des choses qu'à peine nous oserions nous permettre! Je jure bien. Mais, avant de songer à me venger de cette ruse féminine, occupons-nous des moyens de la tourner à notre avantage. Jusqu'ici ces courses qu'on suspecte n'avaient aucun objet; il faut leur en donner un. Cela mérite toute mon attention, et je vous quitte pour y réfléchir. Adieu, ma belle amie. Toujours du Chùteau de ..., ce 15 août 17** LETTRE XVI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ah! ma Sophie, voici bien des nouvelles! je ne devrais peut-ÃÂȘtre pas te les dire mais il faut bien que j'en parle à quelqu'un; c'est plus fort que moi. Ce Chevalier Danceny... Je suis dans un trouble que je ne peux pas écrire je ne sais par oÃÂč commencer. Depuis que je t'avais raconté la jolie soirée [La Lettre oÃÂč il est parlé de cette soirée ne s'est pas retrouvée. Il y a lieu de croire que c'est celle proposée dans le billet de Madame de Merteuil, et dont il est aussi question dans la précédente Lettre de Cécile Volanges.] que j'avais passée chez Maman avec lui et Madame de Merteuil, je ne t'en parlais plus c'est que je ne voulais plus en parler à personne; mais j'y pensais pourtant toujours. Depuis il était devenu si triste, mais si triste, si triste, que ça me faisait de la peine; et quand je lui demandais pourquoi, il me disait que non mais je voyais bien que si. Enfin hier il l'était encore plus que de coutume. Ça n'a pas empÃÂȘché qu'il n'ait eu la complaisance de chanter avec moi comme à l'ordinaire; mais, toutes les fois qu'il me regardait, cela me serrait le cÅ“ur. AprÚs que nous eûmes fini de chanter, il alla renfermer ma harpe dans son étui; et, en m'en rapportant la clef, il me pria d'en jouer encore le soir, aussitÎt que je serais seule. Je ne me défiais de rien du tout; je ne voulais mÃÂȘme pas mais il m'en pria tant, que je lui dis qu'oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirée chez moi et que ma Femme de chambre fut sortie, j'allais pour prendre ma harpe. Je trouvais dans les cordes une Lettre, pliée seulement, et point cachetée, et qui était de lui. Ah! si tu savais tout ce qu'il me mande! Depuis que j'ai lu sa Lettre, j'ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer à autre chose. Je l'ai relue quatre fois tout de suite, et puis je l'ai serrée dans mon secrétaire. Je la savais par cÅ“ur; et, quand j'ai été couchée, je l'ai tant répétée, que je ne songeais pas à dormir. DÚs que je fermais les yeux, je le voyais là , qui me disait lui-mÃÂȘme tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard; et aussitÎt que je me suis réveillée il était encore de bien bonne heure, j'ai été reprendre sa Lettre pour la relire à mon aise. Je l'ai emportée dans mon lit, et puis je l'ai baisée comme si... C'est peut-ÃÂȘtre mal fait de baiser une Lettre comme ça, mais je n'ai pas pu m'en empÃÂȘcher. A présent, ma chÚre amie, si je suis bien aise, je suis aussi bien embarrassée; car sûrement il ne faut pas que je réponde à cette Lettre-là . Je sais bien que ça ne se doit pas, et pourtant il me le demande; et, si je ne réponds pas, je suis sûre qu'il va encore ÃÂȘtre triste. C'est pourtant bien malheureux pour lui! Qu'est-ce que tu me conseilles? mais tu n'en sais pas plus que moi. J'ai bien envie d'en parler à Madame de Merteuil qui m'aime bien. Je voudrais bien le consoler; mais je ne voudrais rien faire qui fût mal. On nous recommande tant d'avoir bon cÅ“ur! et puis on nous défend de suivre ce qu'il inspire, quand c'est pour un homme! Ça n'est pas juste non plus. Est-ce qu'un homme n'est pas notre prochain comme une femme, et plus encore? car enfin n'a-t-on pas son pÚre comme sa mÚre, son frÚre comme sa sÅ“ur? il reste toujours le mari de plus. Cependant si j'allais faire quelque chose qui ne fût pas bien, peut-ÃÂȘtre que M. Danceny lui-mÃÂȘme n'aurait plus bonne idée de moi! Oh! ça, par exemple, j'aime encore mieux qu'il soit triste. Et puis, enfin, je serai toujours à temps. Parce qu'il a écrit hier, je ne suis pas obligée d'écrire aujourd'hui aussi bien je verrai Madame de Merteuil ce soir, et si j'en ai le courage, je lui conterai tout. En ne faisant que ce qu'elle me dira, je n'aurai rien à me reprocher. Et puis peut-ÃÂȘtre me dira-t-elle que je peux lui répondre un peu, pour qu'il ne soit pas si triste! Oh! je suis bien en peine. Adieu, ma bonne amie. Dis-moi toujours ce que tu penses. De ..., ce 19 août 17** LETTRE XVII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Avant de me livrer, Mademoiselle, dirai-je au plaisir ou au besoin de vous écrire, je commence par vous supplier de m'entendre. Je sens que pour oser vous déclarer mes sentiments, j'ai besoin d'indulgence; si je ne voulais que les justifier, elle me serait inutile. Que vais-je faire aprÚs tout que vous montrer mon ouvrage? Et qu'ai-je à vous dire, que mes regards, mon embarras, ma conduite et mÃÂȘme mon silence ne vous aient dit avant moi? Eh! pourquoi vous fùcheriez-vous d'un sentiment que vous avez fait naÃtre? Emané de vous, sans doute il est digne de vous ÃÂȘtre offert; s'il est brûlant comme mon ùme, il est pur comme la vÎtre. Serait-ce un crime d'avoir su apprécier votre charmante figure, vos talents séducteurs, vos grùces enchanteresses, et cette touchante candeur qui ajoute un prix inestimable à des qualités déjà si précieuses? non, sans doute; mais, sans ÃÂȘtre coupable, on peut ÃÂȘtre malheureux; et c'est le sort qui m'attend, si vous refusez d'agréer mon hommage. C'est le premier que mon cÅ“ur ait offert. Sans vous je serais encore, non pas heureux, mais tranquille. Je vous ai vue; le repos a fui loin de moi, et mon bonheur est incertain. Cependant vous vous étonnez de ma tristesse; vous m'en demandez la cause quelquefois mÃÂȘme j'ai cru voir qu'elle vous affligeait. Ah! dites un mot, et ma félicité sera votre ouvrage. Mais, avant de prononcer, songez qu'un mot peut aussi combler mon malheur. Soyez donc l'arbitre de ma destinée. Par vous je vais ÃÂȘtre éternellement heureux ou malheureux. En quelles mains plus chÚres puis-je remettre un intérÃÂȘt plus grand? Je finirai, comme j'ai commencé, par implorer votre indulgence. Je vous ai demandé de m'entendre; j'oserai plus; je vous prierai de me répondre. Le refuser, serait me laisser croire que vous vous trouvez offensée, et mon cÅ“ur m'est garant que mon respect égale mon amour. P-S. Vous pouvez vous servir, pour me répondre, du mÃÂȘme moyen dont je me sers pour vous faire parvenir cette Lettre; il me paraÃt également sûr et commode. De ..., ce 18 août 17** LETTRE XVIII CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Quoi! Sophie, tu blùmes d'avance ce que je vais faire! J'avais déjà bien assez d'inquiétudes; voilà que tu les augmentes encore. Il est clair, dis-tu, que je ne dois pas répondre. Tu en parles bien à ton aise; et d'ailleurs, tu ne sais pas au juste ce qui en est tu n'es pas là pour voir. Je suis sûre que si tu étais à ma place, tu ferais comme moi. Sûrement, en général, on ne doit pas répondre; et tu as bien vu, par ma Lettre d'hier, que je ne le voulais pas non plus mais c'est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvé dans le cas oÃÂč je suis. Et encore ÃÂȘtre obligée de me décider toute seule! Madame de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n'est pas venue. Tout s'arrange contre moi c'est elle qui est cause que je le connais. C'est presque toujours avec elle que je l'ai vu que je lui ai parlé. Ce n'est pas que je lui en veuille du mal mais elle me laisse là au moment de l'embarras. Oh! je suis bien à plaindre! Figure-toi qu'il est venu hier comme à l'ordinaire. J'étais si troublée que je n'osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que Maman était là . Je me doutais bien qu'il serait fùché, quand il verrait que je ne lui avais pas écrit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant aprÚs il me demanda si je voulais qu'il allùt chercher ma harpe. Le cÅ“ur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de répondre qu'oui. Quand il revint, c'était bien pis. Je ne le regardai qu'un petit moment. Il ne me regardait pas, lui; mais il avait un air qu'on aurait dit qu'il était malade. Ça me faisait bien de la peine. Il se mit à accorder ma harpe, et aprÚs, en me l'apportant, il me dit " Ah! Mademoiselle! " Il ne me dit que ces deux mots-là ; mais c'était d'un ton que j'en fus toute bouleversée. Je préludais sur ma harpe, sans savoir ce que je faisais. Maman demanda si nous ne chanterions pas. Lui s'excusa, en disant qu'il était un peu malade; et moi, qui n'avais pas d'excuse, il me fallut chanter. J'aurais voulu n'avoir jamais eu de voix. Je choisis exprÚs un air que je ne savais pas; car j'étais bien sûre que je ne pourrais en chanter aucun, et on se serait aperçu de quelque chose. Heureusement il vint une visite; et, dÚs que j'entendis entrer un carrosse, je cessai, et le priai de reporter ma harpe. J'avais bien peur qu'il ne s'en allùt en mÃÂȘme temps; mais il revint. Pendant que Maman et cette Dame qui était venue causaient ensemble, je voulus le regarder encore un petit moment. Je rencontrai ses yeux, et il me fut impossible de détourner les miens. Un moment aprÚs je vis ses larmes couler, et il fut obligé de se retourner pour n'ÃÂȘtre pas vu. Pour le coup, je ne pus y tenir; je sentis que j'allais pleurer aussi. Je sortis, et tout de suite j'écrivis avec un crayon, sur un chiffon de papier " Ne soyez donc pas si triste, je vous en prie; je promets de vous répondre. " Sûrement, tu ne peux pas dire qu'il y ait du mal à cela; et puis c'était plus fort que moi. Je mis mon papier aux cordes de ma harpe, comme sa Lettre était, et je revins dans le salon. Je me sentais plus tranquille. Il me tardait bien que cette Dame s'en fût. Heureusement, elle était en visite; elle s'en alla bientÎt aprÚs. AussitÎt qu'elle fut sortie, je dis que je voulais reprendre ma harpe, et je le priai de l'aller chercher. Je vis bien, à son air, qu'il ne se doutait de rien. Mais au retour, oh! comme il était content! En posant ma harpe vis-à -vis de moi, il se plaça de façon que Maman ne pouvait voir, et il prit ma main qu'il serra, mais d'une façon! ce ne fut qu'un moment mais je ne saurais te dire le plaisir que ça m'a fait. Je la retirai pourtant; ainsi je n'ai rien à me reprocher. A présent, ma bonne amie, tu vois bien que je ne peux pas me dispenser de lui écrire, puisque je le lui ai promis; et puis, je n'irai pas lui refaire du chagrin; car j'en souffre plus que lui. Si c'était pour quelque chose de mal, sûrement je ne le ferais pas. Mais quel mal peut-il y avoir à écrire, surtout quand c'est pour empÃÂȘcher quelqu'un d'ÃÂȘtre malheureux? Ce qui m'embarrasse, c'est que je ne saurai pas bien faire ma Lettre mais il sentira bien que ce n'est pas ma faute; et puis je suis sûre que rien que de ce qu'elle sera de moi, elle lui fera toujours plaisir. Adieu, ma chÚre amie. Si tu trouves que j'ai tort, dis-le-moi; mais je ne crois pas. A mesure que le moment de lui écrire approche, mon cÅ“ur bat que ça ne se conçoit pas. Il le faut pourtant bien, puisque je l'ai promis. Adieu. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Vous étiez si triste, hier, Monsieur, et cela me faisait tant de peine, que je me suis laissée aller à vous promettre de répondre à la Lettre que vous m'avez écrite. Je n'en sens pas moins aujourd'hui que je ne le dois pas pourtant, comme je l'ai promis, je ne veux pas manquer à ma parole, et cela doit bien vous prouver l'amitié que j'ai pour vous. A présent que vous le savez, j'espÚre que vous ne me demanderez pas de vous écrire davantage. J'espÚre aussi que vous ne direz à personne que je vous ai écrit; parce que sûrement on m'en blùmerait, et que cela pourrait me causer bien du chagrin. J'espÚre surtout que vous-mÃÂȘme n'en prendrez pas mauvaise idée de moi, ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je n'aurais pas eu cette complaisance-là pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus ÃÂȘtre triste comme vous étiez; ce qui m'Îte tout le plaisir que j'ai à vous voir. Vous voyez, Monsieur, que je vous parle bien sincÚrement. Je ne demande pas mieux que notre amitié dure toujours; mais, je vous en prie, ne m'écrivez plus. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Cécile Volanges De ..., ce 20 août 17** LETTRE XX LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Ah! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous! Allons, je vous fais grùce vous m'écrivez tant de folies, qu'il faut bien que je vous pardonne la sagesse oÃÂč vous tient votre Présidente. Je ne crois pas que mon Chevalier eût autant d'indulgence que moi; il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, et à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J'en ai pourtant bien ri, et j'étais vraiment fùchée d'ÃÂȘtre obligée d'en rire toute seule. Si vous eussiez été là , je ne sais oÃÂč m'aurait menée cette gaieté mais j'ai eu le temps de la réflexion et je me suis armée de sévérité. Ce n'est pas que je refuse pour toujours; mais je diffÚre, et j'ai raison. J'y mettrais peut-ÃÂȘtre de la vanité, et, une fois piquée au jeu, on ne sait plus oÃÂč l'on s'arrÃÂȘte. Je serais femme à vous enchaÃner de nouveau, à vous faire oublier votre Présidente; et si j'allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale! Pour éviter ce danger, voici mes conditions. AussitÎt que vous aurez eu votre belle Dévote, que vous pourrez m'en fournir une preuve, venez, et je suis à vous. Mais vous n'ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d'une part, je deviendrai une récompense au lieu d'ÃÂȘtre une consolation; et cette idée me plaÃt davantage de l'autre votre succÚs en sera plus piquant, en devenant lui-mÃÂȘme un moyen d'infidélité. Venez donc, venez au plus tÎt m'apporter le gage de votre triomphe semblable à nos preux Chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leur Dame les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de savoir ce que peut écrire une Prude aprÚs un tel moment, et quel voile elle met sur ses discours, aprÚs n'en avoir plus laissé sur sa personne. C'est à vous de voir si je me mets à un prix trop haut; mais je vous préviens qu'il n'y a rien à rabattre. Jusque-là , mon cher Vicomte, vous trouverez bon que je reste fidÚle à mon Chevalier, et que je m'amuse à le rendre heureux, malgré le petit chagrin que cela vous cause. Cependant si j'avais moins de mÅ“urs, je crois qu'il aurait, dans ce moment, un rival dangereux; c'est la petite Volanges. Je raffole de cet enfant c'est une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cÅ“ur se développer, et c'est un spectacle ravissant. Elle aime déjà son Danceny avec fureur; mais elle n'en sait encore rien. Lui- mÃÂȘme, quoique trÚs amoureux, a encore la timidité de son ùge, et n'ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-à -vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret; particuliÚrement depuis quelques jours je l'en vois vraiment oppressée et je lui aurais rendu un grand service de l'aider un peu mais je n'oublie pas que c'est un enfant, et je ne veux pas me compromettre. Danceny m'a parlé un peu plus clairement; mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas l'entendre. Quant à la petite, je suis souvent tentée d'en faire mon élÚve; c'est un service que j'ai envie de rendre à Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilà en Corse jusqu'au mois d'Octobre. J'ai dans l'idée que j'emploierai ce temps-là , et que nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente Pensionnaire. Quelle est donc en effet l'insolente sécurité de cet homme, qui ose dormir tranquille, tandis qu'une femme, qui a à se plaindre de lui, ne s'est pas encore vengée? Tenez, si la petite était ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas. Adieu, Vicomte; bonsoir et bon succÚs mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n'avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Enfin, ma belle amie, j'ai fait un pas en avant, mais un grand pas; et qui, s'il ne m'a pas conduit jusqu'au but, m'a fait connaÃtre au moins que je suis dans la route, et a dissipé la crainte oÃÂč j'étais de m'ÃÂȘtre égaré. J'ai enfin déclaré mon amour; et quoiqu'on ait gardé le silence le plus obstiné, j'ai obtenu la réponse peut-ÃÂȘtre la moins équivoque et la plus flatteuse mais n'anticipons pas sur les événements, et reprenons plus haut. Vous vous souvenez qu'on faisait épier mes démarches. Eh bien! j'ai voulu que ce moyen scandaleux tournùt à l'édification publique, et voici ce que j'ai fait. J'ai chargé mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eût besoin de secours. Cette commission n'était pas difficile à remplir. Hier aprÚs-midi, il me rendit compte qu'on devait saisir aujourd'hui, dans la matinée, les meubles d'une famille entiÚre qui ne pouvait payer la taille. Je m'assurai qu'il n'y eût dans cette maison aucune fille ou femme dont l'ùge ou la figure pussent rendre mon action suspecte; et, quand je fus bien informé, je déclarai à souper mon projet d'aller à la chasse le lendemain. Ici je dois rendre justice à ma Présidente sans doute elle eut quelques remords des ordres qu'elle avait donnés; et, n'ayant pas la force de vaincre sa curiosité, elle eut au moins celle de contrarier mon désir. Il devait faire une chaleur excessive; je risquais de me rendre malade; je ne tuerais rien et me fatiguerais en vain; et, pendant ce dialogue, ses yeux, qui parlaient peut-ÃÂȘtre mieux qu'elle ne voulait, me faisaient assez connaÃtre qu'elle désirait que je prisse pour bonnes ces mauvaises raisons. Je n'avais garde de m'y rendre, comme vous pouvez croire, et je résistai de mÃÂȘme à une petite diatribe contre la chasse et les Chasseurs, et à un petit nuage d'humeur qui obscurcit, toute la soirée, cette figure céleste. Je craignis un moment que ses ordres ne fussent révoqués, et que sa délicatesse ne me nuisÃt. Je ne calculais pas la curiosité d'une femme; aussi me trompais- je. Mon Chasseur me rassura dÚs le soir mÃÂȘme, et je me couchai satisfait. Au point du jour je me lÚve et je pars. A peine à cinquante pas du Chùteau, j'aperçois mon espion qui me suit. J'entre en chasse, et marche à travers champs vers le Village oÃÂč je voulais me rendre; sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drÎle qui me suivait, et qui, n'osant pas quitter les chemins, parcourait souvent, à toute course, un espace triple du mien. A force de l'exercer, j'ai eu moi-mÃÂȘme une extrÃÂȘme chaleur, et je me suis assis au pied d'un arbre. N'a-t-il pas eu l'insolence de se couler derriÚre un buisson qui n'était pas à vingt pas de moi, et de s'y asseoir aussi? J'ai été tenté un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donné une leçon suffisante sur les dangers de la curiosité heureusement pour lui, je me suis ressouvenu qu'il était utile et mÃÂȘme nécessaire à mes projets; cette réflexion l'a sauvé. Cependant j'arrive au Village; je vois de la rumeur; je m'avance j'interroge; on me raconte le fait. Je fais venir le Collecteur; et, cédant à ma généreuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres, pour lesquelles on réduisait cinq personnes à la paille et au désespoir. AprÚs cette action si simple, vous n'imaginez pas quel chÅ“ur de bénédictions retentit autour de moi de la part des assistants! Quelles larmes de reconnaissance coulaient des yeux du vieux chef de cette famille, et embellissaient cette figure de Patriarche, qu'un moment auparavant l'empreinte farouche du désespoir rendait vraiment hideuse! J'examinais ce spectacle, lorsqu'un autre paysan, plus jeune, conduisant par la main une femme et deux enfants, et s'avançant vers moi à pas précipités, leur dit " Tombons tous aux pieds de cette image de Dieu " , et dans le mÃÂȘme instant, j'ai été entouré de cette famille, prosternée à mes genoux. J'avouerai ma faiblesse; mes yeux se sont mouillés de larmes, et j'ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. J'ai été étonné du plaisir qu'on éprouve en faisant le bien; et je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n'ont pas tant de mérite qu'on se plaÃt à nous le dire. Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé juste de payer à ces pauvres gens le plaisir qu'ils venaient de me faire. J'avais pris dix louis sur moi; je les leur ai donnés. Ici ont recommencé les remerciements, mais ils n'avaient plus ce mÃÂȘme degré de pathétique le nécessaire avait produit le grand, le véritable effet; le reste n'était qu'une simple expression de reconnaissance et d'étonnement pour des dons superflus. Cependant, au milieu des bénédictions bavardes de cette famille, je ne ressemblais pas mal au Héros d'un Drame, dans la scÚne du dénouement. Vous remarquerez que dans cette foule était surtout le fidÚle espion. Mon but était rempli je me dégageai d'eux tous, et regagnai le Chùteau. Tout calculé, je me félicite de mon invention. Cette femme vaut bien sans doute que je me donne tant de soins; ils seront un jour mes titres auprÚs d'elle; et l'ayant, en quelque sorte, ainsi payée d'avance, j'aurai le droit d'en disposer à ma fantaisie, sans avoir de reproche à me faire. J'oubliais de vous dire que pour mettre tout à profit, j'ai demandé à ces bonnes gens de prier Dieu pour le succÚs de mes projets. Vous allez voir si déjà leurs priÚres n'ont pas été en partie exaucées... Mais on m'avertit que le souper est servi, et il serait trop tard pour que cette Lettre partÃt si je ne la fermais qu'en me retirant. Ainsi, le reste à l'ordinaire prochain . J'en suis fùché, car le reste est le meilleur. Adieu, ma belle amie. Vous me volez un moment du plaisir de la voir. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Vous serez sans doute bien aise, Madame, de connaÃtre un trait de M. de Valmont, qui contraste beaucoup, ce me semble, avec tous ceux sous lesquels on vous l'a représenté. Il est si pénible de penser désavantageusement de qui que ce soit, si fùcheux de ne trouver que des vices chez ceux qui auraient toutes les qualités nécessaires pour faire aimer la vertu! Enfin vous aimez tant à user d'indulgence, que c'est vous obliger que de vous donner des motifs de revenir sur un jugement trop rigoureux. M. de Valmont me paraÃt fondé à espérer cette faveur, je dirais presque cette justice; et voici sur quoi je le pense. Il a fait ce matin une de ces courses qui pouvaient faire supposer quelque projet de sa part dans les environs, comme l'idée vous en était venue; idée que je m'accuse d'avoir saisie peut-ÃÂȘtre avec trop de vivacité. Heureusement pour lui, et surtout heureusement pour nous, puisque cela nous sauve d'ÃÂȘtre injustes, un de mes gens devait aller du mÃÂȘme cÎté que lui [Madame de Tourvel n'ose donc pas dire que c'était par son ordre?]; et c'est par là que ma curiosité répréhensible, mais heureuse, a été satisfaite. Il nous a rapporté que M. de Valmont, ayant trouvé au Village de ... une malheureuse famille dont on vendait les meubles, faute d'avoir pu payer les impositions, non seulement s'était empressé d'acquitter la dette de ces pauvres gens, mais mÃÂȘme leur avait donné une somme d'argent assez considérable. Mon Domestique a été témoin de cette vertueuse action; et il m'a rapporté de plus que les paysans, causant entre eux et avec lui, avaient dit qu'un Domestique, qu'ils ont désigné, et que le mien croit ÃÂȘtre celui de M. de Valmont, avait pris hier des informations sur ceux des habitants du Village qui pouvaient avoir besoin de secours. Si cela est ainsi, ce n'est mÃÂȘme plus seulement une compassion passagÚre, et que l'occasion détermine c'est le projet formé de faire du bien; c'est la sollicitude de la bienfaisance; c'est la plus belle vertu des plus belles ùmes; mais, soit hasard ou projet, c'est toujours une action honnÃÂȘte et louable, et dont le seul récit m'a attendrie jusqu'aux larmes. J'ajouterai de plus, et toujours par justice, que quand je lui ai parlé de cette action, de laquelle il ne disait mot, il a commencé par s'en défendre, et a eu l'air d'y mettre si peu de valeur lorsqu'il en est convenu, que sa modestie en doublait le mérite. A présent, dites-moi, ma respectable amie, si M. de Valmont est en effet un libertin sans retour? S'il n'est que cela et se conduit ainsi, que restera-t-il aux gens honnÃÂȘtes? Quoi! les méchants partageraient-ils avec les bons le plaisir sacré de la bienfaisance? Dieu permettrait-il qu'une famille vertueuse reçût, de la main d'un scélérat, des secours dont elle rendrait grùce à sa divine Providence? et pourrait-il se plaire à entendre des bouches pures répandre leurs bénédictions sur un réprouvé? Non. J'aime mieux croire que des erreurs, pour ÃÂȘtre longues, ne sont pas éternelles; et je ne puis penser que celui qui fait du bien soit l'ennemi de la vertu. M. de Valmont n'est peut-ÃÂȘtre qu'un exemple de plus du danger des liaisons. Je m'arrÃÂȘte à cette idée qui me plaÃt. Si, d'une part, elle peut servir à le justifier dans votre esprit, de l'autre, elle me rend de plus en plus précieuse l'amitié tendre qui m'unit à vous pour la vie. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Madame de Rosemonde et moi nous allons, dans l'instant, voir aussi l'honnÃÂȘte et malheureuse famille, et joindre nos secours tardifs à ceux de M. de Valmont. Nous le mÚnerons avec nous. Nous donnerons au moins à ces bonnes gens le plaisir de revoir leur bienfaiteur; c'est, je crois, tout ce qu'il nous a laissé à faire. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Nous en sommes restés à mon retour au Chùteau je reprends mon récit. Je n'eus que le temps de faire une courte toilette, et je me rendis au salon, oÃÂč ma Belle faisait de la tapisserie, tandis que le Curé du lieu lisait la Gazette à ma vieille tante. J'allai m'asseoir auprÚs du métier. Des regards, plus doux encore que de coutume, et presque caressants, me firent bientÎt deviner que le Domestique avait déjà rendu compte de sa mission. En effet, mon aimable Curieuse ne put garder plus longtemps le secret qu'elle m'avait dérobé; et, sans crainte d'interrompre un vénérable Pasteur dont le débit ressemblait pourtant à celui d'un prÎne " J'ai bien aussi ma nouvelle à débiter " , dit-elle; et tout de suite elle raconta mon aventure avec une exactitude qui faisait honneur à l'intelligence de son Historien. Vous jugez comme je déployai toute ma modestie mais qui pourrait arrÃÂȘter une femme qui fait, sans s'en douter, l'éloge de ce qu'elle aime? Je pris donc le parti de la laisser aller. On eût dit qu'elle prÃÂȘchait le panégyrique d'un Saint. Pendant ce temps, j'observais, non sans espoir, tout ce que promettaient à l'Amour son regard animé, son geste devenu plus libre, et surtout ce son de voix qui, par son altération déjà sensible, trahissait l'émotion de son ùme. A peine elle finissait de parler " Venez, mon neveu, me dit Madame de Rosemonde; venez, que je vous embrasse. " Je sentis aussitÎt que la jolie PrÃÂȘcheuse ne pourrait se défendre d'ÃÂȘtre embrassée à son tour. Cependant elle voulut fuir; mais elle fut bientÎt dans mes bras; et, loin d'avoir la force de résister, à peine lui restait-il celle de se soutenir. Plus j'observe cette femme, et plus elle me paraÃt désirable. Elle s'empressa de retourner à son métier, et eut l'air, pour tout le monde, de recommencer sa tapisserie; mais moi, je m'aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage. AprÚs le dÃner, les Dames voulurent aller voir les infortunés que j'avais si pieusement secourus; je les accompagnai. Je vous sauve l'ennui de cette seconde scÚne de reconnaissance et d'éloges. Mon cÅ“ur, pressé d'un souvenir délicieux, hùte le moment du retour au Chùteau. Pendant la route, ma belle Présidente, plus rÃÂȘveuse qu'à l'ordinaire, ne disait pas un mot. Tout occupé de trouver les moyens de profiter de l'effet qu'avait produit l'événement du jour, je gardais le mÃÂȘme silence. Madame de Rosemonde seule parlait et n'obtenait de nous que des réponses courtes et rares. Nous dûmes l'ennuyer; j'en avais le projet, et il réussit. Aussi, en descendant de voiture, elle passa dans son appartement, et nous laissa tÃÂȘte à tÃÂȘte ma Belle et moi, dans un salon mal éclairé; obscurité douce, qui enhardit l'Amour timide. Je n'eus pas la peine de diriger la conversation oÃÂč je voulais la conduire. La ferveur de l'aimable PrÃÂȘcheuse me servit mieux que n'aurait pu faire mon adresse, " Quand on est si digne de faire le bien, me dit-elle, en arrÃÂȘtant sur moi son doux regard comment passe-t-on sa vie à mal faire? - Je ne mérite, lui répondis-je, ni cet éloge, ni cette censure; et je ne conçois pas qu'avec autant d'esprit que vous en avez, vous ne m'ayez pas encore deviné. Dût ma confiance me nuire auprÚs de vous, vous en ÃÂȘtes trop digne, pour qu'il me soit possible de vous la refuser. Vous trouverez la clef de ma conduite dans un caractÚre malheureusement trop facile. Entouré de gens sans mÅ“urs, j'ai imité leurs vices; j'ai peut-ÃÂȘtre mis de l'Amour propre à les surpasser. Séduit de mÃÂȘme ici par l'exemple des vertus, sans espérer de vous atteindre, j'ai au moins essayé de vous suivre. Eh! peut-ÃÂȘtre l'action dont vous me louez aujourd'hui perdrait- elle tout son prix à vos yeux, si vous en connaissiez le véritable motif! Vous voyez, ma belle amie, combien j'étais prÚs de la vérité. Ce n'est pas à moi, continuai-je, que ces malheureux ont dû mes secours. OÃÂč vous croyez voir une action louable, je ne cherchais qu'un moyen de plaire. Je n'étais, puisqu'il faut le dire, que le faible agent de la Divinité que j'adore. Ici elle voulut m'interrompre; mais je ne lui en donnai pas le temps. Dans ce moment mÃÂȘme, ajoutai-je, mon secret ne m'échappe que par faiblesse. Je m'étais promis de vous le taire; je me faisais un bonheur de rendre à vos vertus comme à vos appas un hommage pur que vous ignoreriez toujours; mais, incapable de tromper, quand j'ai sous les yeux l'exemple de la candeur, je n'aurai point à me reprocher avec vous une dissimulation coupable. Ne croyez pas que je vous outrage par une criminelle espérance. Je serai malheureux, je le sais; mais mes souffrances me seront chÚres; elles me prouveront l'excÚs de mon amour; c'est à vos pieds, c'est dans votre sein que je déposerai mes peines. J'y puiserai des forces pour souffrir de nouveau; j'y trouverai la bonté compatissante, et je me croirai consolé, parce que vous m'aurez plaint. Ô vous que j'adore! écoutez-moi, plaignez-moi, secourez-moi! " Cependant j'étais à ses genoux, et je serrais ses mains dans les miennes mais elle, les dégageant tout à coup, et les croisant sur ses yeux avec l'expression du désespoir " Ah! malheureuse! " s'écria-t-elle; puis elle fondit en larmes. Par bonheur je m'étais livré à tel point, que je pleurais aussi; et, reprenant ses mains, je les baignais de pleurs. Cette précaution était bien nécessaire; car elle était si occupée de sa douleur, qu'elle ne se serait pas aperçue de la mienne, si je n'avais pas trouvé ce moyen de l'en avertir. J'y gagnai de plus de considérer à loisir cette charmante figure, embellie encore par l'attrait puissant des larmes. Ma tÃÂȘte s'échauffait, et j'étais si peu maÃtre de moi, que je fus tenté de profiter de ce moment. Quelle est donc notre faiblesse? quel est l'empire des circonstances, si moi- mÃÂȘme, oubliant mes projets, j'ai risqué de perdre, par un triomphe prématuré, le charme des longs combats et les détails d'une pénible défaite; si, séduit par un désir de jeune homme, j'ai pensé exposer le vainqueur de Madame de Tourvel à ne recueillir, pour fruit de ses travaux, que l'insipide avantage d'avoir eu une femme de plus! Ah! qu'elle se rende, mais qu'elle combatte; que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de résister; qu'elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse, et soit contrainte d'avouer sa défaite. Laissons le Braconnier obscur tuer à l'affût le cerf qu'il a surpris; le vrai Chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n'est-ce pas? mais peut-ÃÂȘtre serai-je à présent au regret de ne l'avoir pas suivi, si le hasard ne fût venu au secours de ma prudence. Nous entendÃmes du bruit. On venait au salon. Madame de Tourvel, effrayée, se leva précipitamment, se saisit d'un des flambeaux, et sortit. Il fallut bien la laisser faire. Ce n'était qu'un Domestique. AussitÎt que j'en fus assuré, je la suivis. A peine eus-je fait quelques pas, que, soit qu'elle me reconnût, soit un sentiment vague d'effroi, je l'entendis précipiter sa marche, et se jeter plutÎt qu'entrer dans son appartement dont elle ferma la porte sur elle. J'y allai; mais la clef était en dedans. Je me gardai bien de frapper; c'eût été lui fournir l'occasion d'une résistance trop facile. J'eus l'heureuse et simple idée de tenter de voir à travers la serrure, et je vis en effet cette femme adorable à genoux, baignée de larmes, et priant avec ferveur. Quel Dieu osait-elle invoquer? en est-il d'assez puissant contre l'Amour? En vain cherche-t-elle à présent des secours étrangers c'est moi qui réglerai son sort. Croyant en avoir assez fait pour un jour, je me retirai aussi dans mon appartement et me mis à vous écrire. J'espérais la revoir au souper; mais elle fit dire qu'elle s'était trouvée indisposée et s'était mise au lit. Madame de Rosemonde voulut monter chez elle, mais la malicieuse malade prétexta un mal de tÃÂȘte qui ne lui permettait de voir personne. Vous jugez qu'aprÚs le souper la veillée fut courte, et que j'eus aussi mon mal de tÃÂȘte. Retiré chez moi, j'écrivis une longue Lettre pour me plaindre de cette rigueur, et je me couchai, avec le projet de la remettre ce matin. J'ai mal dormi, comme vous pouvez voir par la date de cette Lettre. Je me suis levé, et j'ai relu mon EpÃtre. Je me suis aperçu que je ne m'y étais pas assez observé, que j'y montrais plus d'ardeur que d'amour, et plus d'humeur que de tristesse. Il faudra la refaire; mais il faudrait ÃÂȘtre plus calme. J'aperçois le point du jour, et j'espÚre que la fraÃcheur qui l'accompagne m'amÚnera le sommeil. Je vais me remettre au lit; et, quel que soit l'empire de cette femme, je vous promets de ne pas m'occuper tellement d'elle, qu'il ne me reste le temps de songer beaucoup à vous. Adieu, ma belle amie. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc., De ..., ce 21 août 17**, 4 heures du matin. LETTRE XXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Ah! par pitié, Madame, daignez calmer le trouble de mon ùme; daignez m'apprendre ce que je dois espérer ou craindre. Placé entre l'excÚs du bonheur et celui de l'infortune, l'incertitude est un tourment cruel. Pourquoi vous ai-je parlé? que n'ai-je pu résister au charme impérieux qui vous livrait mes pensées? Content de vous adorer en silence, je jouissais au moins de mon amour; et ce sentiment pur, que ne troublait point alors l'image de votre douleur, suffisait à ma félicité mais cette source de bonheur en est devenue une de désespoir, depuis que j'ai vu couler vos larmes; depuis que j'ai entendu ce cruel Ah! malheureuse! Madame, ces deux mots retentiront longtemps dans mon cÅ“ur. Par quelle fatalité, le plus doux des sentiments ne peut-il vous inspirer que l'effroi? quelle est donc cette crainte? Ah! ce n'est pas celle de le partager votre cÅ“ur, que j'ai mal connu, n'est pas fait pour l'Amour; le mien, que vous calomniez sans cesse, est le seul qui soit sensible; le vÎtre est mÃÂȘme sans pitié. S'il n'en était pas ainsi, vous n'auriez pas refusé un mot de consolation au malheureux qui vous racontait ses souffrances; vous ne vous seriez pas soustraite à ses regards, quand il n'a d'autre plaisir que celui de vous voir; vous ne vous seriez pas fait un jeu cruel de son inquiétude, en lui faisant annoncer que vous étiez malade sans lui permettre d'aller s'informer de votre état; vous auriez senti que cette mÃÂȘme nuit, qui n'était pour vous que douze heures de repos, allait ÃÂȘtre pour lui un siÚcle de douleurs. Par oÃÂč, dites-moi, ai-je mérité cette rigueur désolante? Je ne crains pas de vous prendre pour juge qu'ai-je donc fait? que céder à un sentiment involontaire, inspiré par la beauté et justifié par la vertu; toujours contenu par le respect, et dont l'innocent aveu fut l'effet de la confiance et non de l'espoir la trahirez-vous cette confiance que vous-mÃÂȘme avez semblé me permettre, et à laquelle je me suis livré sans réserve? Non, je ne puis le croire; ce serait vous supposer un tort, et mon cÅ“ur se révolte à la seule idée de vous en trouver un je désavoue mes reproches; j'ai pu les écrire, mais non pas les penser. Ah! laissez-moi vous croire parfaite, c'est le seul plaisir qui me reste. Prouvez-moi que vous l'ÃÂȘtes en m'accordant vos soins généreux. Quel malheureux avez- vous secouru, qui en eût autant de besoin que moi? ne m'abandonnez pas dans le délire oÃÂč vous m'avez plongé prÃÂȘtez-moi votre raison, puisque vous avez ravi la mienne; aprÚs m'avoir corrigé, éclairez-moi pour finir votre ouvrage. Je ne veux pas vous tromper, vous ne parviendrez point à vaincre mon amour; mais vous m'apprendrez à le régler en guidant mes démarches, en dictant mes discours, vous me sauverez au moins du malheur affreux de vous déplaire. Dissipez surtout cette crainte désespérante; dites-moi que vous me pardonnez, que vous me plaignez; assurez-moi de votre indulgence. Vous n'aurez jamais toute celle que je vous désirerais; mais je réclame celle dont j'ai besoin me la refuserez-vous? Adieu, Madame, recevez avec bonté l'hommage de mes sentiments; il ne nuit point à celui de mon respect. De ..., ce 20 août 17** LETTRE XXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Voici le bulletin d'hier. A onze heures j'entrai chez Madame de Rosemonde et, sous ses auspices, je fus introduit chez la feinte malade, qui était encore couchée. Elle avait les yeux trÚs battus; j'espÚre qu'elle avait aussi mal dormi que moi. Je saisis un moment, oÃÂč Madame de Rosemonde s'était éloignée, pour remettre ma Lettre on refusa de la prendre; mais je la laissai sur le lit, et allai bien honnÃÂȘtement approcher le fauteuil de ma vieille tante, qui voulait ÃÂȘtre auprÚs de son cher enfant il fallut bien serrer la Lettre pour éviter le scandale. La malade dit maladroitement qu'elle croyait avoir un peu de fiÚvre. Madame de Rosemonde m'engagea à lui tùter le pouls, en vantant beaucoup mes connaissances en médecine. Ma Belle eut donc le double chagrin d'ÃÂȘtre obligée de me livrer son bras, et de sentir que son petit mensonge allait ÃÂȘtre découvert. En effet, je pris sa main que je serrai dans une des miennes, pendant que de l'autre, je parcourais son bras frais et potelé; la malicieuse personne ne répondit à rien, ce qui me fit dire en me retirant " Il n'y a pas mÃÂȘme la plus légÚre émotion. " Je me doutai que ses regards devaient ÃÂȘtre sévÚres, et, pour la punir, je ne les cherchai pas un moment aprÚs, elle dit qu'elle voulait se lever, et nous la laissùmes seule. Elle parut au dÃner qui fut triste; elle annonça qu'elle n'irait pas se promener, ce qui était me dire que je n'aurais pas l'occasion de lui parler. Je sentis bien qu'il fallait placer là un soupir et un regard douloureux sans doute elle s'y attendait, car ce fut le seul moment de la journée oÃÂč je parvins à rencontrer ses yeux. Toute sage qu'elle est, elle a ses petites ruses comme une autre. Je trouvai le moment de lui demander si elle avait eu la bonté de m'instruire de mon sort , et je fus un peu étonné de l'entendre me répondre Oui, Monsieur, je vous ai écrit . J'étais fort empressé d'avoir cette Lettre; mais soit ruse encore, ou maladresse, ou timidité, elle ne me la remit que le soir, au moment de se retirer chez elle. Je vous l'envoie ainsi que le brouillon de la mienne; lisez et jugez voyez avec quelle insigne fausseté elle affirme qu'elle n'a point d'amour, quand je suis sûr du contraire; et puis elle se plaindra si je la trompe aprÚs, quand elle ne craint pas de me tromper avant! Ma belle amie, l'homme le plus adroit ne peut encore que se tenir au niveau de la femme la plus vraie. Il faudra pourtant feindre de croire à tout ce radotage, et se fatiguer de désespoir, parce qu'il plaÃt à Madame de jouer la rigueur! Le moyen de ne pas se venger de ces noirceurs-là ... ah! patience... mais adieu. J'ai encore beaucoup à écrire. A propos, vous me renverrez la Lettre de l'inhumaine; il se pourrait faire que par la suite elle voulût qu'on mÃt du prix à ces misÚres-là , et il faut ÃÂȘtre en rÚgle. Je ne vous parle pas de la petite Volanges; nous en causerons au premier jour. Du Chùteau, ce 22 août 17** LETTRE XXVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Sûrement, Monsieur, vous n'auriez eu aucune Lettre de moi, si ma sotte conduite d'hier au soir ne me forçait d'entrer aujourd'hui en explication avec vous. Oui, j'ai pleuré, je l'avoue peut-ÃÂȘtre aussi les deux mots que vous me citez avec tant de soin me sont-ils échappés; larmes et paroles, vous avez tout remarqué; il faut donc vous expliquer tout. Accoutumée à n'inspirer que des sentiments honnÃÂȘtes, à n'entendre que des discours que je puis écouter sans rougir, à jouir par conséquent d'une sécurité que j'ose dire que je mérite; je ne sais ni dissimuler ni combattre les impressions que j'éprouve. L'étonnement et l'embarras oÃÂč m'a jetée votre procédé; je ne sais quelle crainte, inspirée par une situation qui n'eût jamais dû ÃÂȘtre faite pour moi, peut-ÃÂȘtre l'idée révoltante de me voir confondue avec les femmes que vous méprisez, et traitée aussi légÚrement qu'elles; toutes ces causes réunies ont provoqué mes larmes, et ont pu me faire dire, avec raison je crois, que j'étais malheureuse. Cette expression, que vous trouvez si forte, serait sûrement beaucoup trop faible encore, si mes pleurs et mes discours avaient eu un autre motif; si au lieu de désapprouver des sentiments qui doivent m'offenser, j'avais pu craindre de les partager. Non, Monsieur, je n'ai pas cette crainte; si je l'avais, je fuirais à cent lieues de vous; j'irais pleurer dans un désert le malheur de vous avoir connu. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme, malgré la certitude oÃÂč je suis de ne point vous aimer jamais, peut-ÃÂȘtre aurais-je mieux fait de suivre les conseils de mes amis; de ne pas vous laisser approcher de moi. J'ai cru, et c'est là mon seul tort, j'ai cru que vous respecteriez une femme honnÃÂȘte, qui ne demandait pas mieux que de vous trouver tel et de vous rendre justice; qui déjà vous défendait, tandis que vous l'outragiez par vos vÅ“ux criminels. Vous ne me connaissez pas; non, Monsieur, vous ne me connaissez pas. Sans cela, vous n'auriez pas cru vous faire un droit de vos torts parce que vous m'avez tenu des discours que je ne devais pas entendre, vous ne vous seriez pas cru autorisé à m'écrire une Lettre que je ne devais pas lire, et vous me demandez de guider vos démarches, de dicter vos discours ! Hé bien, Monsieur, le silence et l'oubli, voilà les conseils qu'il me convient de vous donner, comme à vous de les suivre; alors, vous aurez, en effet, des droits à mon indulgence il ne tiendrait qu'à vous d'en obtenir mÃÂȘme à ma reconnaissance... Mais non, je ne ferai point une demande à celui qui ne m'a point respectée; je ne donnerai point une marque de confiance à celui qui a abusé de ma sécurité. Vous me forcez à vous craindre, peut-ÃÂȘtre à vous haïr je ne le voulais pas; je ne voulais voir en vous que le neveu de ma plus respectable amie; j'opposais la voix de l'amitié à la voix publique qui vous accusait. Vous avez tout détruit; et, je le prévois, vous ne voudrez rien réparer. Je m'en tiens, Monsieur, à vous déclarer que vos sentiments m'offensent, que leur aveu m'outrage, et surtout que, loin d'en venir un jour à les partager, vous me forceriez à ne vous revoir jamais, si vous ne vous imposiez sur cet objet un silence qu'il me semble avoir droit d'attendre, et mÃÂȘme d'exiger de vous. Je joins à cette Lettre celle que vous m'avez écrite, et j'espÚre que vous voudrez bien de mÃÂȘme me remettre celle-ci; je serais vraiment peinée qu'il restùt aucune trace d'un événement qui n'eût jamais dû exister. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 21 août 17** LETTRE XXVII CECILE VOLANGES A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon Dieu, que vous ÃÂȘtes bonne, Madame! comme vous avez bien senti qu'il me serait plus facile de vous écrire que de vous parler! Aussi, c'est que ce que j'ai à vous dire est bien difficile; mais vous ÃÂȘtes mon amie, n'est-il pas vrai? Oh! oui, ma bien bonne amie! Je vais tùcher de n'avoir pas peur; et puis, j'ai tant besoin de vous, de vos conseils! J'ai bien du chagrin, il me semble que tout le monde devine ce que je pense; et surtout quand il est là , je rougis dÚs qu'on me regarde. Hier, quand vous m'avez vue pleurer, c'est que je voulais vous parler, et puis, je ne sais quoi m'en empÃÂȘchait; et quand vous m'avez demandé ce que j'avais, mes larmes sont venues malgré moi. Je n'aurais pas pu dire une parole. Sans vous, Maman allait s'en apercevoir, et qu'est-ce que je serais devenue? Voilà pourtant comme je passe ma vie, surtout depuis quatre jours! C'est ce jour-là , Madame, oui je vais vous le dire, c'est ce jour-là que M. le Chevalier Danceny m'a écrit oh! je vous assure que quand j'ai trouvé sa Lettre, je ne savais pas du tout ce que c'était; mais, pour ne pas mentir, je ne peux pas dire que je n'aie eu bien du plaisir en la lisant; voyez- vous, j'aimerais mieux avoir du chagrin toute ma vie, que s'il ne me l'eût pas écrite. Mais je savais bien que je ne devais pas le lui dire, et je peux bien vous assurer mÃÂȘme que je lui ai dit que j'en étais fùchée; mais il dit que c'était plus fort que lui, et je le crois bien; car j'avais résolu de ne lui pas répondre, et pourtant je n'ai pas pu m'en empÃÂȘcher. Oh! je ne lui ai écrit qu'une fois, et mÃÂȘme c'était, en partie, pour lui dire de ne plus m'écrire mais malgré cela il m'écrit toujours; et comme je ne lui réponds pas, je vois bien qu'il est triste, et ça m'afflige encore davantage si bien que je ne sais plus que faire, ni que devenir, et que je suis bien à plaindre. Dites-moi, je vous en prie, Madame, est-ce que ce serait bien mal de lui répondre de temps en temps? seulement jusqu'à ce qu'il ait pu prendre sur lui de ne plus m'écrire lui-mÃÂȘme, et de rester comme nous étions avant car, pour moi, si cela continue, je ne sais pas ce que je deviendrai. Tenez, en lisant sa derniÚre Lettre, j'ai pleuré que ça ne finissait pas; et je suis bien sûre que si je ne lui réponds pas encore, ça nous fera bien de la peine. Je vais vous envoyer sa Lettre aussi, ou bien une copie, et vous jugerez; vous verrez bien que ce n'est rien de mal qu'il demande. Cependant si vous trouvez que ça ne se doit pas, je vous promets de m'en empÃÂȘcher; mais je crois que vous penserez comme moi, que ce n'est pas là du mal. Pendant que j'y suis, Madame, permettez-moi de vous faire encore une question on m'a bien dit que c'était mal d'aimer quelqu'un; mais pourquoi cela? Ce qui me fait vous le demander, c'est que M. le Chevalier Danceny prétend que ce n'est pas mal du tout, et que presque tout le monde aime; si cela était, je ne vois pas pourquoi je serais la seule à m'en empÃÂȘcher; ou bien est-ce que ce n'est un mal que pour les demoiselles? car j'ai entendu Maman elle-mÃÂȘme dire que Madame D... aimait M. M... et elle n'en parlait pas comme d'une chose qui serait si mal; et pourtant je suis sûre qu'elle se fùcherait contre moi, si elle se doutait seulement de mon amitié pour M. Danceny. Elle me traite toujours comme un enfant, Maman; et elle ne me dit rien du tout. Je croyais, quand elle m'a fait sortir du Couvent, que c'était pour me marier; mais à présent il me semble que non ce n'est pas que je m'en soucie, je vous assure; mais vous, qui ÃÂȘtes si amie avec elle, vous savez peut-ÃÂȘtre ce qui en est, et si vous le savez, j'espÚre que vous me le direz. Voilà une bien longue Lettre, Madame, mais puisque vous m'avez permis de vous écrire, j'en ai profité pour vous dire tout, et je compte sur votre amitié. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. Paris, ce 23 août 17** LETTRE XXVIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Eh! quoi, Mademoiselle, vous refusez toujours de me répondre! rien ne peut vous fléchir; et chaque jour emporte avec lui l'espoir qu'il avait amené! Quelle est donc cette amitié que vous consentez qui subsiste entre nous, si elle n'est pas mÃÂȘme assez puissante pour vous rendre sensible à ma peine; si elle vous laisse froide et tranquille, tandis que j'éprouve les tourments d'un feu que je ne puis éteindre; si, loin de vous inspirer de la confiance, elle ne suffit pas mÃÂȘme à faire naÃtre votre pitié? Quoi! votre ami souffre et vous ne faites rien pour le secourir! Il ne vous demande qu'un mot, et vous le lui refusez! et vous voulez qu'il se contente d'un sentiment si faible, dont vous craignez encore de lui réitérer les assurances! Vous ne voudriez pas ÃÂȘtre ingrate, disiez-vous hier ah! croyez-moi, Mademoiselle, vouloir payer de l'Amour avec de l'amitié, ce n'est pas craindre l'ingratitude, c'est redouter seulement d'en avoir l'air. Cependant je n'ose plus vous entretenir d'un sentiment qui ne peut que vous ÃÂȘtre à charge, s'il ne vous intéresse pas; il faut au moins le renfermer en moi-mÃÂȘme, en attendant que j'apprenne à le vaincre. Je sens combien ce travail sera pénible; je ne me dissimule pas que j'aurai besoin de toutes mes forces; je tenterai tous les moyens il en est un qui coûtera le plus à mon cÅ“ur, ce sera celui de me répéter souvent que le vÎtre est insensible. J'essaierai mÃÂȘme de vous voir moins, et déjà je m'occupe d'en trouver un prétexte plausible. Quoi! je perdrais la douce habitude de vous voir chaque jour! Ah! du moins je ne cesserai jamais de la regretter. Un malheur éternel sera le prix de l'Amour le plus tendre; et vous l'aurez voulu, et ce sera votre ouvrage! Jamais, je le sens, je ne retrouverai le bonheur que je perds aujourd'hui; vous seule étiez faite pour mon cÅ“ur; avec quel plaisir je ferais le serment de ne vivre que pour vous. Mais vous ne voulez pas le recevoir; votre silence m'apprend assez que votre cÅ“ur ne vous dit rien pour moi; il est à la fois la preuve la plus sûre de votre indifférence, et la maniÚre la plus cruelle de me l'annoncer. Adieu, Mademoiselle. Je n'ose plus me flatter d'une réponse; l'Amour l'eût écrite avec empressement, l'amitié avec plaisir, la pitié mÃÂȘme avec complaisance mais la pitié, l'amitié et l'Amour sont également étrangers à votre cÅ“ur. Paris, ce 23 août 17** LETTRE XXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je te le disais bien, Sophie, qu'il y avait des cas oÃÂč on pouvait écrire; et je t'assure que je me reproche bien d'avoir suivi ton avis, qui nous a tant fait de peine, au Chevalier Danceny et à moi. La preuve que j'avais raison, c'est que Madame de Merteuil, qui est une femme qui sûrement le sait bien, a fini par penser comme moi. Je lui ai tout avoué. Elle m'a bien dit d'abord comme toi mais quand je lui ai eu tout expliqué, elle est convenue que c'était bien différent; elle exige seulement que je lui fasse voir toutes mes Lettres et toutes celles du Chevalier Danceny, afin d'ÃÂȘtre sûre que je ne dirai que ce qu'il faudra; ainsi, à présent, me voilà tranquille. Mon Dieu, que je l'aime Madame de Merteuil! elle est si bonne! et c'est une femme bien respectable. Ainsi il n'y a rien à dire. Comme je m'en vais écrire à M. Danceny, et comme il va ÃÂȘtre content! il le sera encore plus qu'il ne croit; car jusqu'ici je ne lui parlais que de mon amitié, et lui voulait toujours que je dise mon amour. Je crois que c'était bien la mÃÂȘme chose; mais enfin je n'osais pas, et il tenait à cela. Je l'ai dit à Madame de Merteuil; elle m'a dit que j'avais eu raison, et qu'il ne fallait convenir d'avoir de l'Amour, que quand on ne pouvait plus s'en empÃÂȘcher or je suis bien sûre que je ne pourrai pas m'en empÃÂȘcher plus longtemps; aprÚs tout c'est la mÃÂȘme chose, et cela lui plaira davantage. Madame de Merteuil m'a dit aussi qu'elle me prÃÂȘterait des Livres qui parlaient de tout cela, et qui m'apprendraient bien à me conduire, et aussi à mieux écrire que je ne fais car, vois-tu, elle me dit tous mes défauts, ce qui est une preuve qu'elle m'aime bien; elle m'a recommandé seulement de ne rien dire à Maman de ces Livres-là parce que ça aurait l'air de trouver qu'elle a trop négligé mon éducation, et ça pourrait la fùcher. Oh! je ne lui en dirai rien. C'est pourtant bien extraordinaire qu'une femme qui ne m'est presque pas parente prenne plus de soin de moi que ma mÚre! c'est bien heureux pour moi de l'avoir connue! Elle a demandé aussi à Maman de me mener aprÚs-demain à l'Opéra, dans sa loge; elle m'a dit que nous y serions toutes seules, et nous causerons tout le temps, sans craindre qu'on nous entende j'aime bien mieux cela que l'Opéra. Nous causerons aussi de mon mariage car elle m'a dit que c'était bien vrai que j'allais me marier; mais nous n'avons pas pu en dire davantage. Par exemple, n'est-ce pas encore bien étonnant que Maman ne m'en dise rien du tout? Adieu, ma Sophie, je m'en vas écrire au Chevalier Danceny. Oh! je suis bien contente. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Enfin, Monsieur, je consens à vous écrire, à vous assurer de mon amitié, de mon amour , puisque, sans cela, vous seriez malheureux. Vous dites que je n'ai pas bon cÅ“ur; je vous assure bien que vous vous trompez, et j'espÚre qu'à présent vous n'en doutez plus. Si vous avez du chagrin de ce que je ne vous écrivais pas, croyez-vous que ça ne me faisait pas de la peine aussi? Mais c'est que, pour toute chose au monde, je ne voudrais pas faire quelque chose qui fût mal; et mÃÂȘme je ne serais sûrement pas convenue de mon amour, si j'avais pu m'en empÃÂȘcher mais votre tristesse me faisait trop de peine. J'espÚre qu'à présent vous n'en aurez plus, et que nous allons ÃÂȘtre bien heureux. Je compte avoir le plaisir de vous voir ce soir, et que vous viendrez de bonne heure; ce ne sera jamais aussi tÎt que je le désire. Maman soupe chez elle, et je crois qu'elle vous proposera d'y rester j'espÚre que vous ne serez pas engagé comme avant-hier. C'était donc bien agréable, le souper oÃÂč vous alliez? car vous y avez été de bien bonne heure. Mais enfin ne parlons pas de ça à présent que vous savez que je vous aime, j'espÚre que vous resterez avec moi le plus que vous pourrez; car je ne suis contente que lorsque je suis avec vous, et je voudrais bien que vous fussiez tout de mÃÂȘme. Je suis bien fùchée que vous ÃÂȘtes encore triste à présent, mais ce n'est pas ma faute. Je demanderai à jouer de la harpe aussitÎt que vous serez arrivé, afin que vous ayez ma lettre tout de suite. Je ne peux mieux faire... Adieu, Monsieur. Je vous aime bien, de tout mon cÅ“ur; plus je vous le dis, plus je suis contente; j'espÚre que vous le serez aussi. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Oui, sans doute, nous serons heureux. Mon bonheur est bien sûr, puisque je suis aimé de vous; le vÎtre ne finira jamais, s'il doit durer autant que l'Amour que vous m'avez inspiré. Quoi! vous m'aimez, vous ne craignez plus de m'assurer de votre amour! Plus vous me le dites, et plus vous ÃÂȘtes contente! AprÚs avoir lu ce charmant je vous aime , écrit de votre main, j'ai entendu votre belle bouche m'en répéter l'aveu. J'ai vu se fixer sur moi ces yeux charmants qu'embellissait encore l'expression de la tendresse. J'ai reçu vos serments de vivre toujours pour moi. Ah! recevez le mien de consacrer ma vie entiÚre à votre bonheur; recevez-le, et soyez sûre que je ne le trahirai pas. Quelle heureuse journée nous avons passée hier! Ah! pourquoi Madame de Merteuil n'a-t-elle pas tous les jours des secrets à dire à votre Maman? pourquoi faut-il que l'idée de la contrainte qui nous attend vienne se mÃÂȘler au souvenir délicieux qui m'occupe? pourquoi ne puis-je sans cesse tenir cette jolie main qui m'a écrit je vous aime! la couvrir de baisers, et me venger ainsi du refus que vous m'avez fait d'une faveur plus grande! Dites-moi, ma Cécile, quand votre Maman a été rentrée; quand nous avons été forcés, par sa présence, de n'avoir plus l'un pour l'autre que des regards indifférents; quand vous ne pouviez plus me consoler, par l'assurance de votre amour, du refus que vous faisiez de m'en donner des preuves, n'avez-vous donc senti aucun regret? ne vous ÃÂȘtes-vous pas dit Un baiser l'eût rendu plus heureux, et c'est moi qui lui ai ravi ce bonheur? Promettez-moi, mon aimable amie, qu'à la premiÚre occasion vous serez moins sévÚre. A l'aide de cette promesse, je trouverai du courage pour supporter les contrariétés que les circonstances nous préparent; et les privations cruelles seront au moins adoucies par la certitude que vous en partagez le secret. Adieu, ma charmante Cécile voici l'heure oÃÂč je dois me rendre chez vous. Il me serait impossible de vous quitter, si ce n'était pour aller vous revoir. Adieu, vous que j'aime tant! vous, que j'aimerai toujours davantage! De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXII MADAME DE VOLANGES A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous voulez donc, Madame, que je croie à la vertu de M. de Valmont? J'avoue que je ne puis m'y résoudre, et que j'aurais autant de peine à le juger honnÃÂȘte, d'aprÚs le seul fait que vous me racontez, qu'à croire vicieux un homme de bien reconnu, dont j'apprendrais une faute. L'humanité n'est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l'honnÃÂȘte homme a ses faiblesses. Cette vérité me paraÃt d'autant plus nécessaire à croire, que c'est d'elle que dérive la nécessité de l'indulgence pour les méchants comme pour les bons; et qu'elle préserve ceux-ci de l'orgueil, et sauve les autres du découragement. Vous trouverez sans doute que je pratique bien mal dans ce moment cette indulgence que je prÃÂȘche; mais je ne vois plus en elle qu'une faiblesse dangereuse, quand elle nous mÚne à traiter de mÃÂȘme le vicieux et l'homme de bien. Je ne me permettrai point de scruter les motifs de l'action de M. de Valmont; je veux croire qu'ils sont louables comme elle mais en a-t-il moins passé sa vie à porter dans les familles le trouble, le déshonneur et le scandale? Ecoutez, si vous voulez, la voix du malheureux qu'il a secouru; mais qu'elle ne vous empÃÂȘche pas d'entendre les cris de cent victimes qu'il a immolées. Quand il ne serait, comme vous le dites, qu'un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-mÃÂȘme une liaison dangereuse? Vous le supposez susceptible d'un retour heureux? allons plus loin; supposons ce miracle arrivé. Ne resterait-il pas contre lui l'opinion publique, et ne suffit-elle pas pour régler votre conduite? Dieu seul peut absoudre au moment du repentir; il lit dans les cÅ“urs mais les hommes ne peuvent juger les pensées que par les actions; et nul d'entre eux, aprÚs avoir perdu l'estime des autres, n'a droit de se plaindre de la méfiance nécessaire, qui rend cette perte si difficile à réparer. Songez surtout, ma jeune amie, que quelquefois il suffit, pour perdre cette estime, d'avoir l'air d'y attacher trop peu de prix; et ne taxez pas cette sévérité d'injustice car, outre qu'on est fondé à croire qu'on ne renonce pas à ce bien précieux quand on a droit d'y prétendre, celui-là est en effet plus prÚs de mal faire, qui n'est plus contenu par ce frein puissant. Tel serait cependant l'aspect sous lequel vous montrerait une liaison intime avec M. de Valmont, quelque innocente qu'elle pût ÃÂȘtre. Effrayée de la chaleur avec laquelle vous le défendez, je me hùte de prévenir les objections que je prévois. Vous me citerez Madame de Merteuil, à qui on a pardonné cette liaison; vous me demanderez pourquoi je le reçois chez moi; vous me direz que loin d'ÃÂȘtre rejeté par les gens honnÃÂȘtes, il est admis, recherché mÃÂȘme dans ce qu'on appelle la bonne compagnie. Je peux, je crois, répondre à tout. D'abord Madame de Merteuil, en effet trÚs estimable, n'a peut-ÃÂȘtre d'autre défaut que trop de confiance en ses forces; c'est un guide adroit qui se plaÃt à conduire un char entre les rochers et les précipices, et que le succÚs seul justifie il est juste de la louer, il serait imprudent de la suivre; elle-mÃÂȘme en convient et s'en accuse. A mesure qu'elle a vu davantage, ses principes sont devenus plus sévÚres; et je ne crains pas de vous assurer qu'elle penserait comme moi. Quant à ce qui me regarde, je ne me justifierai pas plus que les autres. Sans doute, je reçois M. de Valmont, et il est reçu partout; c'est une inconséquence de plus à ajouter à mille autres qui gouvernent la société. Vous savez, comme moi, qu'on passe sa vie à les remarquer, à s'en plaindre et à s'y livrer. M. de Valmont, avec un beau nom, une grande fortune, beaucoup de qualités aimables, a reconnu de bonne heure que pour avoir l'empire dans la société, il suffisait de manier, avec une égale adresse, la louange et le ridicule. Nul ne possÚde comme lui ce double talent il séduit avec l'un, et se fait craindre avec l'autre. On ne l'estime pas; mais on le flatte. Telle est son existence au milieu d'un monde qui, plus prudent que courageux, aime mieux le ménager que le combattre. Mais ni Madame de Merteuil elle-mÃÂȘme, ni aucune autre femme, n'oserait sans doute aller s'enfermer à la campagne, presque en tÃÂȘte-à -tÃÂȘte avec un tel homme. Il était réservé à la plus sage, à la plus modeste d'entre elles, de donner l'exemple de cette inconséquence; pardonnez-moi ce mot, il échappe à l'amitié. Ma belle amie, votre honnÃÂȘteté mÃÂȘme vous trahit, par la sécurité qu'elle vous inspire. Songez donc que vous aurez pour juges, d'une part, des gens frivoles, qui ne croiront pas à une vertu dont ils ne trouvent pas le modÚle chez eux; et de l'autre, des méchants qui feindront de n'y pas croire, pour vous punir de l'avoir eue. Considérez que vous faites, dans ce moment, ce que quelques hommes n'oseraient pas risquer. En effet, parmi les jeunes gens, dont M. de Valmont ne s'est que trop rendu l'oracle, je vois les plus sages craindre de paraÃtre liés trop intimement avec lui; et vous, vous ne le craignez pas! Ah! revenez, revenez, je vous en conjure... Si mes raisons ne suffisent pas pour vous persuader, cédez à mon amitié; c'est elle qui me fait renouveler mes instances, c'est à elle à les justifier. Vous la trouvez sévÚre, et je désire qu'elle soit inutile; mais j'aime mieux que vous ayez à vous plaindre de sa sollicitude que de sa négligence. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT DÚs que vous craignez de réussir, mon cher Vicomte, dÚs que votre projet est de fournir des armes contre vous, et que vous désirez moins de vaincre que de combattre, je n'ai plus rien à dire. Votre conduite est un chef-d'Å“uvre de prudence. Elle en serait un de sottise dans la supposition contraire; et pour vous parler vrai, je crains que vous ne vous fassiez illusion. Ce que je vous reproche n'est pas de n'avoir point profité du moment. D'une part, je ne vois pas clairement qu'il fût venu de l'autre, je sais assez, quoi qu'on en dise, qu'une occasion manquée se retrouve, tandis qu'on ne revient jamais d'une démarche précipitée. Mais la véritable école est de vous ÃÂȘtre laissé aller à écrire. Je vous défie à présent de prévoir oÃÂč ceci peut vous mener. Par hasard, espérez-vous prouver à cette femme qu'elle doit se rendre? Il me semble que ce ne peut ÃÂȘtre là qu'une vérité de sentiment, et non de démonstration; et que pour la faire recevoir, il s'agit d'attendrir et non de raisonner; mais à quoi vous servirait d'attendrir par Lettres, puisque vous ne seriez pas là pour en profiter? Quand vos belles phrases produiraient l'ivresse de l'Amour, vous flattez-vous qu'elle soit assez longue pour que la réflexion n'ait pas le temps d'en empÃÂȘcher l'aveu? Songez donc à celui qu'il faut pour écrire une Lettre, à celui qui se passe avant qu'on la remette; et voyez si surtout une femme à principes comme votre Dévote peut vouloir si longtemps ce qu'elle tùche de ne vouloir jamais. Cette marche peut réussir avec les enfants, qui, quand ils écrivent " je vous aime " , ne savent pas qu'ils disent " je me rends " . Mais la vertu raisonneuse de Madame de Tourvel me paraÃt fort bien connaÃtre la valeur des termes. Aussi, malgré l'avantage que vous aviez pris sur elle dans votre conversation, elle vous bat dans sa Lettre. Et puis, savez-vous ce qui arrive? par cela seul qu'on dispute, on ne veut pas céder. A force de chercher de bonnes raisons, on en trouve; on les dit; et aprÚs on y tient, non pas tant parce qu'elles sont bonnes que pour ne pas se démentir. De plus, une remarque que je m'étonne que vous n'ayez pas faite, c'est qu'il n'y a rien de si difficile en amour que d'écrire ce qu'on ne sent pas. Je dis écrire d'une façon vraisemblable ce n'est pas qu'on ne se serve des mÃÂȘmes mots; mais on ne les arrange pas de mÃÂȘme, ou plutÎt on les arrange, et cela suffit. Relisez votre Lettre il y rÚgne un ordre qui vous décÚle à chaque phrase. Je veux croire que votre Présidente est assez peu formée pour ne s'en pas apercevoir mais qu'importe? l'effet n'en est pas moins manqué. C'est le défaut des Romans; l'Auteur se bat les flancs pour s'échauffer, et le Lecteur reste froid. Héloïse est le seul qu'on en puisse excepter; et malgré le talent de l'Auteur, cette observation m'a toujours fait croire que le fond en était vrai. Il n'en est pas de mÃÂȘme en parlant. L'habitude de travailler son organe y donne de la sensibilité; la facilité des larmes y ajoute encore l'expression du désir se confond dans les yeux avec celle de la tendresse; enfin le discours moins suivi amÚne plus aisément cet air de trouble et de désordre, qui est la véritable éloquence de l'Amour; et surtout la présence de l'objet aimé empÃÂȘche la réflexion et nous fait désirer d'ÃÂȘtre vaincues. Croyez-moi, Vicomte on vous demande de ne plus écrire profitez-en pour réparer votre faute et attendez l'occasion de parler. Savez-vous que cette femme a plus de force que je ne croyais? Sa défense est bonne; et sans la longueur de sa Lettre, et le prétexte qu'elle vous donne pour rentrer en matiÚre dans sa phrase de reconnaissance, elle ne se serait pas du tout trahie. Ce qui me paraÃt encore devoir vous rassurer sur le succÚs, c'est qu'elle use trop de forces à la fois; je prévois qu'elle les épuisera pour la défense du mot, et qu'il ne lui en restera plus pour celle de la chose. Je vous renvoie vos deux Lettres, et si vous ÃÂȘtes prudent, ce seront les derniÚres jusqu'aprÚs l'heureux moment. S'il était moins tard, je vous parlerais de la petite Volanges qui avance assez vite et dont je suis fort contente. Je crois que j'aurai fini avant vous, et vous devez en ÃÂȘtre bien heureux. Adieu pour aujourd'hui. De ..., ce 24 août 17** LETTRE XXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous parlez à merveille, ma belle amie mais pourquoi vous tant fatiguer à prouver ce que personne n'ignore? Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu'écrire; voilà , je crois, toute votre Lettre. Eh mais! ce sont les plus simples éléments de l'art de séduire. Je remarquerai seulement que vous ne faites qu'une exception à ce principe, et qu'il y en a deux. Aux enfants qui suivent cette marche par timidité et se livrent par ignorance, il faut joindre les femmes Beaux-Esprits, qui s'y laissent engager par amour-propre, et que la vanité conduit dans le piÚge. Par exemple, je suis bien sûr que la Comtesse de B... qui répondit sans difficulté à ma premiÚre Lettre, n'avait pas alors plus d'amour pour moi que moi pour elle; et qu'elle ne vit que l'occasion de traiter un sujet qui devait lui faire honneur. Quoi qu'il en soit, un Avocat vous dirait que le principe ne s'applique pas à la question. En effet, vous supposez que j'ai le choix entre écrire et parler, ce qui n'est pas. Depuis l'affaire du 19, mon inhumaine, qui se tient sur la défensive, a mis à éviter les rencontres une adresse qui a déconcerté la mienne. C'est au point que si cela continue, elle me forcera à m'occuper sérieusement des moyens de reprendre cet avantage; car assurément je ne veux ÃÂȘtre vaincu par elle en aucun genre. Mes Lettres mÃÂȘmes sont le sujet d'une petite guerre non contente de n'y pas répondre, elle refuse de les recevoir. Il faut pour chacune une ruse nouvelle, et qui ne réussit pas toujours. Vous vous rappelez par quel moyen simple j'avais remis la premiÚre; la seconde n'offrit pas plus de difficulté. Elle m'avait demandé de lui rendre sa Lettre je lui donnai la mienne en place, sans qu'elle eût le moindre soupçon. Mais soit dépit d'avoir été attrapée, soit caprice, ou enfin soit vertu, car elle me forcera d'y croire, elle refusa obstinément la troisiÚme. J'espÚre pourtant que l'embarras oÃÂč a pensé la mettre la suite de ce refus, la corrigera pour l'avenir. Je ne fus pas trÚs étonné qu'elle ne voulût pas recevoir cette Lettre que je lui offrais tout simplement; c'eût été déjà accorder quelque chose, et je m'attends à une plus longue défense. AprÚs cette tentative, qui n'était qu'un essai fait en passant, je mis une enveloppe à ma Lettre; et prenant le moment de la toilette, oÃÂč Madame de Rosemonde et la Femme de chambre étaient présentes, je la lui envoyai par mon Chasseur, avec ordre de lui dire que c'était le papier qu'elle m'avait demandé. J'avais bien deviné qu'elle craindrait l'explication scandaleuse que nécessiterait un refus en effet elle prit la Lettre; et mon Ambassadeur, qui avait ordre d'observer sa figure, et qui ne voit pas mal, n'aperçut qu'une légÚre rougeur et plus d'embarras que de colÚre. Je me félicitais donc, bien sûr, ou qu'elle garderait cette Lettre, ou que si elle voulait me la rendre, il faudrait qu'elle se trouvùt seule avec moi; ce qui me donnerait une occasion de lui parler. Environ une heure aprÚs, un de ses gens entre dans ma chambre et me remet, de la part de sa MaÃtresse, un paquet d'une autre forme que le mien, et sur l'enveloppe duquel je reconnais l'écriture tant désirée. J'ouvre avec précipitation... C'était ma Lettre elle-mÃÂȘme, non décachetée et pliée seulement en deux. Je soupçonne que la crainte que je ne fusse moins scrupuleux qu'elle sur le scandale lui a fait employer cette ruse diabolique. Vous me connaissez; je n'ai pas besoin de vous peindre ma fureur. Il fallut pourtant reprendre son sang-froid, et chercher de nouveaux moyens. Voici le seul que je trouvai. On va d'ici, tous les matins, chercher les Lettres à la Poste, qui est à environ trois quarts de lieue on se sert, pour cet objet, d'une boÃte couverte à peu prÚs comme un tronc, dont le MaÃtre de la Poste a une clef et Madame de Rosemonde l'autre. Chacun y met ses Lettres dans la journée, quand bon lui semble; on les porte le soir à la Poste, et le matin on va chercher celles qui sont arrivées. Tous les gens, étrangers ou autres, font ce service également. Ce n'était pas le tour de mon domestique; mais il se chargea d'y aller, sous le prétexte qu'il avait affaire de ce cÎté. Cependant j'écrivis ma Lettre. Je déguisai mon écriture pour l'adresse, et je contrefis assez bien, sur l'enveloppe, le timbre de Dijon . Je choisis cette Ville, parce que je trouvai plus gai, puisque je demandais les mÃÂȘmes droits que le mari, d'écrire aussi du mÃÂȘme lieu, et aussi parce que ma Belle avait parlé toute la journée du désir qu'elle avait de recevoir des Lettres de Dijon. Il me parut juste de lui procurer ce plaisir. Ces précautions une fois prises, il était facile de faire joindre cette Lettre aux autres. Je gagnais encore à cet expédient d'ÃÂȘtre témoin de la réception car l'usage est ici de se rassembler pour déjeuner et d'attendre l'arrivée des Lettres avant de se séparer. Enfin elles arrivÚrent. Madame de Rosemonde ouvrit la boÃte. " De Dijon " , dit-elle, en donnant la Lettre à Madame de Tourvel. " Ce n'est pas l'écriture de mon mari " , reprit celle-ci d'une voix inquiÚte, en rompant le cachet avec vivacité le premier coup d'oeil l'instruisit; et il se fit une telle révolution sur sa figure que Madame de Rosemonde s'en aperçut, et lui dit " Qu'avez-vous? " Je m'approchai aussi, en disant " Cette Lettre est donc bien terrible? " La timide Dévote n'osait lever les yeux, ne disait mot, et, pour sauver son embarras, feignait de parcourir l'EpÃtre, qu'elle n'était guÚre en état de lire. Je jouissais de son trouble, et n'étais pas fùché de la pousser un peu " Votre air plus tranquille, ajoutai-je, fait espérer que cette Lettre vous a causé plus d'étonnement que de douleur. " La colÚre alors l'inspira mieux que n'eût pu faire la prudence. " Elle contient, répondit-elle, des choses qui m'offensent, et que je suis étonnée qu'on ait osé m'écrire. " - " Et qui donc? " interrompit Madame de Rosemonde. " Elle n'est pas signée " , répondit la belle courroucée " mais la Lettre et son Auteur m'inspirent un égal mépris. On m'obligera de ne m'en plus parler. " En disant ces mots, elle déchira l'audacieuse missive, en mit les morceaux dans sa poche, se leva, et sortit. Malgré cette colÚre, elle n'en a pas moins eu ma Lettre; et je m'en remets bien à sa curiosité, du soin de l'avoir lue en entier. Le détail de la journée me mÚnerait trop loin. Je joins à ce récit le brouillon de mes deux Lettres vous serez aussi instruite que moi. Si vous voulez ÃÂȘtre au courant de ma correspondance, il faut vous accoutumer à déchiffrer mes minutes car pour rien au monde, je ne dévorerais l'ennui de les recopier. Adieu, ma belle amie. De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXV LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Il faut vous obéir, Madame, il faut vous prouver qu'au milieu des torts que vous vous plaisez à me croire, il me reste au moins assez de délicatesse pour ne pas me permettre un reproche, et assez de courage pour m'imposer les plus douloureux sacrifices. Vous m'ordonnez le silence et l'oubli! eh bien! je forcerai mon amour à se taire; et j'oublierai, s'il est possible, la façon cruelle dont vous l'avez accueilli. Sans doute le désir de vous plaire n'en donnait pas le droit, et j'avoue encore que le besoin que j'avais de votre indulgence n'était pas un titre pour l'obtenir mais vous regardez mon amour comme un outrage; vous oubliez que si ce pouvait ÃÂȘtre un tort, vous en seriez à la fois, et la cause et l'excuse. Vous oubliez aussi qu'accoutumé à vous ouvrir mon ùme, lors mÃÂȘme que cette confiance pouvait me nuire, il ne m'était plus possible de vous cacher les sentiments dont je suis pénétré; et ce qui fut l'ouvrage de ma bonne foi, vous le regardez comme le fruit de l'audace. Pour prix de l'Amour le plus tendre, le plus respectueux, le plus vrai, vous me rejetez loin de vous. Vous me parlez enfin de votre haine... Quel autre ne se plaindrait pas d'ÃÂȘtre traité ainsi? Moi seul, je me soumets; je souffre tout et ne murmure point; vous frappez et j'adore. L'inconcevable empire que vous avez sur moi vous rend maÃtresse absolue de mes sentiments; et si mon amour seul vous résiste, si vous ne pouvez le détruire, c'est qu'il est votre ouvrage et non le mien. Je ne demande point un retour dont jamais je ne me suis flatté. Je n'attends pas mÃÂȘme cette pitié, que l'intérÃÂȘt que vous m'aviez témoigné quelquefois pouvait me faire espérer. Mais je crois, je l'avoue, pouvoir réclamer votre justice. Vous m'apprenez, Madame, qu'on a cherché à me nuire dans votre esprit. Si vous en eussiez cru les conseils de vos amis, vous ne m'eussiez pas mÃÂȘme laissé approcher de vous ce sont vos termes. Quels sont donc ces amis officieux? Sans doute ces gens si sévÚres, et d'une vertu si rigide, consentent à ÃÂȘtre nommés; sans doute ils ne voudraient pas se couvrir d'une obscurité qui les confondrait avec de vils calomniateurs; et je n'ignorerai ni leur nom, ni leurs reproches. Songez, Madame, que j'ai le droit de savoir l'un et l'autre, puisque vous me jugez d'aprÚs eux. On ne condamne point un coupable sans lui dire son crime, sans lui nommer ses accusateurs. Je ne demande point d'autre grùce, et je m'engage d'avance à me justifier, à les forcer de se dédire. Si j'ai trop méprisé, peut-ÃÂȘtre, les vaines clameurs d'un Public dont je fais peu de cas, il n'en est pas ainsi de votre estime; et quand je consacre ma vie à la mériter, je ne me la laisserai pas ravir impunément. Elle me devient d'autant plus précieuse, que je lui devrai sans doute cette demande que vous craignez de me faire, et qui me donnerait, dites-vous, des droits à votre reconnaissance . Ah! loin d'en exiger, je croirai vous en devoir, si vous me procurez l'occasion de vous ÃÂȘtre agréable. Commencez donc à me rendre plus de justice, en ne me laissant plus ignorer ce que vous désirez de moi. Si je pouvais le deviner, je vous éviterais la peine de le dire. Au plaisir de vous voir, ajoutez le bonheur de vous servir, et je me louerai de votre indulgence. Qui peut donc vous arrÃÂȘter? ce n'est pas, je l'espÚre, la crainte d'un refus? je sens que je ne pourrais vous la pardonner. Ce n'en est pas un que de ne pas vous rendre votre Lettre. Je désire plus que vous, qu'elle ne me soit plus nécessaire mais accoutumé à vous croire une ùme si douce, ce n'est que dans cette Lettre que je puis vous trouver telle que vous voulez paraÃtre. Quand je forme le vÅ“u de vous rendre sensible, j'y vois que plutÎt que d'y consentir, vous fuiriez à cent lieues de moi; quand tout en vous augmente et justifie mon amour, c'est encore elle qui me répÚte que mon amour vous outrage; et lorsqu'en vous voyant, cet amour me semble le bien suprÃÂȘme, j'ai besoin de vous lire, pour sentir que ce n'est qu'un affreux tourment. Vous concevez à présent que mon plus grand bonheur serait de pouvoir vous rendre cette Lettre fatale me la demander encore serait m'autoriser à ne plus croire ce qu'elle contient; vous ne doutez pas, j'espÚre, de mon empressement à vous la remettre. De ..., ce 21 août 17** LETTRE XXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE DIJON. Votre sévérité augmente chaque jour, Madame, et si je l'ose dire, vous semblez craindre moins d'ÃÂȘtre injuste que d'ÃÂȘtre indulgente. AprÚs m'avoir condamné sans m'entendre, vous avez dû sentir, en effet, qu'il vous serait plus facile de ne pas lire mes raisons que d'y répondre. Vous refusez mes Lettres avec obstination; vous me les renvoyez avec mépris. Vous me forcez enfin de recourir à la ruse, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč mon unique but est de vous convaincre de ma bonne foi. La nécessité oÃÂč vous m'avez mis de me défendre suffira sans doute pour en excuser les moyens. Convaincu d'ailleurs par la sincérité de mes sentiments que pour les justifier à vos yeux il me suffit de vous les faire bien connaÃtre, j'ai cru pouvoir me permettre ce léger détour. J'ose croire aussi que vous me le pardonnerez; et que vous serez peu surprise que l'Amour soit plus ingénieux à se produire, que l'indifférence à l'écarter. Permettez donc, Madame, que mon cÅ“ur se dévoile entiÚrement à vous. Il vous appartient, il est juste que vous le connaissiez. J'étais bien éloigné, en arrivant chez Madame de Rosemonde, de prévoir le sort qui m'y attendait. J'ignorais que vous y fussiez; et j'ajouterai, avec la sincérité qui me caractérise, que quand je l'aurais su ma sécurité n'en eût point été troublée non que je ne rendisse à votre beauté la justice qu'on ne peut lui refuser; mais accoutumé à n'éprouver que des désirs, à ne me livrer qu'à ceux que l'espoir encourageait, je ne connaissais pas les tourments de l'Amour. Vous fûtes témoin des instances que me fit Madame de Rosemonde pour m'arrÃÂȘter quelque temps. J'avais déjà passé une journée avec vous cependant je ne me rendis, ou au moins je ne crus me rendre qu'au plaisir, si naturel et si légitime, de témoigner des égards à une parente respectable. Le genre de vie qu'on menait ici différait beaucoup sans doute de celui auquel j'étais accoutumé; il ne m'en coûta rien de m'y conformer; et, sans chercher à pénétrer la cause du changement qui s'opérait en moi, je l'attribuais uniquement encore à cette facilité de caractÚre, dont je crois vous avoir déjà parlé. Malheureusement et pourquoi faut-il que ce soit un malheur?, en vous connaissant mieux je reconnus bientÎt que cette figure enchanteresse, qui seule m'avait frappé, était le moindre de vos avantages; votre ùme céleste étonna, séduisit la mienne. J'admirais la beauté, j'adorai la vertu. Sans prétendre à vous obtenir, je m'occupai de vous mériter. En réclamant votre indulgence pour le passé, j'ambitionnai votre suffrage pour l'avenir. Je le cherchais dans vos discours, je l'épiais dans vos regards; dans ces regards d'oÃÂč partait un poison d'autant plus dangereux, qu'il était répandu sans dessein et reçu sans méfiance. Alors je connus l'Amour. Mais que j'étais loin de m'en plaindre! résolu de l'ensevelir dans un éternel silence, je me livrais sans crainte comme sans réserve à ce sentiment délicieux. Chaque jour augmentait son empire. BientÎt le plaisir de vous voir se changea en besoin. Vous absentiez-vous un moment? mon cÅ“ur se serrait de tristesse; au bruit qui m'annonçait votre retour, il palpitait de joie. Je n'existais plus que par vous, et pour vous. Cependant, c'est vous-mÃÂȘme que j'adjure jamais dans la gaieté des folùtres jeux, ou dans l'intérÃÂȘt d'une conversation sérieuse, m'échappa-t-il un mot qui pût trahir le secret de mon cÅ“ur? Enfin un jour arriva oÃÂč devait commencer mon infortune; et par une inconcevable fatalité, une action honnÃÂȘte en devint le signal. Oui, Madame, c'est au milieu des malheureux que j'avais secourus, que, vous livrant à cette sensibilité précieuse qui embellit la beauté mÃÂȘme et ajoute du prix à la vertu, vous achevùtes d'égarer un cÅ“ur que déjà trop d'amour enivrait. Vous vous rappelez, peut-ÃÂȘtre, quelle préoccupation s'empara de moi au retour! Hélas! je cherchais à combattre un penchant que je sentais devenir plus fort que moi. C'est aprÚs avoir épuisé mes forces dans ce combat inégal, qu'un hasard, que je n'avais pu prévoir, me fit trouver seul avec vous. Là , je succombai, je l'avoue. Mon cÅ“ur trop plein ne put retenir ses discours ni ses larmes. Mais est-ce donc un crime? et si c'en est un, n'est-il pas assez puni par les tourments affreux auxquels je suis livré? Dévoré par un amour sans espoir, j'implore votre pitié et ne trouve que votre haine sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, et je tremble de rencontrer vos regards. Dans l'état cruel oÃÂč vous m'avez réduit, je passe les jours à déguiser mes peines et les nuits à m'y livrer; tandis que vous, tranquille et paisible, vous ne connaissez ces tourments que pour les causer et vous en applaudir. Cependant, c'est vous qui vous plaignez, et c'est moi qui m'excuse. Voilà pourtant, Madame, voilà le récit fidÚle de ce que vous nommez mes torts, et que peut-ÃÂȘtre il serait plus juste d'appeler mes malheurs. Un amour pur et sincÚre, un respect qui ne s'est jamais démenti, une soumission parfaite, tels sont les sentiments que vous m'avez inspirés. Je n'eusse pas craint d'en présenter l'hommage à la Divinité mÃÂȘme. Ô vous, qui ÃÂȘtes son plus bel ouvrage, imitez-la dans son indulgence! Songez à mes peines cruelles; songez surtout, que, placé par vous entre le désespoir et la félicité suprÃÂȘme, le premier mot que vous prononcerez décidera pour jamais de mon sort. De ..., ce 23 août 17** LETTRE XXXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES Je me soumets, Madame, aux conseils que votre amitié me donne. Accoutumée à déférer en tout à vos avis, je le suis à croire qu'ils sont toujours fondés en raison. J'avouerai mÃÂȘme que M. de Valmont doit ÃÂȘtre, en effet, infiniment dangereux, s'il peut à la fois feindre d'ÃÂȘtre ce qu'il paraÃt ici, et rester tel que vous le dépeignez. Quoi qu'il en soit, puisque vous l'exigez, je l'éloignerai de moi; au moins j'y ferai mon possible car souvent les choses, qui dans le fond devraient ÃÂȘtre les plus simples, deviennent embarrassantes par la forme. Il me paraÃt toujours impraticable de faire cette demande à sa tante; elle deviendrait également désobligeante, et pour elle, et pour lui. Je ne prendrais pas non plus, sans quelque répugnance, le parti de m'éloigner moi-mÃÂȘme car outre les raisons que je vous ai déjà mandées relatives à M. de Tourvel, si mon départ contrariait M. de Valmont, comme il est possible, n'aurait-il pas la facilité de me suivre à Paris? et son retour, dont je serais, dont au moins je paraÃtrais ÃÂȘtre l'objet, ne semblerait-il pas plus étrange qu'une rencontre à la campagne, chez une personne qu'on sait ÃÂȘtre sa parente et mon amie? Il ne me reste donc d'autre ressource que d'obtenir de lui-mÃÂȘme qu'il veuille bien s'éloigner. Je sens que cette proposition est difficile à faire; cependant, comme il me paraÃt avoir à cÅ“ur de me prouver qu'il a en effet plus d'honnÃÂȘteté qu'on ne lui en suppose, je ne désespÚre pas de réussir. Je ne serai pas mÃÂȘme fùchée de le tenter; et d'avoir une occasion de juger si, comme il le dit souvent, les femmes vraiment honnÃÂȘtes n'ont jamais eu, n'auront jamais à se plaindre de ses procédés. S'il part comme je le désire, ce sera en effet par égard pour moi car je ne peux pas douter qu'il n'ait le projet de passer ici une grande partie de l'automne. S'il refuse ma demande et s'obstine à rester, je serai toujours à temps de partir moi-mÃÂȘme, et je vous le promets. Voilà , je crois, Madame, tout ce que votre amitié exigeait de moi je m'empresse d'y satisfaire, et de vous prouver que malgré la chaleur que j'ai pu mettre à défendre M. de Valmont, je n'en suis pas moins disposée, non seulement à écouter, mais mÃÂȘme à suivre les conseils de mes amis. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 25 août 17** LETTRE XXXVIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Votre énorme paquet m'arrive à l'instant, mon cher Vicomte. Si la date en est exacte, j'aurais dû le recevoir vingt-quatre heures plus tÎt; quoi qu'il en soit, si je prenais le temps de le lire, je n'aurais plus celui d'y répondre. Je préfÚre donc de vous en accuser seulement la réception, et nous causerons d'autre chose. Ce n'est pas que j'aie rien à vous dire pour mon compte; l'automne ne laisse à Paris presque point d'hommes qui aient figure humaine aussi je suis, depuis un mois, d'une sagesse à périr; et tout autre que mon Chevalier serait fatigué des preuves de ma constance. Ne pouvant m'occuper, je me distrais avec la petite Volanges; et c'est d'elle que je veux vous parler. Savez-vous que vous avez perdu plus que vous ne croyez à ne pas vous charger de cet enfant? elle est vraiment délicieuse! cela n'a ni caractÚre ni principes; jugez combien sa société sera douce et facile. Je ne crois pas qu'elle brille jamais par le sentiment; mais tout annonce en elle les sensations les plus vives. Sans esprit et sans finesse, elle a pourtant une certaine fausseté naturelle, si l'on peut parler ainsi, qui quelquefois m'étonne moi-mÃÂȘme, et qui réussira d'autant mieux, que sa figure offre l'image de la candeur et de l'ingénuité. Elle est naturellement trÚs caressante, et je m'en amuse quelquefois sa petite tÃÂȘte se monte avec une facilité incroyable; et elle est alors d'autant plus plaisante, qu'elle ne sait rien, absolument rien, de ce qu'elle désire tant de savoir. Il lui en prend des impatiences tout à fait drÎles; elle rit, elle se dépite, elle pleure, et puis elle me prie de l'instruire, avec une bonne foi réellement séduisante. En vérité, je suis presque jalouse de celui à qui ce plaisir est réservé. Je ne sais si je vous ai mandé que depuis quatre ou cinq jours j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre sa confidente. Vous devinez bien que d'abord j'ai fait la sévÚre mais aussitÎt que je me suis aperçue qu'elle croyait m'avoir convaincue par ses mauvaises raisons, j'ai eu l'air de les prendre pour bonnes; et elle est intimement persuadée qu'elle doit ce succÚs à son éloquence; il fallait cette précaution pour ne pas me compromettre. Je lui ai permis d'écrire et de dire j'aime ; et le jour mÃÂȘme, sans qu'elle s'en doutùt, je lui ai ménagé un tÃÂȘte-à - tÃÂȘte avec son Danceny. Mais figurez-vous qu'il est si sot encore, qu'il n'en a seulement pas obtenu un baiser. Ce garçon-là fait pourtant de fort jolis vers! Mon Dieu! que ces gens d'esprit sont bÃÂȘtes! celui-ci l'est au point qu'il m'en embarrasse; car enfin, pour lui, je ne peux pas le conduire! C'est à présent que vous me seriez bien utile. Vous ÃÂȘtes assez lié avec Danceny pour avoir sa confidence, et s'il vous la donnait une fois, nous irions grand train. DépÃÂȘchez donc votre Présidente, car enfin je ne veux pas que Gercourt s'en sauve au reste, j'ai parlé de lui hier à la petite personne, et le lui ai si bien peint, que quand elle serait sa femme depuis dix ans, elle ne le haïrait pas davantage. Je l'ai pourtant beaucoup prÃÂȘchée sur la fidélité conjugale; rien n'égale ma sévérité sur ce point. Par là , d'une part, je rétablis auprÚs d'elle ma réputation de vertu, que trop de condescendance pourrait détruire; de l'autre, j'augmente en elle la haine dont je veux gratifier son mari. Et enfin, j'espÚre qu'en lui faisant accroire qu'il ne lui est permis de se livrer à l'Amour que pendant le peu de temps qu'elle a à rester fille, elle se décidera plus vite à n'en rien perdre. Adieu, Vicomte; je vais me mettre à ma toilette oÃÂč je lirai votre volume. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XXXIX CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je suis triste et inquiÚte, ma chÚre Sophie. J'ai pleuré presque toute la nuit. Ce n'est pas que pour le moment je ne sois bien heureuse; mais je prévois que cela ne durera pas. J'ai été hier à l'Opéra avec Madame de Merteuil; nous y avons beaucoup parlé de mon mariage, et je n'en ai rien appris de bon. C'est M. le Comte de Gercourt que je dois épouser, et ce doit ÃÂȘtre au mois d'Octobre. Il est riche, il est homme de qualité, il est Colonel du régiment de... . Jusque-là tout va fort bien. Mais d'abord il est vieux figure-toi qu'il a au moins trente-six ans! et puis, Madame de Merteuil dit qu'il est triste et sévÚre, et qu'elle craint que je ne sois pas heureuse avec lui. J'ai mÃÂȘme bien vu qu'elle en était sûre, et qu'elle ne voulait pas me le dire, pour ne pas m'affliger. Elle ne m'a presque entretenue toute la soirée que des devoirs des femmes envers leurs maris. Elle convient que M. de Gercourt n'est pas aimable du tout, et elle dit pourtant qu'il faudra que je l'aime. Ne m'a-t-elle pas dit aussi qu'une fois mariée, je ne devais plus aimer le Chevalier Danceny? comme si c'était possible! Oh! je t'assure bien que je l'aimerai toujours. Vois-tu, j'aimerais mieux, plutÎt, ne pas me marier. Que ce M. de Gercourt s'arrange, je ne l'ai pas été chercher. Il est en Corse à présent, bien loin d'ici; je voudrais qu'il y restùt dix ans. Si je n'avais pas peur de rentrer au Couvent, je dirais bien à Maman que je ne veux pas de ce mari-là ; mais ce serait encore pis. Je suis bien embarrassée. Je sens que je n'ai jamais tant aimé M. Danceny qu'à présent; et quand je songe qu'il ne me reste plus qu'un mois à ÃÂȘtre comme je suis, les larmes me viennent aux yeux tout de suite; je n'ai de consolation que dans l'amitié de Madame de Merteuil; elle a si bon cÅ“ur! elle partage tous mes chagrins comme moi-mÃÂȘme; et puis elle est si aimable que, quand je suis avec elle, je n'y songe presque plus. D'ailleurs elle m'est bien utile; car le peu que je sais, c'est elle qui me l'a appris et elle est si bonne, que je lui dis tout ce que je pense, sans ÃÂȘtre honteuse du tout. Quand elle trouve que ce n'est pas bien, elle me gronde quelquefois; mais c'est tout doucement, et puis je l'embrasse de tout mon cÅ“ur, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus fùchée. Au moins celle-là , je peux bien l'aimer tant que je voudrai, sans qu'il y ait du mal, et ça me fait bien du plaisir. Nous sommes pourtant convenues que je n'aurais pas l'air de l'aimer tant devant le monde, et surtout devant Maman, afin qu'elle ne se méfie de rien au sujet du Chevalier Danceny. Je t'assure que si je pouvais toujours vivre comme je fais à présent, je crois que je serais bien heureuse. Il n'y a que ce vilain M. de Gercourt!... Mais je ne veux pas t'en parler davantage car je redeviendrais triste. Au lieu de cela, je vas écrire au Chevalier Danceny; je ne lui parlerai que de mon amour et non de mes chagrins, car je ne veux pas l'affliger. Adieu, ma bonne amie. Tu vois bien que tu aurais tort de te plaindre, et que j'ai beau ÃÂȘtre occupée , comme tu dis, qu'il ne m'en reste pas moins le temps de t'aimer et de t'écrire [On continue à supprimer les Lettres de Cécile Volanges et du Chevalier Danceny, qui sont peu intéressantes et n'annoncent aucun événement] De ..., ce 27 août 17** LETTRE XL LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL C'est peu pour mon inhumaine de ne pas répondre à mes Lettres, de refuser de les recevoir; elle veut me priver de sa vue, elle exige que je m'éloigne. Ce qui vous surprendra davantage, c'est que je me soumette à tant de rigueur. Vous allez me blùmer. Cependant je n'ai pas cru devoir perdre l'occasion de me laisser donner un ordre persuadé, d'une part, que qui commande s'engage; et de l'autre, que l'autorité illusoire que nous avons l'air de laisser prendre aux femmes est un des piÚges qu'elles évitent le plus difficilement. De plus, l'adresse que celle-ci a su mettre à éviter de se trouver seule avec moi me plaçait dans une situation dangereuse, dont j'ai cru devoir sortir à quelque prix que ce fût car étant sans cesse avec elle, sans pouvoir l'occuper de mon amour, il y avait lieu de craindre qu'elle ne s'accoutumùt enfin à me voir sans trouble; disposition dont vous savez assez combien il est difficile de revenir. Au reste, vous devinez que je ne me suis pas soumis sans condition. J'ai mÃÂȘme eu le soin d'en mettre une impossible à accorder; tant pour rester toujours maÃtre de tenir ma parole, ou d'y manquer, que pour engager une discussion, soit de bouche, ou par écrit, dans un moment oÃÂč ma Belle est plus contente de moi, oÃÂč elle a besoin que je le sois d'elle sans compter que je serais bien maladroit, si je ne trouvais moyen d'obtenir quelque dédommagement de mon désistement à cette prétention, tout insoutenable qu'elle est. AprÚs vous avoir exposé mes raisons dans ce long préambule, je commence l'historique de ces deux derniers jours. J'y joindrai comme piÚces justificatives la Lettre de ma Belle et ma Réponse. Vous conviendrez qu'il y a peu d'Historiens aussi exacts que moi. Vous vous rappelez l'effet que fit avant-hier matin ma Lettre de Dijon ; le reste de la journée fut trÚs orageux. La jolie Prude arriva seulement au moment du dÃner, et annonça une forte migraine; prétexte dont elle voulut couvrir un des plus violents accÚs d'humeur que femme puisse avoir. Sa figure en était vraiment altérée; l'expression de douceur que vous lui connaissez s'était changée en un air mutin qui en faisait une beauté nouvelle. Je me promets bien de faire usage de cette découverte par la suite; et de remplacer quelquefois la MaÃtresse tendre, par la MaÃtresse mutine. Je prévis que l'aprÚs-dÃner serait triste; et pour m'en sauver l'ennui, je prétextai des Lettres à écrire, et me retirai chez moi. Je revins au salon sur les six heures; Madame de Rosemonde proposa la promenade, qui fut acceptée. Mais au moment de monter en voiture, la prétendue malade, par une malice infernale, prétexta à son tour, et peut-ÃÂȘtre pour se venger de mon absence, un redoublement de douleurs, et me fit subir sans pitié le tÃÂȘte-à -tÃÂȘte de ma vieille tante. Je ne sais si les imprécations que je fis contre ce démon femelle furent exaucées, mais nous la trouvùmes couchée au retour. Le lendemain au déjeuner, ce n'était plus la mÃÂȘme femme. La douceur naturelle était revenue, et j'eus lieu de me croire pardonné. Le déjeuner était à peine fini, que la douce personne se leva d'un air dolent, et entra dans le parc; je la suivis, comme vous pouvez croire. " D'oÃÂč peut naÃtre ce désir de promenade? " lui dis-je en l'abordant. " J'ai beaucoup écrit ce matin " , me répondit-elle, " et ma tÃÂȘte est un peu fatiguée. " - " Je ne suis pas assez heureux, repris-je, pour avoir à me reprocher cette fatigue-là ? " - " Je vous ai bien écrit " , répondit-elle encore, " mais j'hésite à vous donner ma Lettre. Elle contient une demande, et vous ne m'avez pas accoutumée à en espérer le succÚs. " - " Ah! je jure que s'il m'est possible... " - " Rien n'est plus facile " , interrompit-elle; " et quoique vous dussiez peut-ÃÂȘtre l'accorder comme justice, je consens à l'obtenir comme grùce. " En disant ces mots, elle me présenta sa Lettre; en la prenant, je pris aussi sa main, qu'elle retira, mais sans colÚre et avec plus d'embarras que de vivacité. " La chaleur est plus vive que je ne croyais " , dit-elle; " il faut rentrer. " Et elle reprit la route du Chùteau. Je fis de vains efforts pour lui persuader de continuer sa promenade, et j'eus besoin de me rappeler que nous pouvions ÃÂȘtre vus, pour n'y employer que de l'éloquence. Elle rentra sans proférer une parole, et je vis clairement que cette feinte promenade n'avait eu d'autre but que de me remettre sa Lettre. Elle monta chez elle en rentrant, et je me retirai chez moi pour lire l'EpÃtre, que vous ferez bien de lire aussi, ainsi que ma Réponse, avant d'aller plus loin... LETTRE XLI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Il semble, Monsieur, par votre conduite avec moi, que vous ne cherchiez qu'à augmenter, chaque jour, les sujets de plainte que j'avais contre vous. Votre obstination à vouloir m'entretenir, sans cesse, d'un sentiment que je ne veux ni ne dois écouter, l'abus que vous n'avez pas craint de faire de ma bonne foi, ou de ma timidité, pour me remettre vos Lettres; le moyen surtout, j'ose dire peu délicat, dont vous vous ÃÂȘtes servi pour me faire parvenir la derniÚre, sans craindre au moins l'effet d'une surprise qui pouvait me compromettre; tout devrait donner lieu de ma part à des reproches aussi vifs que justement mérités. Cependant, au lieu de revenir sur ces griefs, je m'en tiens à vous faire une demande aussi simple que juste; et si je l'obtiens de vous, je consens que tout soit oublié. Vous-mÃÂȘme m'avez dit, Monsieur, que je ne devais pas craindre un refus; et quoique, par une inconséquence qui vous est particuliÚre, cette phrase mÃÂȘme soit suivie du seul refus que vous pouviez me faire [Voyez Lettre V], je veux croire que vous n'en tiendrez pas moins aujourd'hui cette parole formellement donnée il y a si peu de jours. Je désire donc que vous ayez la complaisance de vous éloigner de moi; de quitter ce Chùteau, oÃÂč un plus long séjour de votre part ne pourrait que m'exposer davantage au jugement d'un public toujours prompt à mal penser d'autrui, et que vous n'avez que trop accoutumé à fixer les yeux sur les femmes qui vous admettent dans leur société. Avertie déjà , depuis longtemps, de ce danger par mes amis, j'ai négligé, j'ai mÃÂȘme combattu leur avis tant que votre conduite à mon égard avait pu me faire croire que vous aviez bien voulu ne pas me confondre avec cette foule de femmes qui toutes ont eu à se plaindre de vous. Aujourd'hui que vous me traitez comme elles, que je ne peux plus l'ignorer, je dois au public, à mes amis, à moi-mÃÂȘme, de suivre ce parti nécessaire. Je pourrais ajouter ici que vous ne gagneriez rien à refuser ma demande, décidée que je suis à partir moi- mÃÂȘme, si vous vous obstiniez à rester mais je ne cherche point à diminuer l'obligation que je vous aurai de cette complaisance, et je veux bien que vous sachiez qu'en nécessitant mon départ d'ici vous contrarieriez mes arrangements. Prouvez-moi donc, Monsieur, que, comme vous me l'avez dit tant de fois, les femmes honnÃÂȘtes n'auront jamais à se plaindre de vous; prouvez-moi, au moins, que quand vous avez des torts avec elles, vous savez les réparer. Si je croyais avoir besoin de justifier ma demande vis-à -vis de vous, il me suffirait de vous dire que vous avez passé votre vie à la rendre nécessaire, et que pourtant il n'a pas tenu à moi de ne la jamais former. Mais ne rappelons pas des événements que je veux oublier, et qui m'obligeraient à vous juger avec rigueur, dans un moment oÃÂč je vous offre l'occasion de mériter toute ma reconnaissance. Adieu, Monsieur; votre conduite va m'apprendre avec quels sentiments je dois ÃÂȘtre, pour la vie, votre trÚs humble, etc. De ..., ce 26 août 17** LETTRE XLII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Quelque dures que soient, Madame, les conditions que vous m'imposez, je ne refuse pas de les remplir. Je sens qu'il me serait impossible de contrarier aucun de vos désirs. Une fois d'accord sur ce point, j'ose me flatter qu'à mon tour, vous me permettrez de vous faire quelques demandes, bien plus faciles à accorder que les vÎtres, et que pourtant je ne veux obtenir que de ma soumission parfaite à votre volonté. L'une, que j'espÚre qui sera sollicitée par votre justice, est de vouloir bien me nommer mes accusateurs auprÚs de vous; ils me font, ce me semble, assez de mal pour que j'aie le droit de les connaÃtre; l'autre, que j'attends de votre indulgence, est de vouloir bien me permettre de vous renouveler quelquefois l'hommage d'un amour qui va plus que jamais mériter votre pitié. Songez, Madame, que je m'empresse de vous obéir, lors mÃÂȘme que je ne peux le faire qu'aux dépens de mon bonheur; je dirai plus, malgré la persuasion oÃÂč je suis que vous ne désirez mon départ que pour vous sauver le spectacle, toujours pénible, de l'objet de votre injustice. Convenez-en, Madame, vous craignez moins un public trop accoutumé à vous respecter pour oser porter de vous un jugement désavantageux, que vous n'ÃÂȘtes gÃÂȘnée par la présence d'un homme qu'il vous est plus facile de punir que de blùmer. Vous m'éloignez de vous comme on détourne ses regards d'un malheureux qu'on ne veut pas secourir. Mais tandis que l'absence va redoubler mes tourments, à quelle autre qu'à vous puis-je adresser mes plaintes? de quelle autre puis-je attendre des consolations qui vont me si devenir nécessaires? Me les refuserez-vous, quand vous seule causez mes peines? Sans doute vous ne serez pas étonnée non plus, qu'avant de partir j'aie à cÅ“ur de justifier auprÚs de vous les sentiments que vous m'avez inspirés; comme aussi que je ne trouve le courage de m'éloigner qu'en en recevant l'ordre de votre bouche. Cette double raison me fait vous demander un moment d'entretien. Inutilement voudrions-nous y suppléer par Lettres on écrit des volumes et l'on explique mal ce qu'un quart d'heure de conversation suffit pour faire bien entendre. Vous trouverez facilement le temps de me l'accorder car quelque empressé que je sois de vous obéir, vous savez que Madame de Rosemonde est instruite de mon projet de passer chez elle une partie de l'automne, et il faudra au moins que j'attende une Lettre pour pouvoir prétexter une affaire qui me force à partir. Adieu, Madame; jamais ce mot ne m'a tant coûté à écrire que dans ce moment oÃÂč il me ramÚne à l'idée de notre séparation. Si vous pouviez imaginer ce qu'elle me fait souffrir, j'ose croire que vous me sauriez quelque gré de ma docilité. Recevez, au moins, avec plus d'indulgence l'assurance et l'hommage de l'Amour le plus tendre et le plus respectueux. De ..., ce 26 août 17** SUITE DE LA LETTRE XL DU VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL A présent, raisonnons, ma belle amie. Vous sentez comme moi que la scrupuleuse, l'honnÃÂȘte Madame de Tourvel ne peut pas m'accorder la premiÚre de mes demandes, et trahir la confiance de ses amies, en me nommant mes accusateurs; ainsi en promettant tout à cette condition, je ne m'engage à rien. Mais vous sentez aussi que ce refus qu'elle me fera deviendra un titre pour obtenir tout le reste; et qu'alors je gagne, en m'éloignant, d'entrer avec elle, et de son aveu, en correspondance réglée car je compte pour peu le rendez-vous que je lui demande, et qui n'a presque d'autre objet que de l'accoutumer d'avance à n'en pas refuser d'autres quand ils me seront vraiment nécessaires. La seule chose qui me reste à faire avant mon départ est de savoir quels sont les gens qui s'occupent à me nuire auprÚs d'elle. Je présume que c'est son pédant de mari; je le voudrais outre qu'une défense conjugale est un aiguillon au désir, je serais sûr que du moment que ma belle aura consenti à m'écrire, je n'aurais plus rien à craindre de son mari, puisqu'elle se trouverait déjà dans la nécessité de le tromper. Mais si elle a une amie assez intime pour avoir sa confidence, et que cette amie-là soit contre moi, il me paraÃt nécessaire de les brouiller, et je compte y réussir mais avant tout il faut ÃÂȘtre instruit. J'ai bien cru que j'allais l'ÃÂȘtre hier; mais cette femme ne fait rien comme une autre. Nous étions chez elle, au moment oÃÂč l'on vint avertir que le dÃner était servi. Sa toilette se finissait seulement, et tout en se pressant, et en faisant des excuses, je m'aperçus qu'elle laissait la clef à son secrétaire; et je connais son usage de ne pas Îter celle de son appartement. J'y rÃÂȘvais pendant le dÃner, lorsque j'entendis descendre sa femme de chambre je pris mon parti aussitÎt je feignis un saignement de nez, et sortis. Je volai au secrétaire; mais je trouvai tous les tiroirs ouverts, et pas un papier écrit. Cependant on n'a pas d'occasion de les brûler dans cette saison. Que fait elle des lettres qu'elle reçoit? et elle en reçoit souvent. Je n'ai rien négligé; tout était ouvert, et j'ai cherché partout mais je n'y ai rien gagné, que de me convaincre que ce dépÎt précieux reste dans ses poches. Comment l'en tirer? Depuis hier je m'occupe inutilement d'en trouver les moyens cependant je ne peux en vaincre le désir. Je regrette de n'avoir pas le talent des filous. Ne devrait-il pas, en effet, entrer dans l'éducation d'un homme qui se mÃÂȘle d'intrigues? ne serait-il pas plaisant de dérober la lettre ou le portrait d'un rival, ou de tirer des poches d'une prude de quoi la démasquer? Mais nos parents ne songent à rien; et, moi j'ai beau songer à tout, je ne fais que m'apercevoir que je suis gauche, sans pouvoir y remédier. Quoi qu'il en soit, je revins me mettre à table, fort mécontent. Ma Belle calma pourtant un peu mon humeur, par l'air d'intérÃÂȘt que lui donna ma feinte indisposition; et je ne manquai pas de l'assurer que j'avais, depuis quelque temps, de violentes agitations qui altéraient ma santé. Persuadée comme elle est que c'est elle qui les cause, ne devait-elle pas en conscience travailler à les calmer? Mais, quoique dévote, elle est peu charitable; elle refuse toute aumÎne amoureuse, et ce refus suffit bien, ce me semble, pour en autoriser le vol. Mais adieu; car tout en causant avec vous, je ne songe qu'à ces maudites Lettres. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XLIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Pourquoi chercher, Monsieur, à diminuer ma reconnaissance? Pourquoi ne vouloir m'obéir qu'à demi, et marchander en quelque sorte un procédé honnÃÂȘte? Il ne vous suffit donc pas que j'en sente le prix? Non seulement vous demandez beaucoup; mais vous demandez des choses impossibles. Si en effet mes amis m'ont parlé de vous, ils ne l'ont pu faire que par intérÃÂȘt pour moi quand mÃÂȘme ils se seraient trompés, leur intention n'en était pas moins bonne; et vous me proposez de reconnaÃtre cette marque d'attachement de leur part, en vous livrant leur secret! J'ai déjà eu tort de vous en parler, et vous me le faites assez sentir en ce moment. Ce qui n'eût été que de la candeur avec tout autre, devient une étourderie avec vous, et me mÚnerait à une noirceur, si je cédais à votre demande. J'en appelle à vous-mÃÂȘme, à votre honnÃÂȘteté; m'avez-vous crue capable de ce procédé? avez-vous dû me le proposer? non sans doute; et je suis sûre qu'en y réfléchissant mieux vous ne reviendrez plus sur cette demande. Celle que vous me faites de m'écrire n'est guÚre plus facile à accorder; et si vous voulez ÃÂȘtre juste, ce n'est pas à moi que vous vous en prendrez. Je ne veux point vous offenser; mais avec la réputation que vous vous ÃÂȘtes acquise, et que, de votre aveu mÃÂȘme, vous méritez au moins en partie, quelle femme pourrait avouer ÃÂȘtre en correspondance avec vous? et quelle femme honnÃÂȘte peut se déterminer à faire ce qu'elle sent qu'elle serait obligée de cacher? Encore si j'étais assurée que vos Lettres fussent telles que je n'eusse jamais à m'en plaindre, que je pusse toujours me justifier à mes yeux de les avoir reçues! peut-ÃÂȘtre alors le désir de vous prouver que c'est la raison et non la haine qui me guide me ferait passer par-dessus ces considérations puissantes, et faire beaucoup plus que je ne devrais, en vous permettant de m'écrire quelquefois. Si en effet vous le désirez autant que vous me le dites, vous vous soumettrez volontiers à la seule condition qui puisse m'y faire consentir; et si vous avez quelque reconnaissance de ce que je fais pour vous en ce moment, vous ne différerez plus de partir. Permettez-moi de vous observer à ce sujet, que vous avez reçu une Lettre ce matin et que vous n'en avez pas profité pour annoncer votre départ à Madame de Rosemonde, comme vous me l'aviez promis. J'espÚre qu'à présent rien ne pourra vous empÃÂȘcher de tenir votre parole. Je compte surtout que vous n'attendrez pas, pour cela, l'entretien que vous me demandez, auquel je ne veux absolument pas me prÃÂȘter; et qu'au lieu de l'ordre que vous prétendez vous ÃÂȘtre nécessaire, vous vous contenterez de la priÚre que je vous renouvelle. Adieu, Monsieur. De ..., ce 27 août 17** LETTRE XLIV LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Partagez ma joie, ma belle amie; je suis aimé; j'ai triomphé de ce cÅ“ur rebelle. C'est en vain qu'il dissimule encore; mon heureuse adresse a surpris son secret. Grùce à mes soins actifs, je sais tout ce qui m'intéresse depuis la nuit, l'heureuse nuit d'hier, je me retrouve dans mon élément; j'ai repris toute mon existence; j'ai dévoilé un double mystÚre d'amour et d'iniquité je jouirai de l'un, je me vengerai de l'autre; je volerai de plaisirs en plaisirs. La seule idée que je m'en fais me transporte au point que j'ai quelque peine à rappeler ma prudence; que j'en aurai peut-ÃÂȘtre à mettre de l'ordre dans le récit que j'ai à vous faire. Essayons cependant. Hier mÃÂȘme, aprÚs vous avoir écrit ma Lettre, j'en reçus une de la céleste dévote. Je vous l'envoie; vous y verrez qu'elle me donne, le moins maladroitement qu'elle peut, la permission de lui écrire mais elle y presse mon départ, et je sentais bien que je ne pouvais le différer trop longtemps sans me nuire. Tourmenté cependant du désir de savoir qui pouvait avoir écrit contre moi, j'étais encore incertain du parti que je prendrais. Je tentai de gagner la Femme de chambre, et je voulus obtenir d'elle de me livrer les poches de sa MaÃtresse, dont elle pouvait s'emparer aisément le soir, et qu'il lui était facile de replacer le matin, sans donner le moindre soupçon. J'offris dix louis pour ce léger service mais je ne trouvai qu'une bégueule, scrupuleuse ou timide, que mon éloquence ni mon argent ne purent vaincre. Je la prÃÂȘchais encore, quand le souper sonna. Il fallut la laisser trop heureux qu'elle voulût bien me promettre le secret, sur lequel mÃÂȘme vous jugez que je ne comptais guÚre. Jamais je n'eus plus d'humeur. Je me sentais compromis; et je me reprochais, toute la soirée, ma démarche imprudente. Retiré chez moi, non sans inquiétude, je parlai à mon Chasseur qui, en sa qualité d'Amant heureux, devait avoir quelque crédit. Je voulais, ou qu'il obtÃnt de cette fille de faire ce que je lui avais demandé, ou au moins qu'il s'assurùt de sa discrétion mais lui, qui d'ordinaire ne doute de rien, parut douter du succÚs de cette négociation, et me fit à ce sujet une réflexion qui m'étonna par sa profondeur. " Monsieur sait sûrement mieux que moi " , me dit-il, " que coucher avec une fille, ce n'est que lui faire faire ce qui lui plaÃt de là à lui faire faire ce que nous voulons, il y a souvent bien loin. " Le bon sens du Maraud quelquefois m'épouvante . [PIRON, Métromanie] " Je réponds d'autant moins de celle-ci " , ajouta-t-il, " que j'ai lieu de croire qu'elle a un Amant, et que je ne la dois qu'au désÅ“uvrement de la campagne. Aussi, sans mon zÚle pour le service de Monsieur, je n'aurais eu cela qu'une fois. " C'est un vrai trésor que ce garçon! " Quant au secret " , ajouta-t-il encore, " à quoi servira-t-il de lui faire promettre, puisqu'elle ne risquera rien à nous tromper? lui en reparler ne ferait que lui mieux apprendre qu'il est important, et par là lui donner plus d'envie d'en faire sa cour à sa MaÃtresse. " Plus ces réflexions étaient justes, plus mon embarras augmentait. Heureusement le drÎle était en train de jaser; et comme j'avais besoin de lui, je le laissais faire. Tout en me racontant son histoire avec cette fille, il m'apprit que comme la chambre qu'elle occupe n'est séparée de celle de sa MaÃtresse que par une simple cloison, qui pouvait laisser entendre un bruit suspect, c'était dans la sienne qu'ils se rassemblaient chaque nuit. AussitÎt je formai mon plan, je le lui communiquai, et nous l'exécutùmes avec succÚs. J'attendis deux heures du matin; et alors je me rendis, comme nous en étions convenus, à la chambre du rendez-vous, portant de la lumiÚre avec moi, et sous prétexte d'avoir sonné plusieurs fois inutilement. Mon confident, qui joue ses rÎles à merveille, donna une petite scÚne de surprise, de désespoir et d'excuse, que je terminai en l'envoyant me faire chauffer de l'eau, dont je feignis avoir besoin; tandis que la scrupuleuse ChambriÚre était d'autant plus honteuse, que le drÎle qui avait voulu renchérir sur mes projets l'avait déterminée à une toilette que la saison comportait, mais qu'elle n'excusait pas. Comme je sentais que plus cette fille serait humiliée, plus j'en disposerais facilement, je ne lui permis de changer ni de situation ni de parure; et aprÚs avoir ordonné à mon Valet de m'attendre chez moi, je m'assis à cÎté d'elle sur le lit qui était fort en désordre, et je commençai ma conversation. J'avais besoin de garder l'empire que la circonstance me donnait sur elle aussi conservai-je un sang-froid qui eût fait honneur à la continence de Scipion; et sans prendre la plus petite liberté avec elle, ce que pourtant sa fraÃcheur et l'occasion semblaient lui donner le droit d'espérer, je lui parlai d'affaires aussi tranquillement que j'aurais pu faire avec un Procureur. Mes conditions furent que je garderais fidÚlement le secret, pourvu que le lendemain, à pareille heure à peu prÚs, elle me livrùt les poches de sa MaÃtresse. " Au reste " , ajoutai-je, " je vous avais offert dix louis hier; je vous les promets encore aujourd'hui. Je ne veux pas abuser de votre situation. " Tout fut accordé, comme vous pouvez croire; alors je me retirai, et permis à l'heureux couple de réparer le temps perdu. J'employai le mien à dormir; et à mon réveil, voulant avoir un prétexte pour ne pas répondre à la Lettre de ma Belle avant d'avoir visité ses papiers, ce que je ne pouvais faire que la nuit suivante, je me décidai à aller à la chasse, oÃÂč je restai presque tout le jour. A mon retour, je fus reçu assez froidement. J'ai lieu de croire qu'on fut un peu piqué du peu d'empressement que je mettais à profiter du temps qui me restait; surtout aprÚs la Lettre plus douce que l'on m'avait écrite. J'en juge ainsi, sur ce que Madame de Rosemonde m'ayant fait quelques reproches sur cette longue absence, ma Belle reprit avec un peu d'aigreur " Ah! ne reprochons pas à M. de Valmont de se livrer au seul plaisir qu'il peut trouver ici. " Je me plaignis de cette injustice, et j'en profitai pour assurer que je me plaisais tant avec ces Dames, que j'y sacrifiais une Lettre trÚs intéressante que j'avais à écrire. J'ajoutai que, ne pouvant trouver le sommeil depuis plusieurs nuits, j'avais voulu essayer si la fatigue me le rendrait; et mes regards expliquaient assez et le sujet de ma Lettre, et la cause de mon insomnie. J'eus soin d'avoir toute la soirée une douceur mélancolique qui me parut réussir assez bien, et sous laquelle je masquai l'impatience oÃÂč j'étais de voir arriver l'heure qui devait me livrer le secret qu'on s'obstinait à me cacher. Enfin nous nous séparùmes, et quelque temps aprÚs, la fidÚle Femme de chambre vint m'apporter le prix convenu de ma discrétion. Une fois maÃtre de ce trésor, je procédai à l'inventaire avec la prudence que vous me connaissez car il était important de remettre tout en place. Je tombai d'abord sur deux Lettres du mari, mélange indigeste de détails de procÚs et de tirades d'amour conjugal, que j'eus la patience de lire en entier, et oÃÂč je ne trouvai pas un mot qui eût rapport à moi. Je les replaçai avec humeur mais elle s'adoucit, en trouvant sous ma main les morceaux de ma fameuse Lettre de Dijon, soigneusement rassemblés. Heureusement il me prit fantaisie de la parcourir. Jugez de ma joie, en y apercevant les traces bien distinctes des larmes de mon adorable Dévote. Je l'avoue, je cédai à un mouvement de jeune homme, et baisai cette Lettre avec un transport dont je ne me croyais plus susceptible. Je continuai l'heureux examen; je retrouvai toutes mes Lettres de suite, et par ordre de dates; et ce qui me surprit plus agréablement encore, fut de retrouver la premiÚre de toutes, celle que je croyais m'avoir été rendue par une ingrate, fidÚlement copiée de sa main; et d'une écriture altérée et tremblante, qui témoignait assez la douce agitation de son cÅ“ur pendant cette occupation. Jusque-là j'étais tout entier à l'Amour; bientÎt il fit place à la fureur. Qui croyez-vous qui veuille me perdre auprÚs de cette femme que j'adore? quelle Furie supposez-vous assez méchante pour tramer une pareille noirceur? Vous la connaissez c'est votre amie, votre parente; c'est Madame de Volanges. Vous n'imaginez pas quel tissu d'horreurs l'infernale MégÚre lui a écrit sur mon compte. C'est elle, elle seule, qui a troublé la sécurité de cette femme angélique; c'est par ses conseils, par ses avis pernicieux, que je me vois forcé de m'éloigner; c'est à elle enfin que l'on me sacrifie. Ah! sans doute il faut séduire sa fille mais ce n'est pas assez, il faut la perdre; et puisque l'ùge de cette maudite femme la met à l'abri de mes coups, il faut la frapper dans l'objet de ses affections. Elle veut donc que je revienne à Paris! elle m'y force! soit, j'y retournerai, mais elle gémira de mon retour. Je suis fùché que Danceny soit le héros de cette aventure, il a un fond d'honnÃÂȘteté qui nous gÃÂȘnera cependant il est amoureux, et je le vois souvent; on pourra peut-ÃÂȘtre en tirer parti. Je m'oublie dans ma colÚre, et je ne songe pas que je vous dois le récit de ce qui s'est passé aujourd'hui. Revenons. Ce matin j'ai revu ma sensible Prude. Jamais je ne l'avais trouvée si belle. Cela devait ÃÂȘtre ainsi le plus beau moment d'une femme, le seul oÃÂč elle puisse produire cette ivresse de l'ùme, dont on parle toujours, et qu'on éprouve si rarement, est celui oÃÂč, assurés de son amour, nous ne le sommes pas de ses faveurs; et c'est précisément le cas oÃÂč je me trouvais. Peut-ÃÂȘtre aussi l'idée que j'allais ÃÂȘtre privé du plaisir de la voir servait-elle à l'embellir. Enfin, à l'arrivée du Courrier, on m'a remis votre Lettre du 27; et pendant que je la lisais, j'hésitais encore pour savoir si je tiendrais ma parole mais j'ai rencontré les yeux de ma Belle, et il m'aurait été impossible de lui rien refuser. J'ai donc annoncé mon départ. Un moment aprÚs, Madame de Rosemonde nous a laissés seuls mais j'étais encore à quatre pas de la farouche personne, que se levant avec l'air de l'effroi " Laissez-moi, laissez-moi, Monsieur " , m'a- t-elle dit; " au nom de Dieu, laissez-moi. " Cette priÚre fervente, qui décelait son émotion, ne pouvait que m'animer davantage. Déjà j'étais auprÚs d'elle, et je tenais ses mains qu'elle avait jointes avec une expression tout à fait touchante; là , je commençais de tendres plaintes, quand un démon ennemi ramena Madame de Rosemonde. La timide Dévote, qui a en effet quelques raisons de craindre, en a profité pour se retirer. Je lui ai pourtant offert la main qu'elle a acceptée; et augurant bien de cette douceur, qu'elle n'avait pas eue depuis longtemps, tout en recommençant mes plaintes j'ai essayé de serrer la sienne. Elle a d'abord voulu la retirer; mais sur une instance plus vive, elle s'est livrée d'assez bonne grùce, quoique sans répondre ni à ce geste, ni à mes discours. Arrivés à la porte de son appartement, j'ai voulu baiser cette main, avant de la quitter. La défense a commencé par ÃÂȘtre franche; mais un songez donc que je pars , prononcé bien tendrement, l'a rendue gauche et insuffisante. A peine le baiser a-t-il été donné, que la main a retrouvé sa force pour échapper, et que la Belle est entrée dans son appartement oÃÂč était sa Femme de chambre. Ici finit mon histoire. Comme je présume que vous serez demain chez la Maréchale de ... , oÃÂč sûrement je n'irai pas vous trouver; comme je me doute bien aussi qu'à notre premiÚre entrevue nous aurons plus d'une affaire à traiter, et notamment celle de la petite Volanges, que je ne perds pas de vue, j'ai pris le parti de me faire précéder par cette Lettre; et toute longue qu'elle est, je ne la fermerai qu'au moment de l'envoyer à la Poste, car au terme oÃÂč j'en suis, tout peut dépendre d'une occasion; et je vous quitte pour aller l'épier. à huit heures du soir. Rien de nouveau; pas le plus petit moment de liberté du soin mÃÂȘme pour l'éviter. Cependant, autant de tristesse que la décence en permettait, pour le moins. Un autre événement qui peut ne pas ÃÂȘtre indifférent, c'est que je suis chargé d'une invitation de Madame de Rosemonde à Madame de Volanges, pour venir passer quelque temps chez elle à la campagne. Adieu, ma belle amie; à demain ou aprÚs-demain au plus tard. De ..., ce 28 août 17** LETTRE XLV LA PRESIDENTE DE TOURVEL A MADAME DE VOLANGES M. de Valmont est parti ce matin, Madame; vous m'avez paru tant désirer ce départ, que j'ai cru devoir vous en instruire. Madame de Rosemonde regrette beaucoup son neveu, dont il faut convenir qu'en effet la société est agréable elle a passé toute la matinée à m'en parler avec la sensibilité que vous lui connaissez; elle ne tarissait pas sur son éloge. J'ai cru lui devoir la complaisance de l'écouter sans la contredire, d'autant qu'il faut avouer qu'elle avait raison sur beaucoup de points. Je sentais de plus que j'avais à me reprocher d'ÃÂȘtre la cause de cette séparation, et je n'espÚre pas pouvoir la dédommager du plaisir dont je l'ai privée. Vous savez que j'ai naturellement peu de gaieté, et le genre de vie que nous allons mener ici n'est pas fait pour l'augmenter. Si je ne m'étais pas conduite d'aprÚs vos avis, je craindrais d'avoir agi un peu légÚrement car j'ai été vraiment peinée de la douleur de ma respectable amie; elle m'a touchée au point que j'aurais volontiers mÃÂȘlé mes larmes aux siennes. Nous vivons à présent dans l'espoir que vous accepterez l'invitation que M. de Valmont doit vous faire, de la part de Madame de Rosemonde, de venir passer quelque temps chez elle. J'espÚre que vous ne doutez pas du plaisir que j'aurai à vous y voir; et en vérité vous nous devez ce dédommagement. Je serai fort aise de trouver cette occasion de faire une connaissance plus prompte avec Mademoiselle de Volanges, et d'ÃÂȘtre à portée de vous convaincre de plus en plus des sentiments respectueux, etc. De ..., ce 29 août 17** LETTRE XLVI LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Que vous est-il donc arrivé, mon adorable Cécile? qui a pu causer en vous un changement si prompt et si cruel? que sont devenus vos serments de ne jamais changer? Hier encore, vous les réitériez avec tant de plaisir! qui peut aujourd'hui vous les faire oublier? J'ai beau m'examiner, je ne puis en trouver la cause en moi, et il m'est affreux d'avoir à la chercher en vous. Ah! sans doute vous n'ÃÂȘtes ni légÚre, ni trompeuse; et mÃÂȘme dans ce moment de désespoir, un soupçon outrageant ne flétrira point mon ùme. Cependant, par quelle fatalité n'ÃÂȘtes-vous plus la mÃÂȘme? Non, cruelle, vous ne l'ÃÂȘtes plus! La tendre Cécile, la Cécile que j'adore, et dont j'ai reçu les serments, n'aurait point évité mes regards, n'aurait point contrarié le hasard heureux qui me plaçait auprÚs d'elle; ou si quelque raison que je ne peux concevoir l'avait forcée à me traiter avec tant de rigueur, elle n'eût pas au moins dédaigné de m'en instruire. Ah! vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, ma Cécile, ce que vous m'avez fait souffrir aujourd'hui, ce que je souffre encore en ce moment. Croyez-vous donc que je puisse vivre et ne plus ÃÂȘtre aimé de vous? Cependant, quand je vous ai demandé un mot, un seul mot, pour dissiper mes craintes, au lieu de me répondre, vous avez feint de craindre d'ÃÂȘtre entendue; et cet obstacle qui n'existait pas alors vous l'avez fait naÃtre aussitÎt, par la place que vous avez choisie dans le cercle. Quand, forcé de vous quitter, je vous ai demandé l'heure à laquelle je pourrais vous revoir demain, vous avez feint de l'ignorer, et il a fallu que ce fût Madame de Volanges qui m'en instruisÃt. Ainsi ce moment toujours si désiré qui doit me rapprocher de vous, demain ne fera naÃtre en moi que de l'inquiétude; et le plaisir de vous voir, jusqu'alors si cher à mon cÅ“ur, sera remplacé par la crainte de vous ÃÂȘtre importun. Déjà , je le sens, cette crainte m'arrÃÂȘte, et je n'ose vous parler de mon amour. Ce je vous aime , que j'aimais tant à répéter quand je pouvais l'entendre à mon tour, ce mot si doux, qui suffisait à ma félicité, ne m'offre plus, si vous ÃÂȘtes changée, que l'image d'un désespoir éternel. Je ne puis croire pourtant que ce talisman de l'Amour ait perdu toute sa puissance, et j'essaie de m'en servir encore [Ceux qui n'ont pas eu l'occasion de sentir quelquefois le prix d'un mot d'une expression, consacrés par l'Amour, ne trouveront aucun sens dans cette phrase]. Oui, ma Cécile, je vous aime. Répétez donc avec moi cette expression de mon bonheur. Songez que vous m'avez accoutumé à l'entendre, et que m'en priver, c'est me condamner à un tourment qui, de mÃÂȘme que mon amour, ne finira qu'avec ma vie. De ..., ce 29 août 17** LETTRE XLVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je ne vous verrai pas encore aujourd'hui, ma belle amie, et voici mes raisons, que je vous prie de recevoir avec indulgence. Au lieu de revenir hier directement, je me suis arrÃÂȘté chez la Comtesse de ***, dont le chùteau se trouvait presque sur ma route, et à qui j'ai demandé à dÃner. Je ne suis arrivé à Paris que vers les sept heures, et je suis descendu à l'Opéra, oÃÂč j'espérais que vous pouviez ÃÂȘtre. L'Opéra fini, j'ai été revoir mes amies du foyer; j'y ai retrouvé mon ancienne Emilie, entourée d'une cour nombreuse, tant en femmes qu'en hommes, à qui elle donnait le soir mÃÂȘme à souper à P... Je ne fus pas plus tÎt entré dans ce cercle, que je fus prié du souper, par acclamation. Je le fus aussi par une petite figure grosse et courte qui me baragouina une invitation en français de Hollande, et que je reconnus pour le véritable héros de la fÃÂȘte. J'acceptai. J'appris, dans ma route, que la maison oÃÂč nous allions était le prix convenu des bontés d'Emilie pour cette figure grotesque, et que ce souper était un véritable repas de noces. Le petit homme ne se possédait pas de joie, dans l'attente du bonheur dont il allait jouir; il m'en parut si satisfait, qu'il me donna envie de le troubler; ce que je fis en effet. La seule difficulté que j'éprouvai fut de décider Emilie que la richesse du Bourgmestre rendait un peu scrupuleuse. Elle se prÃÂȘta pourtant, aprÚs quelques façons, au projet que je donnai, de remplir de vin ce petit tonneau à biÚre, et de le mettre ainsi hors de combat pour toute la nuit. L'idée sublime que nous nous étions formée d'un buveur Hollandais nous fit employer tous les moyens connus. Nous réussÃmes si bien, qu'au dessert il n'avait déjà plus la force de tenir son verre mais la secourable Emilie et moi l'entonnions à qui mieux mieux. Enfin, il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu'elle doit au moins durer huit jours. Nous nous décidùmes alors à le renvoyer à Paris; et comme il n'avait pas gardé sa voiture, je le fis charger dans la mienne, et je restai à sa place. Je reçus ensuite les compliments de l'assemblée, qui se retira bientÎt aprÚs, et me laissa maÃtre du champ de bataille. Cette gaieté, et peut-ÃÂȘtre ma longue retraite, m'ont fait trouver Emilie si désirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu'à la résurrection du Hollandais. Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu'elle vient d'avoir, de me servir de pupitre pour écrire à ma belle Dévote, à qui j'ai trouvé plaisant d'envoyer une Lettre écrite du lit et presque d'entre les bras d'une fille, interrompue mÃÂȘme pour une infidélité complÚte, et dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation et de ma conduite. Emilie, qui a lu l'EpÃtre, en a ri comme une folle, et j'espÚre que vous en rirez aussi. Comme il faut que ma Lettre soit timbrée de Paris, je vous l'envoie; je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, et la faire mettre à la Poste. Surtout n'allez pas vous servir de votre cachet, ni mÃÂȘme d'aucun emblÚme amoureux; une tÃÂȘte seulement. Adieu, ma belle amie. Je rouvre ma Lettre; j'ai décidé Emilie à aller aux Italiens. Je profiterai de ce temps pour aller vous voir. Je serai chez vous à six heures au plus tard; et si cela vous convient, nous irons ensemble sur les sept heures chez Madame de Volanges. Il sera décent que je ne diffÚre pas l'invitation que j'ai à lui faire de la part de Madame de Rosemonde; de plus, je serai bien aise de voir la petite Volanges. Adieu, la trÚs belle dame. Je veux avoir tant de plaisir à vous embrasser que le Chevalier puisse en ÃÂȘtre jaloux. De P. . , ce 30 août 17** LETTRE XLVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL TIMBREE DE PARIS. C'est aprÚs une nuit orageuse, et pendant laquelle je n'ai pas fermé l'oeil; c'est aprÚs avoir été sans cesse ou dans l'agitation d'une ardeur dévorante, ou dans l'entier anéantissement de toutes les facultés de mon ùme, que je viens chercher auprÚs de vous, Madame, un calme dont j'ai besoin, et dont pourtant je n'espÚre pas jouir encore. En effet, la situation oÃÂč je suis en vous écrivant me fait connaÃtre plus que jamais la puissance irrésistible de l'Amour; j'ai peine à conserver assez d'empire sur moi pour mettre quelque ordre dans mes idées; et déjà je prévois que je ne finirai pas cette Lettre sans ÃÂȘtre obligé de l'interrompre. Quoi! ne puis-je donc espérer que vous partagerez quelque jour le trouble que j'éprouve en ce moment? J'ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n'y seriez pas entiÚrement insensible. Croyez-moi, Madame, la froide tranquillité, le sommeil de l'ùme, image de la mort, ne mÚnent point au bonheur; les passions actives peuvent seules y conduire; et malgré les tourments que vous me faites éprouver, je crois pouvoir assurer sans crainte, que, dans ce moment, je suis plus heureux que vous. En vain m'accablez-vous de vos rigueurs désolantes, elles ne m'empÃÂȘchent point de m'abandonner entiÚrement à l'Amour et d'oublier, dans le délire qu'il me cause, le désespoir auquel vous me livrez. C'est ainsi que je veux me venger de l'exil auquel vous me condamnez. Jamais je n'eus tant de plaisir en vous écrivant; jamais je ne ressentis, dans cette occupation, une émotion si douce et cependant si vive. Tout semble augmenter mes transports l'air que je respire est plein de volupté; la table mÃÂȘme sur laquelle je vous écris, consacrée pour la premiÚre fois à cet usage, devient pour moi l'autel sacré de l'Amour; combien elle va s'embellir à mes yeux! j'aurai tracé sur elle le serment de vous aimer toujours! Pardonnez, je vous en supplie, au désordre de mes sens. Je devrais peut-ÃÂȘtre m'abandonner moins à des transports que vous ne partagez pas il faut vous quitter un moment pour dissiper une ivresse qui s'augmente à chaque instant, et qui devient plus forte que moi. Je reviens à vous, Madame, et sans doute j'y reviens toujours avec le mÃÂȘme empressement. Cependant le sentiment du bonheur a fui loin de moi; il a fait place à celui des privations cruelles. A quoi me sert-il de vous parler de mes sentiments, si je cherche en vain les moyens de vous convaincre? aprÚs tant d'efforts réitérés, la confiance et la force m'abandonnent à la fois. Si je me retrace encore les plaisirs de l'Amour, c'est pour sentir plus vivement le regret d'en ÃÂȘtre privé. Je ne me vois de ressource que dans votre indulgence, et je sens trop, dans ce moment, combien j'en ai besoin pour espérer de l'obtenir. Cependant, jamais mon amour ne fut plus respectueux, jamais il ne dut moins vous offenser; il est tel, j'ose le dire, que la vertu la plus sévÚre ne devrait pas le craindre mais je crains moi-mÃÂȘme de vous entretenir plus longtemps de la peine que j'éprouve. Assuré que l'objet qui la cause ne la partage pas, il ne faut pas au moins abuser de ses bontés; et ce serait le faire, que d'employer plus de temps à vous retracer cette douloureuse image. Je ne prends plus que celui de vous supplier de me répondre, et de ne jamais douter de la vérité de mes sentiments. Ecrite de P ..., datée de Paris, ce 30 août l7**. LETTRE XLIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Sans ÃÂȘtre ni légÚre, ni trompeuse, il me suffit, Monsieur, d'ÃÂȘtre éclairée sur ma conduite, pour sentir la nécessité d'en changer; j'en ai promis le sacrifice à Dieu, jusqu'à ce que je puisse lui offrir aussi celui de mes sentiments pour vous, que l'état Religieux dans lequel vous ÃÂȘtes rend plus criminels encore. Je sens bien que cela me fera de la peine, et je ne vous cacherai mÃÂȘme pas que depuis avant-hier j'ai pleuré toutes les fois que j'ai songé à vous. Mais j'espÚre que Dieu me fera la grùce de me donner la force nécessaire pour vous oublier, comme je la lui demande soir et matin. J'attends mÃÂȘme de votre amitié, et de votre honnÃÂȘteté, que vous ne chercherez pas à me troubler dans la bonne résolution qu'on m'a inspirée, et dans laquelle je tùche de me maintenir. En conséquence, je vous demande d'avoir la complaisance de ne me plus écrire, d'autant que je vous préviens que je ne vous répondrais plus, et que vous me forceriez d'avertir Maman de tout ce qui se passe ce qui me priverait tout à fait du plaisir de vous voir. Je n'en conserverai pas moins pour vous tout l'attachement qu'on puisse avoir sans qu'il y ait du mal; et c'est bien de toute mon ùme que je vous souhaite toute sorte de bonheur. Je sens bien que vous allez ne plus m'aimer autant, et que peut-ÃÂȘtre vous en aimerez bientÎt une autre mieux que moi. Mais ce sera une pénitence de plus, de la faute que j'ai commise en vous donnant mon cÅ“ur, que je ne devais donner qu'à Dieu, et à mon mari quand j'en aurai un. J'espÚre que la miséricorde divine aura pitié de ma faiblesse, et qu'elle ne me donnera de peine que ce que j'en pourrai supporter. Adieu, Monsieur; je peux bien vous assurer que s'il m'était permis d'aimer quelqu'un, ce ne serait jamais que vous que j'aimerais. Mais voilà tout ce que je peux vous dire, et c'est peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme plus que je ne devrais. De ..., ce 31 août 17** LETTRE L LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Est-ce donc ainsi, Monsieur, que vous remplissez les conditions auxquelles j'ai consenti à recevoir quelquefois de vos Lettres? Et puis-je ne pas avoir à m'en plaindre , quand vous ne m'y parlez que d'un sentiment auquel je craindrais encore de me livrer, quand mÃÂȘme je le pourrais sans blesser tous mes devoirs? Au reste, si j'avais besoin de nouvelles raisons pour conserver cette crainte salutaire, il me semble que je pourrais les trouver dans votre derniÚre Lettre. En effet, dans le moment mÃÂȘme oÃÂč vous croyez faire l'apologie de l'Amour, que faites-vous au contraire que m'en montrer les orages redoutables? qui peut vouloir d'un bonheur acheté au prix de la raison, et dont les plaisirs peu durables sont au moins suivis des regrets, quand ils ne le sont pas des remords? Vous-mÃÂȘme, chez qui l'habitude de ce délire dangereux doit en diminuer l'effet, n'ÃÂȘtes-vous pas cependant obligé de convenir qu'il devient souvent plus fort que vous, et n'ÃÂȘtes-vous pas le premier à vous plaindre du trouble involontaire qu'il vous cause? Quel ravage effrayant ne ferait-il donc pas sur un cÅ“ur neuf et sensible, qui ajouterait encore à son empire par la grandeur des sacrifices qu'il serait obligé de lui faire? Vous croyez, Monsieur, ou vous feignez de croire que l'Amour mÚne au bonheur; et moi, je suis si persuadée qu'il me rendrait malheureuse, que je voudrais n'entendre jamais prononcer son nom. Il me semble que d'en parler seulement altÚre la tranquillité; et c'est autant par goût que par devoir, que je vous prie de vouloir bien garder le silence sur ce point. AprÚs tout, cette demande doit vous ÃÂȘtre bien facile à m'accorder à présent. De retour à Paris, vous y trouverez assez d'occasions d'oublier un sentiment qui peut-ÃÂȘtre n'a dû sa naissance qu'à l'habitude oÃÂč vous ÃÂȘtes de vous occuper de semblables objets, et sa force qu'au désÅ“uvrement de la campagne. N'ÃÂȘtes- vous donc pas dans ce mÃÂȘme lieu, oÃÂč vous m'aviez vue avec tant d'indifférence? Y pouvez-vous faire un pas sans y rencontrer un exemple de votre facilité à changer et n'y ÃÂȘtes-vous pas entouré de femmes, qui toutes, plus aimables que moi, ont plus de droits à vos hommages? Je n'ai pas la vanité qu'on reproche à mon sexe; j'ai encore moins cette fausse modestie qui n'est qu'un raffinement de l'orgueil; et c'est de bien bonne foi que je vous dis ici que je me connais bien peu de moyens de plaire je les aurais tous, que je ne les croirais pas suffisants pour vous fixer. Vous demander de ne plus vous occuper de moi, ce n'est donc que vous prier de faire aujourd'hui ce que déjà vous aviez fait, et ce qu'à coup sûr vous feriez encore dans peu de temps, quand mÃÂȘme je vous demanderais le contraire. Cette vérité, que je ne perds pas de vue, serait, à elle seule, une raison assez forte pour ne pas vouloir vous entendre. J'en ai mille autres encore mais sans entrer dans cette longue discussion, je m'en tiens à vous prier, comme je l'ai déjà fait, de ne plus m'entretenir d'un sentiment que je ne dois pas écouter, et auquel je dois encore moins répondre. De ..., ce 1er septembre 17** SECONDE PARTIE LETTRE LI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT En vérité, Vicomte, vous ÃÂȘtes insupportable. Vous me traitez avec autant de légÚreté que si j'étais votre MaÃtresse. Savez-vous que je me fùcherai, et que j'ai dans ce moment une humeur effroyable? Comment! vous devez voir Danceny demain matin; vous savez combien il est important que je vous parle avant cette entrevue; et sans vous inquiéter davantage, vous me laissez vous attendre toute la journée, pour aller courir je ne sais oÃÂč? Vous ÃÂȘtes cause que je suis arrivée indécemment tard chez Madame de Volanges, et que toutes les vieilles femmes m'ont trouvée merveilleuse. Il m'a fallu leur faire des cajoleries toute la soirée pour les apaiser car il ne faut pas fùcher les vieilles femmes; ce sont elles qui font la réputation des jeunes. A présent il est une heure du matin, et au lieu de me coucher, comme j'en meurs d'envie, il faut que je vous écrive une longue Lettre, qui va redoubler mon sommeil par l'ennui qu'elle me causera. Vous ÃÂȘtes bien heureux que je n'aie pas le temps de vous gronder davantage. N'allez pas croire pour cela que je vous pardonne; c'est seulement que je suis pressée. Ecoutez-moi donc, je me dépÃÂȘche. Pour peu que vous soyez adroit, vous devez avoir demain la confidence de Danceny. Le moment est favorable pour la confiance c'est celui du malheur. La petite fille a été à confesse; elle a tout dit, comme un enfant; et depuis, elle est tourmentée à un tel point de la peur du diable, qu'elle veut rompre absolument. Elle m'a raconté tous ses petits scrupules, avec une vivacité qui m'apprenait assez combien sa tÃÂȘte était montée. Elle m'a montré sa Lettre de rupture, qui est une vraie capucinade. Elle a babillé une heure avec moi, sans me dire un mot qui ait le sens commun. Mais elle ne m'en a pas moins embarrassée; car vous jugez que je ne pouvais risquer de m'ouvrir vis-à -vis d'une aussi mauvaise tÃÂȘte. J'ai vu pourtant au milieu de tout ce bavardage qu'elle n'en aime pas moins son Danceny; j'ai remarqué mÃÂȘme une de ces ressources qui ne manquent jamais à l'Amour, et dont la petite fille est assez plaisamment la dupe. Tourmentée par le désir de s'occuper de son Amant, et par la crainte de se damner en s'en occupant, elle a imaginé de prier Dieu de le lui faire oublier; et comme elle renouvelle cette priÚre à chaque instant du jour, elle trouve le moyen d'y penser sans cesse. Avec quelqu'un de plus usagé que Danceny, ce petit événement serait peut-ÃÂȘtre plus favorable que contraire, mais le jeune homme est si Céladon, que, si nous ne l'aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus légers obstacles qu'il ne nous laissera pas celui d'effectuer notre projet. Vous avez bien raison; c'est dommage, et je suis aussi fùchée que vous qu'il soit le héros de cette aventure mais que voulez-vous? ce qui est fait est fait; et c'est votre faute. J'ai demandé à voir sa Réponse [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée]; elle m'a fait pitié. Il lui fait des raisonnements à perte d'haleine, pour lui prouver qu'un sentiment involontaire ne peut pas ÃÂȘtre un crime comme s'il ne cessait pas d'ÃÂȘtre involontaire, du moment qu'on cesse de le combattre! Cette idée est si simple, qu'elle est venue mÃÂȘme à la petite fille. Il se plaint de son malheur d'une maniÚre assez touchante mais sa douleur est si douce et paraÃt si forte et si sincÚre, qu'il me semble impossible qu'une femme qui trouve l'occasion de désespérer un homme à ce point, et avec aussi peu de danger, ne soit pas tentée de s'en passer la fantaisie. Il lui explique enfin qu'il n'est pas Moine comme la petite le croyait; et c'est, sans contredit, ce qu'il fait de mieux car, pour faire tant que de se livrer à l'Amour Monastique, assurément MM. les Chevaliers de Malte ne mériteraient pas la préférence. Quoi qu'il en soit, au lieu de perdre mon temps en raisonnements qui m'auraient compromise, et peut-ÃÂȘtre sans persuader, j'ai approuvé le projet de rupture mais j'ai dit qu'il était plus honnÃÂȘte, en pareil cas, de dire ses raisons que de les écrire; qu'il était d'usage aussi de rendre les Lettres et les autres bagatelles qu'on pouvait avoir reçues; et paraissant entrer ainsi dans les vues de la petite personne, je l'ai décidée à donner un rendez-vous à Danceny. Nous en avons sur-le-champ concerté les moyens, et je me suis chargée de décider la mÚre à sortir sans sa fille; c'est demain aprÚs-midi que sera cet instant décisif. Danceny en est déjà instruit; mais, pour Dieu, si vous en trouvez l'occasion, décidez donc ce beau Berger à ÃÂȘtre moins langoureux; et apprenez-lui, puisqu'il faut lui tout dire, que la vraie façon de vaincre les scrupules est de ne laisser rien à perdre à ceux qui en ont. Au reste, pour que cette ridicule scÚne ne se renouvelùt pas, je n'ai pas manqué d'élever quelques doutes dans l'esprit de la petite fille sur la discrétion des Confesseurs; et je vous assure qu'elle paie à présent la peur qu'elle m'a faite, par celle qu'elle a que le sien n'aille tout dire à sa mÚre. J'espÚre qu'aprÚs que j'en aurai causé encore une fois ou deux avec elle, elle n'ira plus raconter ainsi ses sottises au premier venu [Le lecteur a dû deviner depuis longtemps, par les mÅ“urs de Madame de Merteuil, combien peu elle respectait la Religion. On aurait supprimé tout cet alinéa, mais on a cru qu'en montrant les effets, on ne devait pas négliger d'en faire connaÃtre les causes.]. Adieu, Vicomte; emparez-vous de Danceny, et conduisez-le. Il serait honteux que nous ne fissions pas ce que nous voulons de deux enfants. Si nous y trouvons plus de peine que nous ne l'avions cru d'abord, songeons, pour animer notre zÚle, vous, qu'il s'agit de la fille de Madame de Volanges, et moi, qu'elle doit devenir la femme de Gercourt. Adieu. De ..., ce 2 septembre l7**. LETTRE LII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Vous me défendez, Madame, de vous parler de mon amour; mais oÃÂč trouver le courage nécessaire pour vous obéir? Uniquement occupé d'un sentiment qui devrait ÃÂȘtre si doux, et que vous rendez si cruel; languissant dans l'exil oÃÂč vous m'avez condamné; ne vivant que de privations et de regrets; en proie à des tourments d'autant plus douloureux, qu'ils me rappellent sans cesse votre indifférence; me faudra-t-il encore perdre la seule consolation qui me reste? et puis-je en avoir d'autre, que de vous ouvrir quelquefois une ùme que vous remplissez de trouble et d'amertume? Détournerez-vous vos regards, pour ne pas voir les pleurs que vous faites répandre? Refuserez-vous jusqu'à l'hommage des sacrifices que vous exigez? Ne serait-il donc pas plus digne de vous, de votre ùme honnÃÂȘte et douce, de plaindre un malheureux, qui ne l'est que par vous, que de vouloir encore aggraver ses peines, par une défense à la fois injuste et rigoureuse. Vous feignez de craindre l'Amour, et vous ne voulez pas voir que vous seule causez les maux que vous lui reprochez. Ah! sans doute, ce sentiment est pénible, quand l'objet qui l'inspire ne le partage point; mais oÃÂč trouver le bonheur, si un amour réciproque ne le procure pas? L'amitié tendre, la douce confiance et la seule qui soit sans réserve, les peines adoucies, les plaisirs augmentés, l'espoir enchanteur, les souvenirs délicieux, oÃÂč les trouver ailleurs que dans l'Amour? Vous le calomniez, vous qui, pour jouir de tous les biens qu'il vous offre, n'avez qu'à ne plus vous y refuser; et moi j'oublie les peines que j'éprouve, pour m'occuper à le défendre. Vous me forcez aussi à me défendre moi-mÃÂȘme; car tandis que je consacre ma vie à vous adorer, vous passez la vÎtre à me chercher des torts déjà vous me supposez léger et trompeur; et abusant, contre moi, de quelques erreurs, dont moi-mÃÂȘme je vous ai fait l'aveu, vous vous plaisez à confondre ce que j'étais alors, avec ce que je suis à présent. Non contente de m'avoir livré au tourment de vivre loin de vous, vous y joignez un persiflage cruel, sur des plaisirs auxquels vous savez assez combien vous m'avez rendu insensible. Vous ne croyez ni à mes promesses, ni à mes serments eh bien! il me reste un garant à vous offrir, qu'au moins vous ne suspecterez pas; c'est vous- mÃÂȘme. Je ne vous demande que de vous interroger de bonne foi; si vous ne croyez pas à mon amour, si vous doutez un moment de régner seule sur mon ùme, si vous n'ÃÂȘtes pas assurée d'avoir fixé ce cÅ“ur, en effet, jusqu'ici trop volage, je consens à porter la peine de cette erreur; j'en gémirai, mais n'en appellerai point mais si au contraire, nous rendant justice à tous deux, vous ÃÂȘtes forcée de convenir avec vous-mÃÂȘme que vous n'avez, que vous n'aurez jamais de rivale, ne m'obligez plus, je vous supplie, à combattre des chimÚres, et laissez-moi au moins cette consolation de vous voir ne plus douter d'un sentiment qui, en effet, ne finira, ne peut finir qu'avec ma vie. Permettez-moi, Madame, de vous prier de répondre positivement à cet article de ma Lettre. Si j'abandonne cependant cette époque de ma vie, qui paraÃt me nuire si cruellement auprÚs de vous, ce n'est pas qu'au besoin les raisons me manquassent pour la défendre. Qu'ai-je fait, aprÚs tout, que ne pas résister au tourbillon dans lequel j'avais été jeté? Entré dans le monde, jeune et sans expérience; passé, pour ainsi dire, de mains en mains, par une foule de femmes, qui toutes se hùtent de prévenir par leur facilité une réflexion qu'elles sentent devoir leur ÃÂȘtre défavorable; était-ce donc à moi de donner l'exemple d'une résistance qu'on ne m'opposait point? ou devais-je me punir d'un moment d'erreur, et que souvent on avait provoqué par une constance à coup sûr inutile, et dans laquelle on n'aurait vu qu'un ridicule? Eh! quel autre moyen qu'une prompte rupture peut justifier d'un choix honteux! Mais, je puis le dire, cette ivresse des sens, peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme ce délire de la vanité, n'a point passé jusqu'à mon cÅ“ur. Né pour l'Amour, l'intrigue pouvait le distraire, et ne suffisait pas pour l'occuper; entouré d'objets séduisants, mais méprisables, aucun n'allait jusqu'à mon ùme on m'offrait des plaisirs, je cherchais des vertus; et moi-mÃÂȘme enfin je me crus inconstant, parce que j'étais délicat et sensible. C'est en vous voyant que je me suis éclairé bientÎt j'ai reconnu que le charme de l'Amour tenait aux qualités de l'ùme; qu'elles seules pouvaient en causer l'excÚs, et le justifier. Je sentis enfin qu'il m'était également impossible et de ne pas vous aimer, et d'en aimer une autre que vous. Voilà , Madame, quel est ce cÅ“ur auquel vous craignez de vous livrer, et sur le sort de qui vous avez à prononcer mais quel que soit le destin que vous lui réservez, vous ne changerez rien aux sentiments qui l'attachent à vous; ils sont inaltérables comme les vertus qui les ont fait naÃtre. De ..., ce 3 septembre 17** LETTRE LIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai vu Danceny, mais je n'en ai obtenu qu'une demi-confidence; il s'est obstiné, surtout, à me taire le nom de la petite Volanges, dont il ne m'a parlé que comme d'une femme trÚs sage, et mÃÂȘme un peu dévote à cela prÚs, il m'a raconté avec assez de vérité son aventure, et surtout le dernier événement. Je l'ai échauffé autant que j'ai pu, et l'ai beaucoup plaisanté sur sa délicatesse et ses scrupules; mais il paraÃt qu'il y tient, et je ne puis pas répondre de lui au reste, je pourrai vous en dire davantage aprÚs-demain. Je le mÚne demain à Versailles, et je m'occuperai à le scruter pendant la route. Le rendez-vous qui doit avoir eu lieu aujourd'hui me donne aussi quelque espérance il se pourrait que tout s'y fût passé à notre satisfaction; et peut-ÃÂȘtre ne nous reste-t-il à présent qu'à en arracher l'aveu, et à en recueillir les preuves. Cette besogne vous sera plus facile qu'à moi car la petite personne est plus confiante, ou, ce qui revient au mÃÂȘme, plus bavarde, que son discret Amoureux. Cependant j'y ferai mon possible. Adieu, ma belle amie, je suis fort pressé; je ne vous verrai ni ce soir, ni demain si de votre cÎté vous avez su quelque chose, écrivez-moi un mot pour mon retour. Je reviendrai sûrement coucher à Paris. De ..., ce 3 septembre 17**, au soir. LETTRE LIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Oh! oui! c'est bien avec Danceny qu'il y a quelque chose à savoir! S'il vous l'a dit, il s'est vanté. Je ne connais personne si bÃÂȘte en amour, et je me reproche de plus en plus les bontés que nous avons pour lui. Savez-vous que j'ai pensé ÃÂȘtre compromise par rapport à lui! et que ce soit en pure perte! Oh! je m'en vengerai, je le promets. Quand j'arrivai hier pour prendre Madame de Volanges, elle ne voulait plus sortir; elle se sentait incommodée; il me fallut toute mon éloquence pour la décider, et je vis le moment que Danceny serait arrivé avant notre départ; ce qui eût été d'autant plus gauche que Madame de Volanges lui avait dit la veille qu'elle ne serait pas chez elle. Sa fille et moi, nous étions sur les épines. Nous sortÃmes enfin; et la petite me serra la main si affectueusement en me disant adieu, que malgré son projet de rupture, dont elle croyait de bonne foi s'occuper encore, j'augurai des merveilles de la soirée. Je n'étais pas au bout de mes inquiétudes. Il y avait à peine une demi-heure que nous étions chez Madame de *** que Madame de Volanges se trouva mal en effet, mais sérieusement mal; et comme de raison, elle voulait rentrer chez elle moi, je le voulais d'autant moins que j'avais peur, si nous surprenions les jeunes gens, comme il y avait tout à parier, que mes instances auprÚs de la mÚre, pour la faire sortir, ne lui devinssent suspectes. Je pris le parti de l'effrayer sur sa santé, ce qui heureusement n'est pas difficile; et je la tins une heure et demie, sans consentir à la ramener chez elle, dans la crainte que je feignis d'avoir du mouvement dangereux de la voiture. Nous ne rentrùmes enfin qu'à l'heure convenue. A l'air honteux que je remarquai en arrivant, j'avoue que j'espérai qu'au moins mes peines n'auraient pas été perdues. Le désir que j'avais d'ÃÂȘtre instruite me fit rester auprÚs de Madame de Volanges, qui se coucha aussitÎt, et aprÚs avoir soupé auprÚs de son lit, nous la laissùmes de trÚs bonne heure, sous le prétexte qu'elle avait besoin de repos; et nous passùmes dans l'appartement de sa fille. Celle-ci a fait de son cÎté tout ce que j'attendais d'elle; scrupules évanouis, nouveaux serments d'aimer toujours, etc., elle s'est enfin exécutée de bonne grùce mais le sot Danceny n'a pas passé d'une ligne le point oÃÂč il était auparavant. Oh! l'on peut se brouiller avec celui-là ; les raccommodements ne sont pas dangereux. La petite assure pourtant qu'il voulait davantage, mais qu'elle a su se défendre. Je parierais bien qu'elle se vante, ou qu'elle l'excuse; je m'en suis mÃÂȘme presque assurée. En effet, il m'a pris fantaisie de savoir à quoi m'en tenir sur la défense dont elle était capable; et moi, simple femme, de propos en propos, j'ai monté sa tÃÂȘte au point... Enfin vous pouvez m'en croire, jamais personne ne fut plus susceptible d'une surprise des sens. Elle est vraiment aimable, cette chÚre petite! Elle méritait un autre Amant; elle aura au moins une bonne amie, car je m'attache sincÚrement à elle. Je lui ai promis de la former et je crois que je lui tiendrai parole. Je me suis souvent aperçue du besoin d'avoir une femme dans ma confidence, et j'aimerais mieux celle-là qu'une autre; mais je ne puis en rien faire, tant qu'elle ne sera pas ce qu'il faut qu'elle soit; et c'est une raison de plus d'en vouloir à Danceny. Adieu, Vicomte; ne venez pas chez moi demain, à moins que ce ne soit le matin. J'ai cédé aux instances du Chevalier, pour une soirée de petite Maison. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LV CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Tu avais raison, ma chÚre Sophie; tes prophéties réussissent mieux que tes conseils. Danceny, comme tu l'avais prédit, a été plus fort que le Confesseur, que toi, que moi-mÃÂȘme; et nous voilà revenus exactement oÃÂč nous en étions. Ah! je ne m'en repens pas; et toi, si tu m'en grondes ce sera faute de savoir le plaisir qu'il y a à aimer Danceny. Il t'est bien aisé de dire comme il faut faire, rien ne t'en empÃÂȘche; mais si tu avais éprouvé combien le chagrin de quelqu'un qu'on aime nous fait mal, comment sa joie devient la nÎtre, et comment il est difficile de dire non, quand c'est oui que l'on veut dire, tu ne t'étonnerais plus de rien moi-mÃÂȘme qui l'ai senti, bien vivement senti, je ne le comprends pas encore. Crois-tu, par exemple, que je puisse voir pleurer Danceny sans pleurer moi-mÃÂȘme? Je t'assure bien que cela m'est impossible; et quand il est content, je suis heureuse comme lui. Tu auras beau dire; ce qu'on dit ne change pas ce qui est, et je suis bien sûre que c'est comme ça. Je voudrais te voir à ma place... Non, ce n'est pas là ce que je veux dire, car sûrement je ne voudrais céder ma place à personne mais je voudrais que tu aimasses aussi quelqu'un; ce ne serait pas seulement pour que tu m'entendisses mieux, et que tu me grondasses moins; car c'est qu'aussi tu serais plus heureuse, ou, pour mieux dire, tu commencerais seulement alors à le devenir. Nos amusements, nos rires, tout cela, vois-tu, ce ne sont que des jeux d'enfants; il n'en reste rien aprÚs qu'ils sont passés. Mais l'Amour, ah! l'Amour!... un mot, un regard, seulement de le savoir là , eh bien! c'est le bonheur. Quand je vois Danceny, je ne désire plus rien; quand je ne le vois pas, je ne désire que lui. Je ne sais comment cela se fait mais on dirait que tout ce qui me plaÃt lui ressemble. Quand il n'est pas avec moi, j'y songe; et quand je peux y songer tout à fait, sans distraction, quand je suis toute seule, par exemple, je suis encore heureuse; je ferme les yeux, et tout de suite je crois le voir; je me rappelle ses discours, et je crois l'entendre; cela me fait soupirer; et puis je sens un feu, une agitation... Je ne saurais tenir en place. C'est comme un tourment, et ce tourment-là fait un plaisir inexprimable. Je crois mÃÂȘme que quand une fois on a de l'Amour, cela se répand jusque sur l'amitié. Celle que j'ai pour toi n'a pourtant pas changé; c'est toujours comme au Couvent mais ce que je te dis, je l'éprouve avec Madame de Merteuil. Il me semble que je l'aime plus comme Danceny que comme toi, et quelquefois je voudrais qu'elle fût lui. Cela vient peut-ÃÂȘtre de ce que ce n'est pas une amitié d'enfant comme la nÎtre; ou bien de ce que je les vois si souvent ensemble, ce qui fait que je me trompe. Enfin, ce qu'il y a de vrai, c'est qu'à eux deux, ils me rendent bien heureuse; et aprÚs tout, je ne crois pas qu'il y ait grand mal à ce que je fais. Aussi je ne demanderais qu'à rester comme je suis; et il n'y a que l'idée de mon mariage qui me fasse de la peine car si M. de Gercourt est comme on me l'a dit, et je n'en doute pas, je ne sais pas ce que je deviendrai. Adieu, ma Sophie; je t'aime toujours bien tendrement. De ..., ce 4 septembre 17** LETTRE LVI LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT A quoi vous servirait, Monsieur, la réponse que vous me demandez? Croire à vos sentiments, ne serait-ce pas une raison de plus pour les craindre? et sans attaquer ni défendre leur sincérité, ne me suffit-il pas, ne doit-il pas vous suffire à vous-mÃÂȘme, de savoir que je ne veux ni ne dois y répondre? Supposé que vous m'aimiez véritablement et c'est seulement pour ne plus revenir sur cet objet que je consens à cette supposition, les obstacles qui nous séparent en seraient-ils moins insurmontables? et aurais-je autre chose à faire qu'à souhaiter que vous puissiez bientÎt vaincre cet amour, et surtout à vous y aider de tout mon pouvoir, en me hùtant de vous Îter toute espérance? Vous convenez vous-mÃÂȘme que ce sentiment est pénible quand l'objet qui l'inspire ne le partage point . Or, vous savez assez qu'il m'est impossible de le partager, et quand mÃÂȘme ce malheur m'arriverait, j'en serais plus à plaindre, sans que vous en fussiez plus heureux. J'espÚre que vous m'estimez assez pour n'en pas douter un instant. Cessez donc, je vous en conjure, cessez de vouloir troubler un cÅ“ur à qui la tranquillité est si nécessaire; ne me forcez pas à regretter de vous avoir connu. Chérie et estimée d'un mari que j'aime et respecte, mes devoirs et mes plaisirs se rassemblent dans le mÃÂȘme objet. Je suis heureuse, je dois l'ÃÂȘtre. S'il existe des plaisirs plus vifs, je ne les désire pas; je ne veux point les connaÃtre. En est-il de plus doux que d'ÃÂȘtre en paix avec soi-mÃÂȘme, de n'avoir que des jours sereins, de s'endormir sans trouble, et de s'éveiller sans remords? Ce que vous appelez le bonheur n'est qu'un tumulte des sens, un orage des passions dont le spectacle est effrayant, mÃÂȘme à le regarder du rivage. Eh! comment affronter ces tempÃÂȘtes? comment oser s'embarquer sur une mer couverte des débris de mille et mille naufrages? Et avec qui? Non, Monsieur, je reste à terre; je chéris les liens qui m'y attachent. Je pourrais les rompre, que je ne le voudrais pas; si je ne les avais, je me hùterais de les prendre. Pourquoi vous attacher à mes pas? pourquoi vous obstiner à me suivre? Vos Lettres, qui devaient ÃÂȘtre rares, se succÚdent avec rapidité. Elles devaient ÃÂȘtre sages, et vous ne m'y parlez que de votre fol amour. Vous m'entourez de votre idée, plus que vous ne le faisiez de votre personne. Ecarté sous une forme, vous vous reproduisez sous une autre. Les choses qu'on vous demande de ne plus dire, vous les redites seulement d'une autre maniÚre. Vous vous plaisez à m'embarrasser par des raisonnements captieux; vous échappez aux miens. Je ne veux plus vous répondre, je ne vous répondrai plus... Comme vous traitez les femmes que vous avez séduites! avec quel mépris vous en parlez! Je veux croire que quelques-unes le méritent mais toutes sont-elles donc si méprisables? Ah! sans doute, puisqu'elles ont trahi leurs devoirs pour se livrer à un amour criminel. De ce moment, elles ont tout perdu, jusqu'à l'estime de celui à qui elles ont tout sacrifié. Ce supplice est juste, mais l'idée seule en fait frémir. Que m'importe, aprÚs tout? pourquoi m'occuperais-je d'elles ou de vous? de quel droit venez-vous troubler ma tranquillité? Laissez-moi, ne me voyez plus; ne m'écrivez plus, je vous en prie; je l'exige. Cette Lettre est la derniÚre que vous recevrez de moi. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai trouvé votre Lettre hier à mon arrivée. Votre colÚre m'a tout à fait réjoui. Vous ne sentiriez pas plus vivement les torts de Danceny, quand il les aurait eus vis-à -vis de vous. C'est sans doute par vengeance, que vous accoutumez sa MaÃtresse à lui faire de petites infidélités; vous ÃÂȘtes un bien mauvais sujet! Oui, vous ÃÂȘtes charmante, et je ne m'étonne pas qu'on vous résiste moins qu'à Danceny. Enfin je le sais par cÅ“ur, ce beau héros de Roman! il n'a plus de secret pour moi. Je lui ai tant dit que l'Amour honnÃÂȘte était le bien suprÃÂȘme, qu'un sentiment valait mieux que dix intrigues, que j'étais moi-mÃÂȘme, dans ce moment, amoureux et timide; il m'a trouvé enfin une façon de penser si conforme à la sienne, que dans l'enchantement oÃÂč il était de ma candeur, il m'a tout dit, et m'a juré une amitié sans réserve. Nous n'en sommes guÚre plus avancés pour notre projet. D'abord, il m'a paru que son systÚme était qu'une demoiselle mérite beaucoup plus de ménagements qu'une femme, comme ayant plus à perdre. Il trouve, surtout, que rien ne peut justifier un homme de mettre une fille dans la nécessité de l'épouser ou de vivre déshonorée, quand la fille est infiniment plus riche que l'homme, comme dans le cas oÃÂč il se trouve. La sécurité de la mÚre, la candeur de la fille, tout l'intimide et l'arrÃÂȘte. L'embarras ne serait point de combattre ses raisonnements, quelque vrais qu'ils soient. Avec un peu d'adresse et aidé par la passion, on les aurait bientÎt détruits; d'autant qu'ils prÃÂȘtent au ridicule, et qu'on aurait pour soi l'autorité de l'usage. Mais ce qui empÃÂȘche qu'il n'y ait de prise sur lui, c'est qu'il se trouve heureux comme il est. En effet, si les premiers amours paraissent, en général, plus honnÃÂȘtes, et comme on dit plus purs; s'ils sont au moins plus lents dans leur marche, ce n'est pas, comme on le pense, délicatesse ou timidité, c'est que le cÅ“ur, étonné par un sentiment inconnu, s'arrÃÂȘte pour ainsi dire à chaque pas, pour jouir du charme qu'il éprouve, et que ce charme est si puissant sur un cÅ“ur neuf, qu'il l'occupe au point de lui faire oublier tout autre plaisir. Cela est si vrai, qu'un libertin amoureux, si un libertin peut l'ÃÂȘtre, devient de ce moment mÃÂȘme moins pressé de jouir; et qu'enfin, entre la conduite de Danceny avec la petite Volanges, et la mienne avec la prude Madame de Tourvel, il n'y a que la différence du plus au moins. Il aurait fallu, pour échauffer notre jeune homme, plus d'obstacles qu'il n'en a rencontrés; surtout qu'il eût eu besoin de plus de mystÚre, car le mystÚre mÚne à l'audace. Je ne suis pas éloigné de croire que vous nous avez nui en le servant si bien; votre conduite eût été excellente avec un homme usagé , qui n'eût eu que des désirs mais vous auriez pu prévoir que pour un homme jeune, honnÃÂȘte et amoureux, le plus grand prix des faveurs est d'ÃÂȘtre la preuve de l'Amour; et que par conséquent, plus il serait sûr d'ÃÂȘtre aimé, moins il serait entreprenant. Que faire à présent? Je n'en sais rien; mais je n'espÚre pas que la petite soit prise avant le mariage, et nous en serons pour nos frais; j'en suis fùché, mais je n'y vois pas de remÚde. Pendant que je disserte ici, vous faites mieux avec votre Chevalier. Cela me fait songer que vous m'avez promis une infidélité en ma faveur, j'en ai votre promesse par écrit et je ne veux pas en faire un billet de la Chùtre. Je conviens que l'échéance n'est pas encore arrivée mais il serait généreux à vous de ne pas l'attendre; et de mon cÎté, je vous tiendrais compte des intérÃÂȘts. Qu'en dites-vous, ma belle amie? est-ce que vous n'ÃÂȘtes pas fatiguée de votre constance? Ce Chevalier est donc bien merveilleux? Oh! laissez-moi faire; je veux vous forcer de convenir que si vous lui avez trouvé quelque mérite, c'est que vous m'aviez oublié. Adieu, ma belle amie; je vous embrasse comme je vous désire; je défie tous les baisers du Chevalier d'avoir autant d'ardeur. De ..., ce 5 septembre 17** LETTRE LVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Par oÃÂč ai-je donc mérité, Madame, et les reproches que vous me faites, et la colÚre que vous me témoignez? L'attachement le plus vif et pourtant le plus respectueux, la soumission la plus entiÚre à vos moindres volontés; voilà en deux mots l'histoire de mes sentiments et de ma conduite. Accablé par les peines d'un amour malheureux, je n'avais d'autre consolation que celle de vous voir vous m'avez ordonné de m'en priver; j'ai obéi sans me permettre un murmure. Pour prix de ce sacrifice, vous m'avez permis de vous écrire, et aujourd'hui vous voulez m'Îter cet unique plaisir. Me le laisserai-je ravir, sans essayer de le défendre? Non, sans doute eh! comment ne serait-il pas cher à mon cÅ“ur? c'est le seul qui me reste, et je le tiens de vous. Mes Lettres, dites-vous, sont trop fréquentes! Songez donc, je vous prie, que depuis dix jours que dure mon exil, je n'ai passé aucun moment sans m'occuper de vous, et que cependant vous n'avez reçu que deux Lettres de moi. Je ne vous y parle que de mon amour ! eh! que puis-je dire, que ce que je pense? tout ce que j'ai pu faire a été d'en affaiblir l'expression; et vous pouvez m'en croire, je ne vous en ai laissé voir que ce qu'il m'a été impossible d'en cacher. Vous me menacez enfin de ne plus me répondre. Ainsi l'homme qui vous préfÚre à tout et qui vous respecte encore plus qu'il ne vous aime, non contente de le traiter avec rigueur, vous voulez y joindre le mépris! Et pourquoi ces menaces et ce courroux? qu'en avez-vous besoin? n'ÃÂȘtes-vous pas sûre d'ÃÂȘtre obéie, mÃÂȘme dans vos ordres injustes? m'est-il donc possible de contrarier aucun de vos désirs, et ne l'ai-je pas déjà prouvé? Mais abuserez- vous de cet empire que vous avez sur moi? AprÚs m'avoir rendu malheureux, aprÚs ÃÂȘtre devenue injuste, vous sera-t-il donc bien facile de jouir de cette tranquillité que vous assurez vous ÃÂȘtre si nécessaire? ne vous direz-vous jamais Il m'a laissée maÃtresse de son sort, et j'ai fait son malheur? il implorait mes secours, et je l'ai regardé sans pitié? Savez-vous jusqu'oÃÂč peut aller mon désespoir? non. Pour calculer mes maux, il faudrait savoir à quel point je vous aime, et vous ne connaissez pas mon cÅ“ur. A quoi me sacrifiez-vous? à des craintes chimériques. Et qui vous les inspire? un homme qui vous adore; un homme sur qui vous ne cesserez jamais d'avoir un empire absolu. Que craignez-vous, que pouvez-vous craindre d'un sentiment que vous serez toujours maÃtresse de diriger à votre gré? Mais votre imagination se crée des monstres, et l'effroi qu'ils vous causent, vous l'attribuez à l'Amour. Un peu de confiance, et ces fantÎmes disparaÃtront. Un Sage a dit que pour dissiper ses craintes il suffisait presque toujours d'en approfondir la cause [On croit que c'est Rousseau dans Emile, mais la citation n'est pas exacte, et l'application qu'en fait Valmont est bien fausse; et puis, Madame de Tourvel avait-elle lu Emile?]. C'est surtout en amour que cette vérité trouve son application. Aimez, et vos craintes s'évanouiront. A la place des objets qui vous effrayent, vous trouverez un sentiment délicieux, un Amant tendre et soumis; et tous vos jours, marqués par le bonheur, ne vous laisseront d'autre regret que d'en avoir perdu quelques-uns dans l'indifférence. Moi-mÃÂȘme, depuis que, revenu de mes erreurs, je n'existe plus que pour l'Amour, je regrette un temps que je croyais avoir passé dans les plaisirs; et je sens que c'est à vous seule qu'il appartient de me rendre heureux. Mais, je vous en supplie, que le plaisir que je trouve à vous écrire ne soit plus troublé par la crainte de vous déplaire. Je ne veux pas vous désobéir; mais je suis à vos genoux, j'y réclame le bonheur que vous voulez me ravir, le seul que vous m'avez laissé; je vous crie écoutez mes priÚres, et voyez mes larmes; ah! Madame, me refuserez-vous? De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Apprenez-moi, si vous savez, ce que signifie ce radotage de Danceny. Qu'est- il donc arrivé, et qu'est-ce qu'il a perdu? Sa Belle s'est peut-ÃÂȘtre fùchée de son respect éternel? Il faut ÃÂȘtre juste, on se fùcherait à moins. Que lui dirai-je ce soir, au rendez-vous qu'il me demande, et que je lui ai donné à tout hasard? Assurément je ne perdrai pas mon temps à écouter ses doléances, si cela ne doit nous mener à rien. Les complaintes amoureuses ne sont bonnes à entendre qu'en récitatifs obligés, ou en grandes ariettes. Instruisez-moi donc de ce qui est et de ce que je dois faire; ou bien je déserte, pour éviter l'ennui que je prévois. Pourrai-je causer avec vous ce matin? Si vous ÃÂȘtes occupée , au moins écrivez-moi un mot, et donnez-moi les réclames de mon rÎle. OÃÂč étiez-vous donc hier? Je ne parviens plus à vous voir. En vérité, ce n'était pas la peine de me retenir à Paris au mois de Septembre. Décidez-vous pourtant, car je viens de recevoir une invitation fort pressante de la Comtesse de B**, pour aller la voir à la campagne; et, comme elle me le mande assez plaisamment, " son mari a le plus beau bois du monde, qu'il conserve soigneusement pour les plaisirs de ses amis " . Or, vous savez que j'ai bien quelques droits, sur ce bois-là ; et j'irai le revoir si je ne vous suis pas utile. Adieu, songez que Danceny sera chez moi sur les quatre heures. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LX LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT INCLUSE DANS LA PRECEDENTE. Ah! Monsieur, je suis désespéré, j'ai tout perdu. Je n'ose confier au papier le secret de mes peines mais j'ai besoin de les répandre dans le sein d'un ami fidÚle et sûr. A quelle heure pourrais-je vous voir, et aller chercher auprÚs de vous des consolations et des conseils? J'étais si heureux le jour oÃÂč je vous ouvris mon ùme! A présent, quelle différence! tout est changé pour moi. Ce que je souffre pour mon compte n'est encore que la moindre partie de mes tourments; mon inquiétude sur un objet bien plus cher, voilà ce que je ne puis supporter. Plus heureux que moi, vous pourrez la voir, et j'attends de votre amitié que vous ne me refuserez pas cette démarche mais il faut que je vous parle, que je vous instruise. Vous me plaindrez, vous me secourrez; je n'ai d'espoir qu'en vous. Vous ÃÂȘtes sensible, vous connaissez l'Amour, et vous ÃÂȘtes le seul à qui je puisse me confier; ne me refusez pas vos secours. Adieu, Monsieur; le seul soulagement que j'éprouve dans ma douleur est de songer qu'il me reste un ami tel que vous. Faites-moi savoir, je vous prie, à quelle heure je pourrai vous trouver. Si ce n'est pas ce matin, je désirerais que ce fût de bonne heure dans l'aprÚs-midi. De ..., ce 8 septembre 17** LETTRE LXI CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Ma chÚre Sophie, plains ta Cécile, ta pauvre Cécile; elle est bien malheureuse! Maman sait tout. Je ne conçois pas comment elle a pu se douter de quelque chose, et pourtant elle a tout découvert. Hier au soir, Maman me parut bien avoir un peu d'humeur; mais je n'y fis pas grande attention; et mÃÂȘme en attendant que sa partie fût finie, je causai trÚs gaiement avec Madame de Merteuil qui avait soupé ici, et nous parlùmes beaucoup de Danceny. Je ne crois pourtant pas qu'on ait pu nous entendre. Elle s'en alla, et je me retirai dans mon appartement. Je me déshabillais, quand Maman entra et fit sortir ma Femme de chambre; elle me demanda la clef de mon secrétaire. Le ton dont elle me fit cette demande me causa un tremblement si fort que je pouvais à peine me soutenir. Je faisais semblant de ne la pas trouver, mais enfin il fallut obéir. Le premier tiroir qu'elle ouvrit fut justement celui oÃÂč étaient les Lettres du Chevalier Danceny. J'étais si troublée, que quand elle me demanda ce que c'était, je ne sus lui répondre autre chose, sinon que ce n'était rien; mais quand je la vis commencer à lire celle qui se présentait la premiÚre, je n'eus que le temps de gagner un fauteuil, et je me trouvai mal au point que je perdis connaissance. AussitÎt que je revins à moi, ma mÚre, qui avait appelé ma Femme de chambre, se retira, en me disant de me coucher. Elle a emporté toutes les Lettres de Danceny. Je frémis toutes les fois que je songe qu'il me faudra reparaÃtre devant elle. Je n'ai fait que pleurer toute la nuit. Je t'écris au point du jour, dans l'espoir que Joséphine viendra. Si je peux lui parler seule, je la prierai de remettre chez Madame de Merteuil un petit billet que je vas lui écrire; sinon, je le mettrai dans ta Lettre, et tu voudras bien l'envoyer comme de toi. Ce n'est que d'elle que je puis recevoir quelque consolation. Au moins, nous parlerons de lui, car je n'espÚre plus le voir. Je suis bien malheureuse! Elle aura peut-ÃÂȘtre la bonté de se charger d'une Lettre pour Danceny. Je n'ose pas me confier à Joséphine pour cet objet, et encore moins à ma Femme de chambre; car c'est peut-ÃÂȘtre elle qui aura dit à ma mÚre que j'avais des Lettres dans mon secrétaire. Je ne t'écrirai pas plus longuement, parce que je veux avoir le temps d'écrire à Madame de Merteuil, et aussi à Danceny, pour avoir ma Lettre toute prÃÂȘte, si elle veut bien s'en charger. AprÚs cela, je me recoucherai, pour qu'on me trouve au lit quand on entrera dans ma chambre. Je dirai que je suis malade, pour me dispenser de passer chez Maman. Je ne mentirai pas beaucoup; sûrement je souffre plus que si j'avais la fiÚvre. Les yeux me brûlent à force d'avoir pleuré; et j'ai un poids sur l'estomac, qui m'empÃÂȘche de respirer. Quand je songe que je ne verrai plus Danceny, je voudrais ÃÂȘtre morte. Adieu, ma chÚre Sophie. Je ne peux t'en dire davantage; les larmes me suffoquent. De ..., ce 7 septembre 17** Nota. On a supprimé la Lettre de Cécile Volanges à la Marquise, parce qu'elle ne contenait que les mÃÂȘmes faits de la Lettre précédente, et avec moins de détails. Celle au Chevalier Danceny ne s'est point retrouvée on en verra la raison dans la Lettre LXIII, de Madame de Merteuil au Vicomte. LETTRE LXII MADAME DE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY AprÚs avoir abusé, Monsieur, de la confiance d'une mÚre et de l'innocence d'un enfant, vous ne serez pas surpris, sans doute, de ne plus ÃÂȘtre reçu dans une maison oÃÂč vous n'avez répondu aux preuves de l'amitié la plus sincÚre, que par l'oubli de tous les procédés. Je préfÚre de vous prier de ne plus venir chez moi, à donner des ordres à ma porte, qui nous compromettraient tous également, par les remarques que les Valets ne manqueraient pas de faire. J'ai droit d'espérer que vous ne me forcerez pas de recourir à ce moyen. Je vous préviens aussi que si vous faites à l'avenir la moindre tentative pour entretenir ma fille dans l'égarement oÃÂč vous l'avez plongée, une retraite austÚre et éternelle la soustraira à vos poursuites. C'est à vous de voir, Monsieur, si vous craindrez aussi peu de causer son infortune, que vous avez peu craint de tenter son déshonneur. Quant à moi, mon choix est fait, et je l'en ai instruite. Vous trouverez ci-joint le paquet de vos Lettres. Je compte que vous me renverrez en échange toutes celles de ma fille; et que vous vous prÃÂȘterez à ne laisser aucune trace d'un événement dont nous ne pourrions garder le souvenir, moi sans indignation, elle sans honte, et vous sans remords. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 7 septembre 17** LETTRE LXIII LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Vraiment, oui, je vous expliquerai le billet de Danceny. L'événement qui le lui a fait écrire est mon ouvrage, et c'est, je crois, mon chef-d'Å“uvre. Je n'ai pas perdu mon temps depuis votre derniÚre lettre, et j'ai dit comme l'Architecte Athénien " Ce qu'il a dit, je le ferai. " Il lui faut donc des obstacles à ce beau Héros de Roman, et il s'endort dans la félicité! oh! qu'il s'en rapporte à moi, je lui donnerai de la besogne; et je me trompe, ou son sommeil ne sera plus tranquille. Il fallait bien lui apprendre le prix du temps, et je me flatte qu'à présent il regrette celui qu'il a perdu. Il fallait, dites-vous aussi, qu'il eût besoin de plus de mystÚre; eh bien! ce besoin-là ne lui manquera plus. J'ai cela de bon, moi, c'est qu'il ne faut que me faire apercevoir de mes fautes; je ne prends point de repos que je n'aie tout réparé. Apprenez donc ce que j'ai fait. En rentrant chez moi avant-hier matin, je lus votre Lettre; je la trouvai lumineuse. Persuadée que vous aviez trÚs bien indiqué la cause du mal, je ne m'occupai plus qu'à trouver le moyen de le guérir. Je commençai pourtant par me coucher; car l'infatigable Chevalier ne m'avait pas laissée dormir un moment, et je croyais avoir sommeil mais point du tout; tout entiÚre à Danceny, le désir de le tirer de son indolence, ou de l'en punir, ne me permit pas de fermer l'oeil, et ce ne fut qu'aprÚs avoir bien concerté mon plan, que je pus trouver deux heures de repos. J'allai le soir mÃÂȘme chez Madame de Volanges, et, suivant mon projet, je lui fis confidence que je me croyais sûre qu'il existait entre sa fille et Danceny une liaison dangereuse. Cette femme, si clairvoyante contre vous, était aveuglée au point qu'elle me répondit d'abord qu'à coup sûr je me trompais; que sa fille était un enfant, etc. Je ne pouvais pas lui dire tout ce que j'en savais; mais je citai des regards, des propos, dont ma vertu et mon amitié s'alarmaient . Je parlai enfin presque aussi bien qu'aurait pu faire une Dévote, et, pour frapper le coup décisif, j'allai jusqu'à dire que je croyais avoir vu donner et recevoir une Lettre. Cela me rappelle, ajoutai-je, qu'un jour elle ouvrit devant moi un tiroir de son secrétaire, dans lequel je vis beaucoup de papiers, que sans doute elle conserve. Lui connaissez-vous quelque correspondance fréquente? Ici la figure de Madame de Volanges changea, et je vis quelques larmes rouler dans ses yeux. Je vous remercie, ma digne amie, me dit-elle, en me serrant la main, je m'en éclaircirai. AprÚs cette conversation, trop courte pour ÃÂȘtre suspecte, je me rapprochai de la jeune personne. Je la quittai bientÎt aprÚs, pour demander à la mÚre de ne pas me compromettre vis-à -vis de sa fille, ce qu'elle me promit d'autant plus volontiers, que je lui fis observer combien il serait heureux que cet enfant prÃt assez de confiance en moi pour m'ouvrir son cÅ“ur et me mettre à portée de lui donner mes sages conseils. Ce qui m'assure qu'elle tiendra sa promesse, c'est que je ne doute pas qu'elle ne veuille se faire honneur de sa pénétration auprÚs de sa fille. Je me trouvais, par là , autorisée à garder mon ton d'amitié avec la petite, sans paraÃtre fausse aux yeux de Madame de Volanges; ce que je voulais éviter. J'y gagnais encore d'ÃÂȘtre, par la suite, aussi longtemps et aussi secrÚtement que je voudrais, avec la jeune personne, sans que la mÚre en prÃt jamais d'ombrage. J'en profitai dÚs le soir mÃÂȘme; et aprÚs ma partie finie, je chambrai la petite dans un coin, et la mis sur le chapitre de Danceny, sur lequel elle ne tarit jamais. Je m'amusais à lui monter la tÃÂȘte sur le plaisir qu'elle aurait à le voir le lendemain; il n'est sorte de folies que je ne lui aie fait dire. Il fallait bien lui rendre en espérance ce que je lui Îtais en réalité; et puis, tout cela devait lui rendre le coup plus sensible, et je suis persuadée que plus elle aura souffert, plus elle sera pressée de s'en dédommager à la premiÚre occasion. Il est bon, d'ailleurs, d'accoutumer aux grands événements quelqu'un qu'on destine aux grandes aventures. AprÚs tout, ne peut-elle pas payer de quelques larmes le plaisir d'avoir son Danceny? elle en raffole! eh bien, je lui promets qu'elle l'aura, et plus tÎt mÃÂȘme qu'elle ne l'aurait eu sans cet orage. C'est un mauvais rÃÂȘve dont le réveil sera délicieux; et, à tout prendre, il me semble qu'elle me doit de la reconnaissance au fait, quand j'y aurais mis un peu de malice, il faut bien s'amuser Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs. [Gresset. Le Méchant, Comédie] Je me retirai enfin, fort contente de moi. Ou Danceny, me disais-je, animé par les obstacles, va redoubler d'amour, et alors je le servirai de tout mon pouvoir; ou si ce n'est qu'un sot comme je suis tentée quelquefois de le croire, il sera désespéré, et se tiendra pour battu or, dans ce cas, au moins me serai-je vengée de lui, autant qu'il était en moi; chemin faisant j'aurai augmenté pour moi l'estime de la mÚre, l'amitié de la fille, et la confiance de toutes deux. Quant à Gercourt, premier objet de mes soins, je serais bien malheureuse ou bien maladroite, si, maÃtresse de l'esprit de sa femme, comme je le suis et vas l'ÃÂȘtre plus encore, je ne trouvais pas mille moyens d'en faire ce que je veux qu'il soit. Je me couchai dans ces douces idées aussi je dormis, et me réveillai fort tard. A mon réveil, je trouvai deux billets, un de la mÚre, et un de la fille; et je ne pus m'empÃÂȘcher de rire, en trouvant dans tous deux littéralement cette mÃÂȘme phrase C'est de vous seule que j'attends quelque consolation . N'est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour et contre, et d'ÃÂȘtre le seul agent de deux intérÃÂȘts directement contraires? Me voilà comme la Divinité; recevant les vÅ“ux opposés des aveugles mortels, et ne changeant rien à mes décrets immuables. J'ai quitté pourtant ce rÎle auguste, pour prendre celui d'Ange consolateur; et j'ai été, suivant le précepte, visiter mes amis dans leur affliction. J'ai commencé par la mÚre; je l'ai trouvée d'une tristesse, qui déjà vous venge en partie des contrariétés qu'elle vous a fait éprouver de la part de votre belle Prude. Tout a réussi à merveille ma seule inquiétude était que Madame de Volanges ne profitùt de ce moment pour gagner la confiance de sa fille; ce qui eût été bien facile, en n'employant, avec elle, que le langage de la douceur et de l'amitié; et en donnant aux conseils de la raison, l'air et le ton de la tendresse indulgente. Par bonheur, elle s'est armée de sévérité; elle s'est enfin si mal conduite, que je n'ai eu qu'à applaudir. Il est vrai qu'elle a pensé rompre tous nos projets, par le parti qu'elle avait pris de faire rentrer sa fille au Couvent mais j'ai paré ce coup; et je l'ai engagée à en faire seulement la menace, dans le cas oÃÂč Danceny continuerait ses poursuites afin de les forcer tous deux à une circonspection que je crois nécessaire pour le succÚs. Ensuite j'ai été chez la fille. Vous ne sauriez croire combien la douleur l'embellit! Pour peu qu'elle prenne de coquetterie, je vous garantis qu'elle pleurera souvent pour cette fois, elle pleurait sans malice... Frappée de ce nouvel agrément que je ne lui connaissais pas, et que j'étais bien aise d'observer, je ne lui donnai d'abord que de ces consolations gauches, qui augmentent plus les peines qu'elles ne les soulagent; et, par ce moyen, je l'amenai au point d'ÃÂȘtre véritablement suffoquée. Elle ne pleurait plus, et je craignis un moment les convulsions. Je lui conseillai de se coucher, ce qu'elle accepta; je lui servis de Femme de chambre elle n'avait point fait de toilette, et bientÎt ses cheveux épars tombÚrent sur ses épaules et sur sa gorge entiÚrement découvertes; je l'embrassai; elle se laissa aller dans mes bras, et ses larmes recommencÚrent à couler sans effort. Dieu! qu'elle était belle! Ah! si Madeleine était ainsi, elle dut ÃÂȘtre bien plus dangereuse pénitente que pécheresse. Quand la belle désolée fut au lit, je me mis à la consoler de bonne foi. Je la rassurai d'abord sur la crainte du Couvent. Je fis naÃtre en elle l'espoir de voir Danceny en secret; et m'asseyant sur le lit " S'il était là " , lui dis-je; puis brodant sur ce thÚme, je la conduisis, de distraction en distraction, à ne plus se souvenir du tout qu'elle était affligée. Nous nous serions séparées parfaitement contentes l'une et l'autre, si elle n'avait voulu me charger d'une Lettre pour Danceny; ce que j'ai constamment refusé. En voici les raisons, que vous approuverez sans doute. D'abord, celle que c'était me compromettre vis-à -vis de Danceny; et si c'était la seule dont je pus me servir avec la petite, il y en avait beaucoup d'autres de vous à moi. Ne serait-ce pas risquer le fruit de mes travaux que de donner sitÎt à nos jeunes gens un moyen si facile d'adoucir leurs peines? Et puis, je ne serais pas fùchée de les obliger à mÃÂȘler quelques domestiques dans cette aventure; car enfin si elle se conduit à bien, comme je l'espÚre, il faudra qu'elle se sache immédiatement aprÚs le mariage; et il y a peu de moyens plus sûrs pour la répandre; ou, si par miracle ils ne parlaient pas, nous parlerions, nous, et il sera plus commode de mettre l'indiscrétion sur leur compte. Il faudra donc que vous donniez aujourd'hui cette idée à Danceny; et comme je ne suis pas sûre de la Femme de chambre de la petite Volanges, dont elle- mÃÂȘme paraÃt se défier, indiquez-lui la mienne, ma fidÚle Victoire. J'aurai soin que la démarche réussisse. Cette idée me plaÃt d'autant plus, que la confidence ne sera utile qu'à nous, et point à eux car je ne suis pas à la fin de mon récit. Pendant que je me défendais de me charger de la Lettre de la petite, je craignais à tout moment qu'elle ne me proposùt de la mettre à la Petite-Poste; ce que je n'aurais guÚre pu refuser. Heureusement, soit trouble, soit ignorance de sa part, ou encore qu'elle tÃnt moins à la Lettre qu'à la Réponse, qu'elle n'aurait pas pu avoir par ce moyen, elle ne m'en a point parlé mais pour éviter que cette idée ne lui vÃnt, ou au moins qu'elle ne pût s'en servir, j'ai pris mon parti sur-le-champ; et en rentrant chez la mÚre, je l'ai décidée à éloigner sa fille pour quelque temps, à la mener à la Campagne... Et oÃÂč? Le cÅ“ur ne vous bat pas de joie?... Chez votre tante, chez la vieille Rosemonde. Elle doit l'en prévenir aujourd'hui ainsi vous voilà autorisé à aller retrouver votre Dévote qui n'aura plus à vous objecter le scandale du tÃÂȘte-à -tÃÂȘte, et grùce à mes soins, Madame de Volanges réparera elle-mÃÂȘme le tort qu'elle vous a fait. Mais écoutez-moi, et ne vous occupez pas si vivement de vos affaires, que vous perdiez celle-ci de vue; songez qu'elle m'intéresse. Je veux que vous vous rendiez le correspondant et le conseil des deux jeunes gens. Apprenez donc ce voyage à Danceny, et offrez-lui vos services. Ne trouvez de difficulté qu'à faire parvenir entre les mains de la Belle votre Lettre de créance; et levez cet obstacle sur-le-champ, en lui indiquant la voie de ma Femme de chambre. Il n'y a point de doute qu'il n'accepte; et vous aurez pour prix de vos peines la confidence d'un cÅ“ur neuf, qui est toujours intéressante. La pauvre petite! comme elle rougira en vous remettant sa premiÚre Lettre! Au vrai, ce rÎle de confident, contre lequel il s'est établi des préjugés, me paraÃt un trÚs joli délassement, quand on est occupé d'ailleurs; et c'est le cas oÃÂč vous serez. C'est de vos soins que va dépendre le dénouement de cette intrigue. Jugez du moment oÃÂč il faudra réunir les Acteurs. La Campagne offre mille moyens; et Danceny à coup sûr, sera prÃÂȘt à s'y rendre à votre premier signal. Une nuit, un déguisement, une fenÃÂȘtre... que sais-je, moi? Mais enfin, si la petite fille en revient telle qu'elle y aura été, je m'en prendrai à vous. Si vous jugez qu'elle ait besoin de quelque encouragement de ma part, mandez-le-moi. Je crois lui avoir donné une assez bonne leçon sur le danger de garder des Lettres, pour oser lui écrire à présent; et je suis toujours dans le dessein d'en faire mon élÚve. Je crois avoir oublié de vous dire que ses soupçons au sujet de sa correspondance trahie s'étaient portés d'abord sur sa Femme de chambre, et que je les ai détournés sur le Confesseur. C'est faire d'une pierre deux coups. Adieu, Vicomte; voilà bien longtemps que je suis à vous écrire, et mon dÃner en a été retardé mais l'amour-propre et l'amitié dictaient ma Lettre, et tous deux sont bavards. Au reste, elle sera chez vous à trois heures, et c'est tout ce qu'il vous faut. Plaignez-vous de moi à présent, si vous l'osez; et allez revoir, si vous en ÃÂȘtes tenté, le bois du Comte de B***. Vous dites qu'il le garde pour le plaisir de ses amis! Cet homme est donc l'ami de tout le monde? Mais adieu, j'ai faim. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXIV LE CHEVALIER DANCENY A MADAME DE VOLANGES MINUTE JOINTE A LA LETTRE LXVI DU VICOMTE A LA MARQUISE. Sans chercher, Madame, à justifier ma conduite, et sans me plaindre de la vÎtre, je ne puis que m'affliger d'un événement qui fait le malheur de trois personnes, toutes trois dignes d'un sort plus heureux. Plus sensible encore au chagrin d'en ÃÂȘtre la cause qu'à celui d'en ÃÂȘtre victime, j'ai souvent essayé, depuis hier, d'avoir l'honneur de vous répondre sans pouvoir en trouver la force. J'ai cependant tant de choses à vous dire qu'il faut bien faire un effort sur soi-mÃÂȘme; et si cette Lettre a peu d'ordre et de suite, vous devez sentir assez combien ma situation est douloureuse, pour m'accorder quelque indulgence. Permettez-moi d'abord de réclamer contre la premiÚre phrase de votre Lettre. Je n'ai abusé, j'ose le dire, ni de votre confiance ni de l'innocence de Mademoiselle de Volanges; j'ai respecté l'une et l'autre dans mes actions. Elles seules dépendaient de moi; et quand vous me rendriez responsable d'un sentiment involontaire, je ne crains pas d'ajouter que celui que m'a inspiré Mademoiselle votre fille est tel qu'il peut vous déplaire, mais non vous offenser. Sur cet objet qui me touche plus que je ne puis vous dire, je ne veux que vous pour juge, et mes Lettres pour témoins. Vous me défendez de me présenter chez vous à l'avenir, et sans doute je me soumettrai à tout ce qu'il vous plaira d'ordonner à ce sujet mais cette absence subite et totale ne donnera-t-elle donc pas autant de prise aux remarques que vous voulez éviter, que l'ordre que, par cette raison mÃÂȘme, vous n'avez point voulu donner à votre porte? J'insisterai d'autant plus sur ce point, qu'il est bien plus important pour Mademoiselle de Volanges que pour moi. Je vous supplie donc de peser attentivement toutes choses, et de ne pas permettre que votre sévérité altÚre votre prudence. Persuadé que l'intérÃÂȘt seul de Mademoiselle votre fille dictera vos résolutions, j'attendrai de nouveaux ordres de votre part. Cependant, dans le cas oÃÂč vous me permettriez de vous faire ma cour quelquefois, je m'engage, Madame et vous pouvez compter sur ma promesse, à ne point abuser de ces occasions pour tenter de parler en particulier à Mademoiselle de Volanges, ou de lui faire tenir aucune Lettre. La crainte de ce qui pourrait compromettre sa réputation m'engage à ce sacrifice; et le bonheur de la voir quelquefois m'en dédommagera. Cet article de ma Lettre est aussi la seule réponse que je puisse faire à ce que vous me dites sur le sort que vous destinez à Mademoiselle de Volanges, et que vous voulez rendre dépendant de ma conduite. Ce serait vous tromper que de vous promettre davantage. Un vil séducteur peut plier ses projets aux circonstances, et calculer avec les événements mais l'Amour qui m'anime ne me permet que deux sentiments le courage et la constance. Qui, moi! consentir à ÃÂȘtre oublié de Mademoiselle de Volanges, à l'oublier moi-mÃÂȘme? non, non jamais! Je lui serai fidÚle; elle en a reçu le serment, et je le renouvelle en ce jour. Pardon, Madame, je m'égare, il faut revenir. Il me reste un autre objet à traiter avec vous, celui des Lettres que vous me demandez. Je suis vraiment peiné d'ajouter un refus aux torts que vous me trouvez déjà mais, je vous en supplie, écoutez mes raisons, et daignez vous souvenir, pour les apprécier, que la seule consolation au malheur d'avoir perdu votre amitié est l'espoir de conserver votre estime. Les Lettres de Mademoiselle de Volanges, toujours si précieuses pour moi, me le deviennent bien plus dans ce moment. Elles sont l'unique bien qui me reste; elles seules me retracent encore un sentiment qui fait tout le charme de ma vie. Cependant, vous pouvez m'en croire, je ne balancerais pas un instant à vous en faire le sacrifice, et le regret d'en ÃÂȘtre privé céderait au désir de vous prouver ma déférence respectueuse; mais des considérations puissantes me retiennent, et je m'assure que vous-mÃÂȘme ne pourrez les blùmer. Vous avez, il est vrai, le secret de Mademoiselle de Volanges; mais permettez- moi de le dire, je suis autorisé à croire que c'est l'effet de la surprise, et non de la confiance. Je ne prétends pas blùmer une démarche qu'autorise, peut-ÃÂȘtre, la sollicitude maternelle. Je respecte vos droits, mais ils ne vont pas jusqu'à me dispenser de mes devoirs. Le plus sacré de tous est de ne jamais trahir la confiance qu'on nous accorde. Ce serait y manquer, que d'exposer aux yeux d'un autre les secrets d'un cÅ“ur qui n'a voulu les dévoiler qu'aux miens. Si Mademoiselle votre fille consent à vous les confier, qu'elle parle; ses Lettres vous sont inutiles. Si elle veut, au contraire, renfermer son secret en elle- mÃÂȘme, vous n'attendez pas, sans doute, que ce soit moi qui vous en instruise. Quant au mystÚre dans lequel vous désirez que cet événement reste enseveli, soyez tranquille, Madame; sur tout ce qui intéresse Mademoiselle de Volanges, je peux défier le cÅ“ur mÃÂȘme d'une mÚre. Pour achever de vous Îter toute inquiétude, j'ai tout prévu. Ce dépÎt précieux, qui portait jusqu'ici pour suscription papiers à brûler porte à présent papiers appartenant à Madame de Volanges . Ce parti que je prends doit vous prouver ainsi que mes refus ne portent pas sur la crainte que vous trouviez dans ces lettres un seul sentiment dont vous ayez personnellement à vous plaindre. Voilà , Madame, une bien longue Lettre. Elle ne le serait pas encore assez, si elle vous laissait le moindre doute de l'honnÃÂȘteté de mes sentiments, du regret bien sincÚre de vous avoir déplu, et du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, etc. De ..., ce 9 septembre17** LETTRE LXV LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES ENVOYEE OUVERTE A LA MARQUISE DE MERTEUIL DANS LA LETTRE LXVI DU VICOMTE. Ô ma Cécile, qu'allons-nous devenir? quel Dieu nous sauvera des malheurs qui nous menacent? Que l'Amour nous donne au moins le courage de les supporter! Comment vous peindre mon étonnement, mon désespoir à la vue de mes Lettres, à la lecture du billet de Madame de Volanges? qui a pu nous trahir? sur qui tombent vos soupçons? auriez-vous commis quelque imprudence? que faites-vous à présent? que vous a-t-on dit? Je voudrais tout savoir, et j'ignore tout. Peut-ÃÂȘtre vous-mÃÂȘme n'ÃÂȘtes-vous pas plus instruite que moi. Je vous envoie le billet de votre maman, et la copie de ma Réponse. J'espÚre que vous approuverez ce que je lui dis. J'ai bien besoin que vous approuviez aussi les démarches que j'ai faites depuis ce fatal événement, elles ont toutes pour but d'avoir de vos nouvelles, de vous donner des miennes; et, que sait- on? peut-ÃÂȘtre de vous revoir encore, et plus librement que jamais. Concevez-vous, ma Cécile, quel plaisir de nous retrouver ensemble, de pouvoir nous jurer de nouveau un amour éternel, et de voir dans nos yeux, de sentir dans nos ùmes que ce serment ne sera pas trompeur? Quelles peines un moment si doux ne ferait-il pas oublier? Hé bien! j'ai l'espoir de le voir naÃtre, et je le dois à ces mÃÂȘmes démarches que je vous supplie d'approuver. Que dis-je? je le dois aux soins consolateurs de l'ami le plus tendre; et mon unique demande est que vous permettiez que cet ami soit aussi le vÎtre. Peut-ÃÂȘtre ne devais-je pas donner votre confiance sans votre aveu? mais j'ai pour excuse le malheur et la nécessité. C'est l'amour qui m'a conduit; c'est lui qui réclame votre indulgence, qui vous demande de pardonner une confidence nécessaire, et sans laquelle nous restions peut-ÃÂȘtre à jamais séparés [M. Danceny n'accuse pas vrai. Il avait déjà fait sa confidence à M. de Valmont avant cet événement. Voyez la Lettre LVII]. Vous connaissez l'ami dont je vous parle; il est celui de la femme que vous aimez le mieux. C'est le Vicomte de Valmont. Mon projet, en m'adressant à lui, était d'abord de le prier d'engager Madame de Merteuil à se charger d'une Lettre pour vous. Il n'a pas cru que ce moyen pût réussir; mais au défaut de la MaÃtresse, il répond de la Femme de chambre, qui lui a des obligations. Ce sera elle qui vous remettra cette Lettre, et vous pourrez lui donner votre Réponse. Ce secours ne nous sera guÚre utile, si, comme le croit M. de Valmont, vous partez incessamment pour la campagne. Mais alors c'est lui-mÃÂȘme qui veut nous servir. La femme chez qui vous allez est sa parente. Il profitera de ce prétexte pour s'y rendre dans le mÃÂȘme temps que vous; et ce sera par lui que passera notre correspondance mutuelle. Il assure mÃÂȘme que, si vous voulez vous laisser conduire, il nous procurera les moyens de nous y voir sans risquer de vous compromettre en rien. A présent, ma Cécile, si vous m'aimez, si vous plaignez mon malheur, si, comme je l'espÚre, vous partagez mes regrets, refuserez-vous votre confiance à un homme qui sera notre ange tutélaire? Sans lui, je serais réduit au désespoir de ne pouvoir mÃÂȘme adoucir les chagrins que je vous cause. Ils finiront, je l'espÚre mais, ma tendre amie, promettez-moi de ne pas trop vous y livrer, de ne point vous en laisser abattre. L'idée de votre douleur m'est un tourment insupportable. Je donnerais ma vie pour vous rendre heureuse! Vous le savez bien. Puisse la certitude d'ÃÂȘtre adorée porter quelque consolation dans votre ùme! La mienne a besoin que vous m'assuriez que vous pardonnez à l'amour les maux qu'il vous fait souffrir. Adieu, ma Cécile, adieu, ma tendre amie. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Vous verrez, ma belle amie, en lisant les deux Lettres ci-jointes, si j'ai bien rempli votre projet. Quoique toutes deux soient datées d'aujourd'hui, elles ont été écrites hier, chez moi, et sous mes yeux celle à la petite fille dit tout ce que nous voulions. On ne peut que s'humilier devant la profondeur de vos vues, si on en juge par le succÚs de vos démarches. Danceny est tout de feu; et sûrement à la premiÚre occasion, vous n'aurez plus de reproches à lui faire. Si sa belle ingénue veut ÃÂȘtre docile, tout sera terminé peu de temps aprÚs son arrivée à la campagne; j'ai cent moyens tout prÃÂȘts. Grùce à vos soins me voilà bien décidément l'ami de Danceny ; il ne lui manque plus que d'ÃÂȘtre Prince [Expression relative à un passage d'un PoÚme de M. de Voltaire]. Il est encore bien jeune, ce Danceny! croiriez-vous que je n'ai jamais pu obtenir de lui qu'il promÃt à la mÚre de renoncer à son amour; comme s'il était bien gÃÂȘnant de promettre, quand on est décidé à ne pas tenir! Ce serait tromper, me répétait-il sans cesse ce scrupule n'est-il pas édifiant, surtout en voulant séduire la fille? Voilà bien les hommes! tous également scélérats dans leurs projets, ce qu'ils mettent de faiblesse dans l'exécution, ils l'appellent probité. C'est votre affaire d'empÃÂȘcher que Madame de Volanges ne s'effarouche des petites échappées que notre jeune homme s'est permises dans sa Lettre; préservez-nous du Couvent; tùchez aussi de faire abandonner la demande des Lettres de la petite. D'abord il ne les rendra point, il ne le veut pas, et je suis de son avis; ici l'amour et la raison sont d'accord. Je les ai lues ces Lettres, j'en ai dévoré l'ennui. Elles peuvent devenir utiles. Je m'explique. Malgré la prudence que nous y mettrons, il peut arriver un éclat; il ferait manquer le mariage, n'est-il pas vrai, et échouer tous nos projets Gercourt? Mais comme, pour mon compte, j'ai aussi à me venger de la mÚre, je me réserve en ce cas de déshonorer la fille. En choisissant bien dans cette correspondance, et n'en produisant qu'une partie, la petite Volanges paraÃtrait avoir fait toutes les premiÚres démarches, et s'ÃÂȘtre absolument jetée à la tÃÂȘte. Quelques-unes des Lettres pourraient mÃÂȘme compromettre la mÚre, et l'entacheraient au moins d'une négligence impardonnable. Je sens bien que le scrupuleux Danceny se révolterait d'abord; mais comme il serait personnellement attaqué, je crois qu'on en viendrait à bout. Il y a mille à parier contre un que la chance ne tournera pas ainsi; mais il faut tout prévoir. Adieu, ma belle amie; vous seriez bien aimable de venir souper demain chez la Maréchale de ***; je n'ai pas pu refuser. J'imagine que je n'ai pas besoin de vous recommander le secret, vis-à -vis de Madame de Volanges, sur mon projet de Campagne; elle aurait bientÎt celui de rester à la Ville au lieu qu'une fois arrivée, elle ne repartira pas le lendemain; et si elle nous donne seulement huit jours, je réponds de tout. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je ne voulais plus vous répondre, Monsieur, et peut-ÃÂȘtre l'embarras que j'éprouve en ce moment est-il lui-mÃÂȘme une preuve qu'en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi; je veux vous convaincre que j'ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire. Je vous ai permis de m'écrire, dites-vous? j'en conviens; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j'oublie à quelles conditions elle vous fut donnée? Si j'y eusse été aussi fidÚle que vous l'avez été peu, auriez- vous reçu une seule réponse de moi? Voilà pourtant la troisiÚme; et quand vous faites tout ce qu'il faut pour m'obliger à rompre cette correspondance, c'est moi qui m'occupe des moyens de l'entretenir. Il en est un, mais c'est le seul; et si vous refusez de le prendre, ce sera, quoi que vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix. Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre; renoncez à un sentiment qui m'offense et m'effraie, et auquel, peut-ÃÂȘtre, vous devriez ÃÂȘtre moins attaché en songeant qu'il est l'obstacle qui nous sépare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaÃtre, et l'amour aura-t-il ce tort de plus à mes yeux, d'exclure l'amitié? vous-mÃÂȘme, auriez-vous celui de ne pas vouloir pour votre amie celle en qui vous avez désiré des sentiments plus tendres? Je ne veux pas le croire cette idée humiliante me révolterait, m'éloignerait de vous sans retour. En vous offrant mon amitié, Monsieur, je vous donne tout ce qui est à moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous désirer davantage? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cÅ“ur, je n'attends que votre aveu; et la parole que j'exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur. J'oublierai tout ce qu'on a pu me dire; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix. Vous voyez ma franchise, elle doit vous prouver ma confiance; il ne tiendra qu'à vous de l'augmenter encore mais je vous préviens que le premier mot d'amour la détruit à jamais, et me rend toutes mes craintes; que surtout il deviendra pour moi le signal d'un silence éternel vis-à -vis de vous. Si, comme vous le dites, vous ÃÂȘtes revenu de vos erreurs , n'aimerez-vous pas mieux ÃÂȘtre l'objet de l'amitié d'une femme honnÃÂȘte, que celui des remords d'une femme coupable? Adieu, Monsieur; vous sentez qu'aprÚs avoir parlé ainsi je ne puis plus rien dire que vous ne m'ayez répondu. De ..., ce 9 septembre 17** LETTRE LXVIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Comment répondre, Madame, à votre derniÚre Lettre? Comment oser ÃÂȘtre vrai, quand ma sincérité peut me perdre auprÚs de vous? N'importe, il le faut; j'en aurai le courage. Je me dis, je me répÚte, qu'il vaut mieux vous mériter que vous obtenir; et dussiez-vous me refuser toujours un bonheur que je désirerai sans cesse, il faut vous prouver au moins que mon cÅ“ur en est digne. Quel dommage que, comme vous le dites, je sois revenu de mes erreurs ! avec quels transports de joie j'aurais lu cette mÃÂȘme Lettre à laquelle je tremble de répondre aujourd'hui! Vous m'y parlez avec franchise , vous me témoignez de la confiance , vous m'offrez enfin votre amitié que de biens, Madame, et quels regrets de ne pouvoir en profiter! Pourquoi ne suis-je plus le mÃÂȘme? Si je l'étais en effet; si je n'avais pour vous qu'un goût ordinaire, que ce goût léger, enfant de la séduction et du plaisir, qu'aujourd'hui pourtant on nomme amour, je me hùterais de tirer avantage de tout ce que je pourrais obtenir. Peu délicat sur les moyens, pourvu qu'ils me procurassent le succÚs, j'encouragerais votre franchise par le besoin de vous deviner; je désirerais votre confiance, dans le dessein de la trahir; j'accepterais votre amitié dans l'espoir de l'égarer. Quoi! Madame, ce tableau vous effraie? hé bien! il serait pourtant tracé d'aprÚs moi, si je vous disais que je consens à n'ÃÂȘtre que votre ami. Qui, moi! je consentirais à partager avec quelqu'un un sentiment émané de votre ùme? Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai à vous tromper; je pourrai vous désirer encore, mais à coup sûr je ne vous aimerai plus. Ce n'est pas que l'aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitié, soient sans prix à mes yeux... Mais l'amour! l'amour véritable, et tel que vous l'inspirez, en réunissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d'énergie, ne saurait se prÃÂȘter, comme eux, à cette tranquillité, à cette froideur de l'ùme, qui permet des comparaisons, qui souffre mÃÂȘme des préférences. Non, Madame, je ne serai point votre ami; je vous aimerai de l'amour le plus tendre, et mÃÂȘme le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l'anéantir. De quel droit prétendez-vous disposer d'un cÅ“ur dont vous refusez l'hommage? Par quel raffinement de cruauté, m'enviez-vous jusqu'au bonheur de vous aimer? Celui-là est à moi, il est indépendant de vous; je saurai le défendre. S'il est la source de mes maux, il en est aussi le remÚde. Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels; mais laissez-moi mon amour. Vous vous plaisez à me rendre malheureux! eh bien! soit; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins à décider de mon sort; et peut-ÃÂȘtre, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Ce n'est pas que j'espÚre vous rendre jamais sensible mais sans ÃÂȘtre persuadée, vous serez convaincue, vous vous direz Je l'avais mal jugé. Disons mieux, c'est à vous que vous faites injustice. Vous connaÃtre sans vous aimer, vous aimer sans ÃÂȘtre constant, sont tous deux également impossibles; et malgré la modestie qui vous pare, il doit vous ÃÂȘtre plus facile de vous plaindre, que de vous étonner de sentiments que vous faites naÃtre. Pour moi, dont le seul mérite est d'avoir su vous apprécier, je ne veux pas le perdre; et loin de consentir à vos offres insidieuses, je renouvelle à vos pieds le serment de vous aimer toujours. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXIX CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY BILLET ECRIT AU CRAYON, ET RECOPIE PAR DANCENY. Vous me demandez ce que je fais; je vous aime, et je pleure. Ma mÚre ne me parle plus; elle m'a Îté papier, plumes et encre; je me sers d'un crayon, qui par bonheur m'est resté, et je vous écris sur un morceau de votre Lettre. Il faut bien que j'approuve tout ce que vous avez fait; je vous aime trop pour ne pas prendre tous les moyens d'avoir de vos nouvelles et de vous donner des miennes. Je n'aimais pas M. de Valmont, et je ne le croyais pas tant votre ami; je tùcherai de m'accoutumer à lui, et je l'aimerai à cause de vous. Je ne sais pas qui est-ce qui nous a trahis; ce ne peut ÃÂȘtre que ma Femme de chambre ou mon Confesseur. Je suis bien malheureuse nous partons demain pour la campagne; j'ignore pour combien de temps. Mon Dieu! ne plus vous voir! Je n'ai plus de place. Adieu; tùchez de me lire. Ces mots tracés au crayons effaceront peut-ÃÂȘtre, mais jamais les sentiments gravés dans mon cÅ“ur. De ..., ce 10 septembre 17** LETTRE LXX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL J'ai un avis important à vous donner, ma chÚre amie. Je soupai hier, comme vous savez, chez la Maréchale de ***, on y parla de vous, et j'en dis, non pas tout le bien que j'en pense, mais tout celui que je n'en pense pas. Tout le monde paraissait ÃÂȘtre de mon avis, et la conversation languissait, comme il arrive toujours, quand on ne dit que du bien de son prochain, lorsqu'il s'éleva un contradicteur c'était Prévan. " A Dieu ne plaise, dit-il en se levant, que je doute de la sagesse de Madame de Merteuil! mais j'oserais croire qu'elle la doit plus à sa légÚreté qu'à ses principes. Il est peut-ÃÂȘtre plus difficile de la suivre que de lui plaire; et comme on ne manque guÚre, en courant aprÚs une femme, d'en rencontrer d'autres sur son chemin, comme, à tout prendre, ces autres-là peuvent valoir autant et plus qu'elle; les uns sont distraits par un goût nouveau, les autres s'arrÃÂȘtent de lassitude; et c'est peut-ÃÂȘtre la femme de Paris qui a eu le moins à se défendre. Pour moi, ajouta-t-il encouragé par le sourire de quelques femmes, je ne croirai à la vertu de Madame de Merteuil, qu'aprÚs avoir crevé six chevaux à lui faire ma cour. " Cette mauvaise plaisanterie réussit, comme toutes celles qui tiennent à la médisance; et pendant le rire qu'elle excitait, Prévan reprit sa place, et la conversation générale changea. Mais les deux Comtesses de P. , auprÚs de qui était notre incrédule, en firent avec lui leur conversation particuliÚre, qu'heureusement je me trouvais à portée d'entendre. Le défi de vous rendre sensible a été accepté; la parole de tout dire a été donnée; et de toutes celles qui se donneraient dans cette aventure, ce serait sûrement la plus religieusement gardée. Mais vous voilà bien avertie, et vous savez le proverbe. Il me reste à vous dire que ce Prévan, que vous ne connaissez pas, est infiniment aimable, et encore plus adroit. Que si quelquefois vous m'avez entendu dire le contraire, c'est seulement que je ne l'aime pas, que je me plais à contrarier ses succÚs et que je n'ignore pas de quel poids est mon suffrage auprÚs d'une trentaine de nos femmes les plus à la mode. En effet, je l'ai empÃÂȘché longtemps, par ce moyen, de paraÃtre sur ce que nous appelons le grand théùtre; et il faisait des prodiges, sans en avoir plus de réputation. Mais l'éclat de sa triple aventure, en fixant les yeux sur lui, lui a donné cette confiance qui lui manquait jusque-là , et l'a rendu vraiment redoutable. C'est enfin aujourd'hui le seul homme, peut-ÃÂȘtre, que je craindrais de rencontrer sur mon chemin; et votre intérÃÂȘt à part, vous me rendrez un vrai service de lui donner quelque ridicule chemin faisant. Je le laisse en bonnes mains; et j'ai l'espoir qu'à mon retour, ce sera un homme noyé. Je vous promets, en revanche, de mener à bien l'aventure de votre pupille, et de m'occuper d'elle autant que de ma belle Prude. Celle-ci vient de m'envoyer un projet de capitulation. Toute sa Lettre annonce le désir d'ÃÂȘtre trompée. Il est impossible d'en offrir un moyen plus commode et aussi plus usé. Elle veut que je sois son ami . Mais moi, qui aime les méthodes nouvelles et difficiles, je ne prétends pas l'en tenir quitte à si bon marché; et assurément je n'aurai pas pris tant de peine auprÚs d'elle, pour terminer par une séduction ordinaire. Mon projet, au contraire, est qu'elle sente, qu'elle sente bien la valeur et l'étendue de chacun des sacrifices qu'elle me fera; de ne pas la conduire si vite que le remords ne puisse la suivre; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie; de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle; et de ne lui accorder le bonheur de m'avoir dans ses bras, qu'aprÚs l'avoir forcée à n'en plus dissimuler le désir. Au fait, je vaux bien peu, si je ne vaux pas la peine d'ÃÂȘtre demandé. Et puis-je me venger moins d'une femme hautaine, qui semble rougir d'avouer qu'elle adore? J'ai donc refusé la précieuse amitié, et m'en suis tenu à mon titre d'Amant. Comme je ne me dissimule point que ce titre, qui ne paraÃt d'abord qu'une dispute de mots, est pourtant d'une importance réelle à obtenir, j'ai mis beaucoup de soin à ma Lettre, et j'ai tùché d'y répandre ce désordre, qui peut seul peindre le sentiment. J'ai enfin déraisonné le plus qu'il m'a été possible car sans déraisonnement, point de tendresse; et c'est, je crois, par cette raison que les femmes nous sont si supérieures dans les Lettres d'Amour. J'ai fini la mienne par une cajolerie, et c'est encore une suite de mes profondes observations. AprÚs que le cÅ“ur d'une femme a été exercé quelque temps, il a besoin de repos; et j'ai remarqué qu'une cajolerie était, pour toutes, l'oreiller le plus doux à leur offrir. Adieu, ma belle amie. Je pars demain. Si vous avez des ordres à me donner pour la Comtesse de ***, je m'arrÃÂȘterai chez elle, au moins pour dÃner. Je suis fùché de partir sans vous voir. Faites-moi passer vos sublimes instructions, et aidez-moi de vos sages conseils, dans ce moment décisif. Surtout, défendez-vous de Prévan; et puissé-je un jour vous dédommager de ce sacrifice! Adieu. De ..., ce 11 septembre 17** LETTRE LXXI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Mon étourdi de Chasseur n'a-t-il pas laissé mon portefeuille à Paris! Les lettres de ma Belle, celles de Danceny pour la petite Volanges, tout est resté, et j'ai besoin de tout. Il va partir pour réparer sa sottise; et tandis qu'il selle son cheval, je vous raconterai mon histoire de cette nuit car je vous prie de croire que je ne perds pas mon temps. L'aventure, par elle-mÃÂȘme, est bien peu de chose; ce n'est qu'un réchauffé avec la Vicomtesse de M... Mais elle m'a intéressé par les détails. Je suis bien aise d'ailleurs de vous faire voir que si j'ai le talent de perdre les femmes, je n'ai pas moins, quand je veux, celui de les sauver. Le parti le plus difficile, ou le plus gai, est toujours celui que je prends; et je ne me reproche pas une bonne action, pourvu qu'elle m'exerce ou m'amuse. J'ai donc trouvé la Vicomtesse ici, et comme elle joignait ses instances aux persécutions qu'on me faisait pour passer la nuit au chùteau " Eh bien! j'y consens, lui dis-je, à condition que je la passerai avec vous. " - " Cela m'est impossible, me répondit-elle, Vressac est ici. " Jusque-là je n'avais cru que lui dire une honnÃÂȘteté mais ce mot d'impossible, me révolta comme de coutume. Je me sentis humilié d'ÃÂȘtre sacrifié à Vressac, et je résolus de ne le pas souffrir j'insistai donc. Les circonstances ne m'étaient pas favorables. Ce Vressac a eu la gaucherie de donner de l'ombrage au Vicomte; en sorte que la Vicomtesse ne peut plus le recevoir chez elle et ce voyage chez la bonne Comtesse avait été concerté entre eux, pour tùcher d'y dérober quelques nuits. Le Vicomte avait mÃÂȘme d'abord montré de l'humeur d'y rencontrer Vressac; mais comme il est encore plus Chasseur que jaloux, il n'en est pas moins resté et la Comtesse, toujours telle que vous la connaissez, aprÚs avoir logé la femme dans le grand corridor, a mis le mari d'un cÎté et l'Amant de l'autre, et les a laissés s'arranger entre eux. Le mauvais destin de tous deux a voulu que je fusse logé vis-à -vis. Ce jour-là mÃÂȘme, c'est-à -dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le Vicomte, chassait avec lui, malgré son peu de goût pour la chasse, et comptait bien se consoler la nuit, entre les bras de la femme, de l'ennui que le mari lui causait tout le jour mais moi, je jugeai qu'il aurait besoin de repos, et je m'occupai des moyens de décider sa MaÃtresse à lui laisser le temps d'en prendre. Je réussis, et j'obtins qu'elle lui ferait une querelle de cette mÃÂȘme partie de chasse, à laquelle, bien évidemment, il n'avait consenti que pour elle. On ne pouvait prendre un plus mauvais prétexte mais nulle femme n'a mieux que la Vicomtesse ce talent, commun à toutes, de mettre l'humeur à la place de la raison, et de n'ÃÂȘtre jamais si difficile à apaiser que quand elle a tort. Le moment d'ailleurs n'était pas commode pour les explications; et ne voulant qu'une nuit, je consentais qu'ils se raccommodassent le lendemain. Vressac fut donc boudé à son retour. Il voulut en demander la cause, on le querella. Il essaya de se justifier; le mari qui était présent, servit de prétexte pour rompre la conversation; il tenta enfin de profiter d'un moment oÃÂč le mari était absent, pour demander qu'on voulût bien l'entendre le soir ce fut alors que la Vicomtesse devint sublime. Elle s'indigna contre l'audace des hommes qui, parce qu'ils ont éprouvé les bontés d'une femme, croient avoir le droit d'en abuser encore, mÃÂȘme alors qu'elle a à se plaindre d'eux; et ayant changé de thÚse par cette adresse, elle parla si bien délicatesse et sentiment, que Vressac resta muet et confus; et que moi-mÃÂȘme je fus tenté de croire qu'elle avait raison car vous saurez que comme ami de tous deux, j'étais en tiers dans cette conversation. Enfin, elle déclara positivement qu'elle n'ajouterait pas les fatigues de l'amour à celles de la chasse, et qu'elle se reprocherait de troubler d'aussi doux plaisirs. Le mari rentra. Le désolé Vressac, qui n'avait plus la liberté de répondre, s'adressa à moi; et aprÚs m'avoir fort longuement conté ses raisons, que je savais aussi bien que lui, il me pria de parler à la Vicomtesse, et je le lui promis. Je lui parlai en effet; mais ce fut pour la remercier, et convenir avec elle de l'heure et des moyens de notre rendez-vous. Elle me dit que logée entre son mari et son Amant elle avait trouvé plus prudent d'aller chez Vressac, que de le recevoir dans son appartement; et que, puisque je logeais vis-à -vis d'elle, elle croyait plus sûr aussi de venir chez moi; qu'elle s'y rendrait aussitÎt que sa Femme de chambre l'aurait laissée seule; que je n'avais qu'à tenir ma porte entrouverte, et l'attendre. Tout s'exécuta comme nous en étions convenus; et elle arriva chez moi vers une heure du matin ... dans le simple appareil D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil [Racine. Tragédie de Britannicus]. Comme je n'ai point de vanité, je ne m'arrÃÂȘte pas aux détails de la nuit mais vous me connaissez, et j'ai été content de moi. Au point du jour, il a fallu se séparer. C'est ici que l'intérÃÂȘt commence. L'étourdie avait cru laisser sa porte entrouverte, nous la trouvùmes fermée, et la clef était restée en dedans vous n'avez pas d'idée de l'expression de désespoir avec laquelle la Vicomtesse me dit aussitÎt " Ah! je suis perdue. " Il faut convenir qu'il eût été plaisant de la laisser dans cette situation mais pouvais-je souffrir qu'une femme fût perdue pour moi, sans l'ÃÂȘtre par moi? Et devais-je, comme le commun des hommes, me laisser maÃtriser par les circonstances? Il fallait donc trouver un moyen. Qu'eussiez-vous fait, ma belle amie? Voici ma conduite, et elle a réussi. J'eus bientÎt reconnu que la porte en question pouvait s'enfoncer, en se permettant de faire beaucoup de bruit. J'obtins donc de la Vicomtesse, non sans peine, qu'elle jetterait des cris perçants et d'effroi, comme au voleur, à l'assassin, etc. Et nous convÃnmes qu'au premier cri, j'enfoncerais la porte, et qu'elle courrait à son lit. Vous ne sauriez croire combien il fallut de temps pour la décider, mÃÂȘme aprÚs qu'elle eut consenti. Il fallut pourtant finir par là , et au premier coup de pied la porte céda. La Vicomtesse fit bien de ne pas perdre de temps; car au mÃÂȘme instant, le Vicomte et Vressac furent dans le corridor; et la Femme de chambre accourut aussi à la chambre de sa MaÃtresse. J'étais seul de sang-froid, et j'en profitai pour aller éteindre une veilleuse qui brûlait encore et la renverser par terre; car jugez combien il eût été ridicule de feindre cette terreur panique, en ayant de la lumiÚre dans sa chambre. Je querellai ensuite le mari et l'Amant sur leur sommeil léthargique, en les assurant que les cris auxquels j'étais accouru, et mes efforts pour enfoncer la porte, avaient duré au moins cinq minutes. La Vicomtesse qui avait retrouvé son courage dans son lit, me seconda assez bien, et jura ses grands Dieux qu'il y avait un voleur dans son appartement; elle protesta avec plus de sincérité que de la vie elle n'avait eu tant de peur. Nous cherchions partout et nous ne trouvions rien, lorsque je fis apercevoir la veilleuse renversée, et conclus que, sans doute, un rat avait causé le dommage et la frayeur; mon avis passa tout d'une voix, et aprÚs quelques plaisanteries rebattues sur les rats, le Vicomte s'en alla le premier regagner sa chambre et son lit, en priant sa femme d'avoir à l'avenir des rats plus tranquilles. Vressac, resté seul avec nous, s'approcha de la Vicomtesse pour lui dire tendrement que c'était une vengeance de l'Amour; à quoi elle répondit en me regardant " Il était donc bien en colÚre, car il s'est beaucoup vengé, mais, ajouta-t-elle, je suis rendue de fatigue et je veux dormir. " J'étais dans un moment de bonté; en conséquence, avant de nous séparer, je plaidai la cause de Vressac, et j'amenai le raccommodement. Les deux Amants s'embrassÚrent, et je fus, à mon tour, embrassé par tous deux. Je ne me souciais plus des baisers de la Vicomtesse mais j'avoue que celui de Vressac me fit plaisir. Nous sortÃmes ensemble; et aprÚs avoir reçu ses longs remerciements, nous allùmes chacun nous remettre au lit. Si vous trouvez cette histoire plaisante, je ne vous en demande pas le secret. A présent que je m'en suis amusé, il est juste que le Public ait son tour. Pour le moment, je ne parle que de l'histoire, peut-ÃÂȘtre bientÎt en dirons-nous autant de l'héroïne? Adieu, il y a une heure que mon Chasseur attend; je ne prends plus que le moment de vous embrasser, et de vous recommander surtout de vous garder de Prévan. Du Chùteau de ..., ce 13 septembre 17** LETTRE LXXII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES REMISE SEULEMENT LE 14. Ô ma Cécile! que j'envie le sort de Valmont! demain il vous verra. C'est lui qui vous remettra cette Lettre; et moi, languissant loin de vous, je traÃnerai ma pénible existence entre les regrets et le malheur. Mon amie, ma tendre amie, plaignez-moi de mes maux; surtout plaignez-moi des vÎtres; c'est contre eux que le courage m'abandonne. Qu'il m'est affreux de causer votre malheur! sans moi, vous seriez heureuse et tranquille. Me pardonnez-vous? dites! ah! dites que vous me pardonnez; dites-moi aussi que vous m'aimez, que vous m'aimerez toujours. J'ai besoin que vous me le répétiez. Ce n'est pas que j'en doute mais il me semble que plus on en est sûr, et plus il est doux de se l'entendre dire. Vous m'aimez, n'est-ce pas? oui, vous m'aimez de toute votre ùme. Je n'oublie pas que c'est la derniÚre parole que je vous ai entendue prononcer. Comme je l'ai recueillie dans mon cÅ“ur! comme elle s'y est profondément gravée! et avec quels transports le mien y a répondu! Hélas! dans ce moment de bonheur, j'étais loin de prévoir le sort affreux qui nous attendait. Occupons-nous, ma Cécile, des moyens de l'adoucir. Si j'en crois mon ami il suffira, pour y parvenir, que vous preniez en lui une confiance qu'il mérite. J'ai été peiné, je l'avoue, de l'idée désavantageuse que vous paraissez avoir de lui. J'y ai reconnu les préventions de votre Maman c'était pour m'y soumettre que j'avais négligé, depuis quelque temps, cet homme vraiment aimable, qui aujourd'hui fait tout pour moi; qui enfin travaille à nous réunir, lorsque votre Maman nous a séparés. Je vous en conjure, ma chÚre amie, voyez-le d'un oeil plus favorable. Songez qu'il est mon ami, qu'il veut ÃÂȘtre le vÎtre, qu'il peut me rendre le bonheur de vous voir. Si ces raisons ne vous ramÚnent pas, ma Cécile, vous ne m'aimez pas autant que je vous aime, vous ne m'aimez plus autant que vous m'aimiez. Ah! si jamais vous deviez m'aimer moins... Mais non, le cÅ“ur de ma Cécile est à moi; il y est pour la vie; et si j'ai à craindre les peines d'un amour malheureux, sa constance au moins me sauvera des tourments d'un amour trahi. Adieu, ma charmante amie; n'oubliez pas que je souffre, et qu'il ne tient qu'à vous de me rendre heureux, parfaitement heureux. Ecoutez le vÅ“u de mon cÅ“ur, et recevez les plus tendres baisers de l'amour. Paris, ce 11 septembre 17**. LETTRE LXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Jointe à la précédente. L'ami qui vous sert a su que vous n'aviez rien de ce qu'il vous fallait pour écrire, et il y a déjà pourvu. Vous trouverez dans l'antichambre de l'appartement que vous occupez, sous la grande armoire à main gauche, une provision de papier, de plumes et d'encre, qu'il renouvellera quand vous voudrez, et qu'il lui semble que vous pouvez laisser à cette mÃÂȘme place si vous n'en trouvez pas de plus sûre. Il vous demande de ne pas vous offenser, s'il a l'air de ne faire aucune attention à vous dans le cercle, et de ne vous y regarder que comme un enfant. Cette conduite lui paraÃt nécessaire pour inspirer la sécurité dont il a besoin, et pouvoir travailler plus efficacement au bonheur de son ami et au vÎtre. Il tùchera de faire naÃtre les occasions de vous parler, quand il aura quelque chose à vous apprendre ou à vous remettre; et il espÚre y parvenir, si vous mettez du zÚle à le seconder. Il vous conseille aussi de lui rendre, à mesure, les Lettres que vous aurez reçues, afin de risquer moins de vous compromettre. Il finit par vous assurer que si vous voulez lui donner votre confiance, il mettra tous ses soins à adoucir la persécution qu'une mÚre trop cruelle fait éprouver à deux personnes, dont l'une est déjà son meilleur ami et l'autre lui paraÃt mériter l'intérÃÂȘt le plus tendre. Du Chùteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXIV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Eh! depuis quand, mon ami, vous effrayez-vous si facilement? ce Prévan est donc bien redoutable? Mais voyez combien je suis simple et modeste! Je l'ai rencontré souvent, ce superbe vainqueur; à peine l'avais-je regardé! Il ne fallait pas moins que votre Lettre pour m'y faire faire attention. J'ai réparé mon injustice hier. Il était à l'Opéra, presque vis-à -vis de moi, et je m'en suis occupée. Il est joli au moins, mais trÚs joli; des traits fins et délicats! il doit gagner à ÃÂȘtre vu de prÚs. Et vous dites qu'il veut m'avoir! assurément il me fera honneur et plaisir. Sérieusement, j'en ai fantaisie, et je vous confie ici que j'ai fait les premiÚres démarches. Je ne sais pas si elles réussiront. Voilà le fait. Il était à deux pas de moi, à la sortie de l'Opéra, et j'ai donné, trÚs haut, rendez-vous à la Marquise de *** pour souper le Vendredi chez la Maréchale. C'est, je crois, la seule maison oÃÂč je peux le rencontrer. Je ne doute pas qu'il m'ait entendue. Si l'ingrat allait n'y pas venir? Mais, dites-moi donc, croyez- vous qu'il vienne? Savez-vous que, s'il n'y vient pas, j'aurai de l'humeur toute la soirée? Vous voyez qu'il ne trouvera pas tant de difficulté à me suivre; et ce qui vous étonnera davantage, c'est qu'il en trouvera moins encore à me plaire. Il veut, dit-il, crever six chevaux à me faire sa cour! Oh! je sauverai la vie à ces chevaux-là . Je n'aurai jamais la patience d'attendre si longtemps. Vous savez qu'il n'est pas dans mes principes de faire languir, quand une fois je suis décidée, et je le suis pour lui. Oh! ça, convenez qu'il y a plaisir à me parler raison! Votre avis important n'a-t-il pas un grand succÚs? Mais que voulez-vous? je végÚte depuis si longtemps! il y a plus de six semaines que je ne me suis pas permis une gaieté. Celle-là se présente; puis-je me la refuser? le sujet n'en vaut-il pas la peine? en est-il de plus agréable, dans quelque sens que vous preniez ce mot? Vous-mÃÂȘme, vous ÃÂȘtes forcé de lui rendre justice; vous faites plus que le louer, vous en ÃÂȘtes jaloux. Eh bien! je m'établis juge entre vous deux mais d'abord, il faut s'instruire, et c'est ce que je veux faire. Je serai juge intÚgre, et vous serez pesés tous deux dans la mÃÂȘme balance. Pour vous, j'ai déjà vos mémoires, et votre affaire est parfaitement instruite. N'est-il pas juste que je m'occupe à présent de votre adversaire? Allons, exécutez-vous de bonne grùce; et, pour commencer, apprenez-moi je vous prie, quelle est cette triple aventure dont il est le héros. Vous m'en parlez, comme si je ne connaissais autre chose, et je n'en sais pas le premier mot. Apparemment elle se sera passée pendant mon voyage à GenÚve, et votre jalousie vous aura empÃÂȘché de me l'écrire. Réparez cette faute au plus tÎt; songez que rien de ce qui l'intéresse ne m'est étranger . Il me semble bien qu'on en parlait encore à mon retour mais j'étais occupée d'autre chose, et j'écoute rarement en ce genre tout ce qui n'est pas du jour ou de la veille. Quand ce que je vous demande vous contrarierait un peu, n'est-ce pas le moindre prix que vous deviez aux soins que je me suis donnés pour vous? ne sont-ce pas eux qui vous ont rapproché de votre Présidente, quand vos sottises vous en avaient éloigné? n'est-ce pas encore moi qui ai remis entre vos mains de quoi vous venger du zÚle amer de Madame de Volanges? Vous vous ÃÂȘtes plaint si souvent du temps que vous perdiez à aller chercher vos aventures. A présent vous les avez sous la main. L'amour, la haine, vous n'avez qu'à choisir, tout couche sous le mÃÂȘme toit; et vous pouvez, doublant, votre existence, caresser d'une main et frapper de l'autre. C'est mÃÂȘme encore à moi que vous devez l'aventure de la Vicomtesse. J'en suis assez contente mais, comme vous dites, il faut qu'on en parle car si l'occasion a pu vous engager, comme je le conçois, à préférer pour le moment le mystÚre à l'éclat, il faut convenir pourtant que cette femme ne méritait pas un procédé si honnÃÂȘte. J'ai d'ailleurs à m'en plaindre. Le Chevalier de Belleroche la trouve plus jolie que je ne voudrais; et par beaucoup de raisons, je serai bien aise d'avoir un prétexte pour rompre avec elle or, il n'en est pas de plus commode, que d'avoir à dire On ne peut plus voir cette femme-là . Adieu, Vicomte; songez que, placé oÃÂč vous ÃÂȘtes, le temps est précieux je vais employer le mien à m'occuper du bonheur de Prévan. Paris, ce 15 septembre l7**. LETTRE LXXV Nota Dans cette Lettre, Cécile Volanges rend compte avec le plus grand détail de tout ce qui est relatif à elle dans les événements que le Lecteur a vus Lettre LIX et suivantes. On a cru devoir supprimer cette répétition. Elle parle enfin du Vicomte de Valmont, et elle exprime ainsi CECILE VOLANGES A SOPHIE CARNAY Je t'assure que c'est un homme bien extraordinaire. Maman en dit beaucoup de mal; mais le Chevalier Danceny en dit beaucoup de bien, et je crois que c'est lui qui a raison. Je n'ai jamais vu d'homme aussi adroit. Quand il m'a rendu la Lettre de Danceny, c'était au milieu de tout le monde, et personne n'en a rien vu; il est vrai que j'ai eu bien peur parce que je n'étais prévenue de rien mais à présent je m'y attendrai. J'ai déjà fort bien compris comment il voulait que je fisse pour lui remettre ma Réponse. Il est bien facile de s'entendre avec lui, car il a un regard qui dit tout ce qu'il veut. Je ne sais pas comment il fait il me disait dans le billet dont je t'ai parlé qu'il n'aurait pas l'air de s'occuper de moi devant Maman en effet, on dirait toujours qu'il n'y songe pas; et pourtant toutes les fois que je cherche ses yeux, je suis sûre de les rencontrer tout de suite. Il y a ici une bonne amie de Maman, que je ne connaissais pas, qui a aussi l'air de ne guÚre aimer M. de Valmont, quoiqu'il ait bien des attentions pour elle. J'ai peur qu'il ne s'ennuie bientÎt de la vie qu'on mÚne ici, et qu'il ne s'en retourne à Paris; cela serait bien fùcheux. Il faut qu'il ait bien bon cÅ“ur d'ÃÂȘtre venu exprÚs pour rendre service à son ami et à moi! Je voudrais bien lui en témoigner ma reconnaissance, mais je ne sais comment faire pour lui parler; et quand j'en trouverais l'occasion, je serais si honteuse, que je ne saurais peut-ÃÂȘtre que lui dire. Il n'y a que Madame de Merteuil avec qui je parle librement, quand je parle de mon amour. Peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme qu'avec toi, à qui je dis tout, si c'était en causant, je serais embarrassée. Avec Danceny lui-mÃÂȘme, j'ai souvent senti, comme malgré moi, une certaine crainte qui m'empÃÂȘchait de lui dire tout ce que je pensais. Je me le reproche bien à présent, et je donnerais tout au monde pour trouver le moment de lui dire une fois, une seule fois, combien je l'aime. M. de Valmont lui a promis que, si je me laissais conduire, il nous procurerait l'occasion de nous revoir. Je ferai bien assez ce qu'il voudra; mais je ne peux pas concevoir que cela soit possible. Adieu, ma bonne amie, je n'ai plus de place [Mademoiselle de Volanges ayant, peu de temps aprÚs, changé de confidente, comme on le verra par la suite de ces Lettres, on ne trouvera plus dans ce Recueil aucune de celles qu'elle a continué d'écrire à son amie du Couvent, elles n'apprendraient rien au Lecteur]. Du Chùteau de ..., ce 14 septembre 17** LETTRE LXXVI LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Ou votre Lettre est un persiflage, que je n'ai pas compris; ou vous étiez, en me l'écrivant, dans un délire trÚs dangereux. Si je vous connaissais moins, ma belle amie, je serais vraiment trÚs effrayé; et quoi que vous en puissiez dire, je ne m'effraierais pas trop facilement. J'ai beau vous lire et vous relire, je n'en suis pas plus avancé; car, de prendre votre Lettre dans le sens naturel qu'elle présente, il n'y a pas moyen. Qu'avez- vous donc voulu dire? Est-ce seulement qu'il était inutile de se donner tant de soins contre un ennemi si peu redoutable? mais, dans ce cas, vous pourriez avoir tort. Prévan est réellement aimable; il l'est plus que vous ne le croyez; il a surtout le talent trÚs utile d'occuper beaucoup de son amour, par l'adresse qu'il a d'en parler dans le cercle, et devant tout le monde, en se servant de la premiÚre conversation qu'il trouve. Il est peu de femmes qui se sauvent alors du piÚge d'y répondre, parce que toutes ayant des prétentions à la finesse, aucune ne veut perdre l'occasion d'en montrer. Or, vous savez assez que femme qui consent à parler d'amour, finit bientÎt par en prendre, ou au moins par se conduire comme si elle en avait. Il gagne encore à cette méthode, qu'il a réellement perfectionnée, d'appeler souvent les femmes elles-mÃÂȘmes en témoignage de leur défaite; et cela, je vous en parle pour l'avoir vu. Je n'étais dans le secret que de la seconde main; car jamais je n'ai été lié avec Prévan mais enfin nous y étions six et la Comtesse de P***, tout en se croyant bien fine, et ayant l'air en effet, pour tout ce qui n'était pas instruit, de tenir une conversation générale, nous raconta dans le plus grand détail, et comme quoi elle s'était rendue à Prévan, et tout ce qui s'était passé entre eux. Elle faisait ce récit avec une telle sécurité, qu'elle ne fut pas mÃÂȘme troublée par un fou rire qui nous prit à tous six en mÃÂȘme temps; et je me souviendrai toujours qu'un de nous ayant voulu, pour s'excuser, feindre de douter de ce qu'elle disait, ou plutÎt de ce qu'elle avait l'air de dire, elle répondit gravement qu'à coup sûr nous n'étions aucun aussi bien instruits qu'elle; et elle ne craignit pas mÃÂȘme de s'adresser à Prévan, pour lui demander si elle s'était trompée d'un mot. J'ai donc pu croire cet homme dangereux pour tout le monde mais pour vous, Marquise, ne suffisait-il pas qu'il fût joli, trÚs joli , comme vous le dites vous-mÃÂȘme? ou qu'il vous fÃt une de ces attaques, que vous vous plaisiez quelquefois à récompenser, sans autre motif que de les trouver bien faites ? ou que vous eussiez trouvé plaisant de vous rendre par une raison quelconque? ou que sais-je? puis-je deviner les mille caprices qui gouvernent la tÃÂȘte d'une femme, et par qui seuls vous tenez encore à votre sexe? A présent que vous ÃÂȘtes avertie du danger, je ne doute pas que vous ne vous en sauviez facilement mais pourtant fallait-il vous avertir. Je reviens donc à mon texte; qu'avez-vous voulu dire? Si ce n'est qu'un persiflage sur Prévan, outre qu'il est bien long, ce n'était pas vis-à -vis de moi qu'il était utile; c'est dans le monde qu'il faut lui donner quelque bon ridicule, et je vous renouvelle ma priÚre à ce sujet. Ah! je crois tenir le mot de l'énigme! votre Lettre est une prophétie, non de ce que vous ferez, mais de ce qu'il vous croira prÃÂȘte à faire au moment de la chute que vous lui préparez. J'approuve assez ce projet; il exige pourtant de grands ménagements. Vous savez comme moi que, pour l'effet public, avoir un homme ou recevoir ses soins, est absolument la mÃÂȘme chose, à moins que cet homme ne soit un sot; et Prévan ne l'est pas, à beaucoup prÚs. S'il peut gagner seulement une apparence, il se vantera, et tout sera dit. Les sots y croiront, les méchants auront l'air d'y croire quelles seront vos ressources? Tenez, j'ai peur. Ce n'est pas que je doute de votre adresse mais ce sont les bons nageurs qui se noient. Je ne me crois pas plus bÃÂȘte qu'un autre; des moyens de déshonorer une femme, j'en ai trouvé cent, j'en ai trouvé mille mais quand je me suis occupé de chercher comment elle pourrait s'en sauver, je n'en ai jamais vu la possibilité. Vous-mÃÂȘme, ma belle amie, dont la conduite est un chef-d'Å“uvre, cent fois j'ai cru vous voir plus de bonheur que de bien joué. Mais aprÚs tout, je cherche peut-ÃÂȘtre une raison à ce qui n'en a point. J'admire comment, depuis une heure, je traite sérieusement ce qui n'est, à coup sûr, qu'une plaisanterie de votre part. Vous allez vous moquer de moi! Hé bien! soit; mais dépÃÂȘchez-vous, et parlons d'autre chose. D'autre chose! je me trompe, c'est toujours de la mÃÂȘme; toujours des femmes à avoir ou à perdre, et souvent tous les deux. J'ai ici, comme vous l'avez fort bien remarqué, de quoi m'exercer dans les deux genres, mais non pas avec la mÃÂȘme facilité. Je prévois que la vengeance ira plus vite que l'amour. La petite Volanges est rendue, j'en réponds; elle ne dépend plus que de l'occasion, et je me charge de la faire naÃtre. Mais il n'en est pas de mÃÂȘme de Madame de Tourvel cette femme est désolante, je ne la conçois pas; j'ai cent preuves de son amour, mais j'en ai mille de sa résistance; et en vérité, je crains qu'elle ne m'échappe. Le premier effet qu'avait produit mon retour me faisait espérer davantage. Vous devinez que je voulais en juger par moi-mÃÂȘme; et pour m'assurer de voir les premiers mouvements, je ne m'étais fait précéder par personne, et j'avais calculé ma route pour arriver pendant qu'on serait à table. En effet, je tombai des nues, comme une Divinité d'Opéra qui vient faire un dénouement. Ayant fait assez de bruit en entrant pour fixer les regards sur moi, je pus voir du mÃÂȘme coup d'oeil la joie de ma vieille tante, le dépit de Madame de Volanges, et le plaisir décontenancé de sa fille. Ma Belle, par la place qu'elle occupait, tournait le dos à la porte. Occupée dans ce moment à couper quelque chose, elle ne tourna seulement pas la tÃÂȘte mais j'adressai la parole à Madame de Rosemonde; et au premier mot, la sensible Dévote ayant reconnu ma voix, il lui échappa un cri dans lequel je crus reconnaÃtre plus d'amour que de surprise et d'effroi. Je m'étais alors assez avancé pour voir sa figure le tumulte de son ùme, le combat de ses idées et de ses sentiments, s'y peignirent de vingt façons différentes. Je me mis à table à cÎté d'elle; elle ne savait exactement rien de ce qu'elle faisait ni de ce qu'elle disait. Elle essaya de continuer de manger; il n'y eut pas moyen enfin, moins d'un quart d'heure aprÚs, son embarras et son plaisir devenant plus forts qu'elle, elle n'imagina rien de mieux que de demander permission de sortir de table, et elle se sauva dans le parc, sous le prétexte d'avoir besoin de prendre l'air. Madame de Volanges voulut l'accompagner; la tendre Prude ne le permit pas trop heureuse, sans doute, de trouver un prétexte pour ÃÂȘtre seule, et se livrer sans contrainte à la douce émotion de son cÅ“ur. J'abrégeai le dÃner le plus qu'il me fut possible. A peine avait-on servi le dessert, que l'infernale Volanges, pressée apparemment du besoin de me nuire, se leva de sa place pour aller trouver la charmante malade mais j'avais prévu ce projet, et je le traversai. Je feignis donc de prendre ce mouvement particulier pour le mouvement général; et m'étant levé en mÃÂȘme temps, la petite Volanges et le Curé du lieu se laissÚrent entraÃner par ce double exemple; en sorte que Madame de Rosemonde se trouva seule à table avec le vieux Commandeur de T. , et tous deux prirent aussi le parti d'en sortir. Nous allùmes donc tous rejoindre ma Belle, que nous trouvùmes dans le bosquet prÚs du Chùteau; et comme elle avait besoin de solitude et non de promenade, elle aima autant revenir avec nous, que nous faire rester avec elle. DÚs que je fus assuré que Madame de Volanges n'aurait pas l'occasion de lui parler seule, je songeai à exécuter vos ordres, et je m'occupai des intérÃÂȘts de votre pupille. AussitÎt aprÚs le café, je montai chez moi, et j'entrai aussi chez les autres, pour reconnaÃtre le terrain; je fis mes dispositions pour assurer la correspondance de la petite; et aprÚs ce premier bienfait, j'écrivis un mot pour l'en instruire et lui demander sa confiance; je joignis mon billet à la Lettre de Danceny. Je revins au salon. J'y trouvai ma Belle établie sur une chaise longue dans un abandon délicieux. Ce spectacle, en éveillant mes désirs, anima mes regards; je sentis qu'ils devaient ÃÂȘtre tendres et pressants, et je me plaçai de maniÚre à pouvoir en faire usage. Leur premier effet fut de faire baisser les grands yeux modestes de la céleste Prude. Je considérai quelque temps cette figure angélique; puis, parcourant toute sa personne je m'amusais à deviner les contours et les formes à travers un vÃÂȘtement léger, mais toujours importun. AprÚs ÃÂȘtre descendu de la tÃÂȘte aux pieds, je remontais des pieds à la tÃÂȘte. Ma belle amie, le doux regard était fixé sur moi; sur-le-champ il se baissa de nouveau, mais voulant en favoriser le retour, je détournai mes yeux. Alors s'établit entre nous cette convention tacite, premier traité de l'amour timide, qui, pour satisfaire le besoin mutuel de se voir, permet aux regards de se succéder en attendant qu'ils se confondent. Persuadé que ce nouveau plaisir occupait ma Belle tout entiÚre, je me chargeai de veiller à notre commune sûreté mais aprÚs m'ÃÂȘtre assuré qu'une conversation assez vive nous sauvait des remarques du cercle, je tùchai d'obtenir de ses yeux qu'ils parlassent franchement leur langage. Pour cela je surpris d'abord quelques regards; mais avec tant de réserve, que la modestie n'en pouvait ÃÂȘtre alarmée; et pour mettre la timide personne plus à son aise, je paraissais moi-mÃÂȘme aussi embarrassé qu'elle. Peu à peu nos yeux, accoutumés à se rencontrer, se fixÚrent plus longtemps; enfin ils ne se quittÚrent plus, et j'aperçus dans les siens cette douce langueur, signal heureux de l'amour et du désir; mais ce ne fut qu'un moment; et bientÎt revenue à elle-mÃÂȘme, elle changea, non sans quelque honte, son maintien et son regard. Ne voulant pas qu'elle pût douter que j'eusse remarqué ses divers mouvements, je me levai avec vivacité, en lui demandant, avec l'air de l'effroi, si elle se trouvait mal. AussitÎt tout le monde vint l'entourer. Je les laissai tous passer devant moi; et comme la petite Volanges, qui travaillait à la tapisserie auprÚs d'une fenÃÂȘtre, eut besoin de quelque temps pour quitter son métier, je saisis ce moment pour lui remettre la Lettre de Danceny. J'étais un peu loin d'elle; je jetai l'EpÃtre sur ses genoux. Elle ne savait en vérité qu'en faire. Vous auriez trop ri de son air de surprise et d'embarras; pourtant, je ne riais point, car je craignais que tant de gaucherie ne nous trahÃt. Mais un coup d'oeil et un geste fortement prononcés lui firent enfin comprendre qu'il fallait mettre le paquet dans sa poche. Le reste de la journée n'eut rien d'intéressant. Ce qui s'est passé depuis amÚnera peut-ÃÂȘtre des événements dont vous serez contente, au moins pour ce qui regarde votre pupille; mais il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu'à les raconter. Voilà d'ailleurs la huitiÚme page que j'écris, et j'en suis fatigué; ainsi, adieu. Vous vous doutez bien, sans que je vous le dise, que la petite a répondu à Danceny [Cette Lettre ne s'est pas retrouvée]. J'ai eu aussi une Réponse de ma Belle, à qui j'avais écrit le lendemain de mon arrivée. Je vous envoie les deux Lettres. Vous les lirez ou vous ne les lirez pas car ce perpétuel rabùchage, qui déjà ne m'amuse pas trop, doit ÃÂȘtre bien insipide, pour toute personne désintéressée. Encore une fois, adieu. Je vous aime toujours beaucoup; mais je vous en prie, si vous me reparlez de Prévan, faites en sorte que je vous entende. Du Chùteau de ..., ce 17 septembre 17** LETTRE LXXVII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL D'oÃÂč peut venir, Madame, le soin cruel que vous mettez à me fuir? comment se peut-il que l'empressement le plus tendre de ma part n'obtienne de la vÎtre que des procédés qu'on se permettrait à peine envers l'homme dont on aurait le plus à se plaindre? Quoi! l'amour me ramÚne à vos pieds; et quand un heureux hasard me place à cÎté de vous, vous aimez mieux feindre une indisposition, alarmer vos amis, que de consentir à rester prÚs de moi! Combien de fois hier n'avez-vous pas détourné vos yeux pour me priver de la faveur d'un regard? et si un seul instant j'ai pu y voir moins de sévérité, ce moment a été si court qu'il semble que vous ayez voulu moins m'en faire jouir que me faire sentir ce que je perdais à en ÃÂȘtre privé. Ce n'est là , j'ose le dire, ni le traitement que mérite l'amour, ni celui que peut se permettre l'amitié; et toutefois, de ces deux sentiments, vous savez si l'un m'anime, et j'étais, ce me semble, autorisé à croire que vous ne vous refusiez pas à l'autre. Cette amitié précieuse, dont sans doute vous m'avez cru digne, puisque vous avez bien voulu me l'offrir, qu'ai-je donc fait pour l'avoir perdue depuis? me serais-je nui par ma confiance, et me puniriez-vous de ma franchise? ne craignez-vous pas au moins d'abuser de l'une et de l'autre? En effet, n'est-ce pas dans le sein de mon amie, que j'ai déposé le secret de mon cÅ“ur? n'est-ce pas vis-à -vis d'elle seule, que j'ai pu me croire obligé de refuser des conditions qu'il me suffisait d'accepter, pour me donner la facilité de ne les pas tenir, et peut-ÃÂȘtre celle d'en abuser utilement? Voudriez-vous enfin, par une rigueur si peu méritée, me forcer à croire qu'il n'eût fallu que vous tromper pour obtenir plus d'indulgence? Je ne me repens point d'une conduite que je vous devais, que je me devais à moi-mÃÂȘme; mais par quelle fatalité, chaque action louable devient-elle pour moi le signal d'un malheur nouveau? C'est aprÚs avoir donné lieu au seul éloge que vous ayez encore daigné faire de ma conduite, que j'ai eu, pour la premiÚre fois, à gémir du malheur de vous avoir déplu. C'est aprÚs vous avoir prouvé ma soumission parfaite, en me privant du bonheur de vous voir, uniquement pour rassurer votre délicatesse, que vous avez voulu rompre toute correspondance avec moi, m'Îter ce faible dédommagement d'un sacrifice que vous aviez exigé, et me ravir jusqu'à l'amour qui seul avait pu vous en donner le droit. C'est enfin aprÚs vous avoir parlé avec une sincérité que l'intérÃÂȘt mÃÂȘme de cet amour n'a pu affaiblir, que vous me fuyez aujourd'hui comme un séducteur dangereux, dont vous auriez reconnu la perfidie. Ne vous lasserez-vous donc jamais d'ÃÂȘtre injuste? Apprenez-moi du moins quels nouveaux torts ont pu vous porter à tant de sévérité, et ne refusez pas de me dicter les ordres que vous voulez que je suive; quand je m'engage à les exécuter, est-ce trop prétendre que de demander à les connaÃtre? De ..., ce 15 septembre 17** LETTRE LXXVIII LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Vous paraissez, Monsieur, surpris de ma conduite, et peu s'en faut mÃÂȘme que vous ne m'en demandiez compte, comme ayant le droit de la blùmer. J'avoue que je me serais crue plus autorisée que vous à m'étonner et à me plaindre; mais depuis le refus contenu dans votre derniÚre réponse, j'ai pris le parti de me renfermer dans une indifférence qui ne laisse plus lieu aux remarques ni aux reproches. Cependant, comme vous me demandez des éclaircissements, et que, grùces au Ciel, je ne sens rien en moi qui puisse m'empÃÂȘcher de vous les donner, je veux bien entrer encore une fois en explication avec vous. Qui lirait vos Lettres me croirait injuste ou bizarre. Je crois mériter que personne n'ait cette idée de moi; il me semble surtout que vous étiez moins qu'un autre dans le cas de la prendre. Sans doute, vous avez senti qu'en nécessitant ma justification vous me forciez à rappeler tout ce qui s'est passé entre nous. Apparemment vous avez cru n'avoir qu'à gagner à cet examen comme, de mon cÎté, je ne crois pas avoir à y perdre, au moins à vos yeux, je ne crains pas de m'y livrer. Peut-ÃÂȘtre est-ce, en effet, le seul moyen de connaÃtre qui de nous deux a le droit de se plaindre de l'autre. A compter, Monsieur, du jour de votre arrivée dans ce Chùteau, vous avouerez, je crois, qu'au moins votre réputation m'autorisait à user de quelque réserve avec vous, et que j'aurais pu, sans craindre d'ÃÂȘtre taxée d'un excÚs de pruderie, m'en tenir aux seules expressions de la politesse la plus froide. Vous-mÃÂȘme m'eussiez traitée avec indulgence, et vous eussiez trouvé simple qu'une femme aussi peu formée n'eût pas mÃÂȘme le mérite nécessaire pour apprécier le vÎtre. C'était sûrement là le parti de la prudence; et il m'eût d'autant moins coûté à suivre, que je ne vous cacherai pas que, quand Madame de Rosemonde vint me faire part de votre arrivée, j'eus besoin de me rappeler mon amitié pour elle, et celle qu'elle a pour vous, pour ne pas lui laisser voir combien cette nouvelle me contrariait. Je conviens volontiers que vous vous ÃÂȘtes montré d'abord sous un aspect plus favorable que je ne l'avais imaginé; mais vous conviendrez à votre tour qu'il a bien peu duré, et que vous vous ÃÂȘtes bientÎt lassé d'une contrainte, dont apparemment vous ne vous ÃÂȘtes pas cru suffisamment dédommagé par l'idée avantageuse qu'elle m'avait fait prendre de vous. C'est alors qu'abusant de ma bonne foi, de ma sécurité, vous n'avez pas craint de m'entretenir d'un sentiment dont vous ne pouviez pas douter que je ne me trouvasse offensée; et moi, tandis que vous ne vous occupiez qu'à aggraver vos torts en les multipliant, je cherchais un motif pour les oublier, en vous offrant l'occasion de les réparer, au moins en partie. Ma demande était si juste que vous-mÃÂȘme ne crûtes pas devoir vous y refuser mais vous faisant un droit de mon indulgence, vous en profitùtes pour me demander une permission, que, sans doute, je n'aurais pas dû accorder, et que pourtant vous avez obtenue. Des conditions qui y furent mises, vous n'en avez tenu aucune; et votre correspondance a été telle, que chacune de vos Lettres me faisait un devoir de ne plus vous répondre. C'est dans le moment mÃÂȘme oÃÂč votre obstination me forçait à vous éloigner de moi que, par une condescendance peut-ÃÂȘtre blùmable, j'ai tenté le seul moyen qui pouvait me permettre de vous en rapprocher mais de quel prix est à vos yeux un sentiment honnÃÂȘte? Vous méprisez l'amitié; et dans votre folle ivresse, comptant pour rien les malheurs et la honte, vous ne cherchez que des plaisirs et des victimes. Aussi léger dans vos démarches qu'inconséquent dans vos reproches, vous oubliez vos promesses, ou plutÎt vous vous faites un jeu de les violer, et aprÚs avoir consenti à vous éloigner de moi, vous revenez ici sans y ÃÂȘtre rappelé; sans égard pour mes priÚres, pour mes raisons, sans avoir mÃÂȘme l'attention de m'en prévenir, vous n'avez pas craint de m'exposer à une surprise dont l'effet, quoique bien simple assurément, aurait pu ÃÂȘtre interprété défavorablement pour moi, par les personnes qui nous entouraient. Ce moment d'embarras que vous aviez fait naÃtre, loin de chercher à en distraire, ou à le dissiper, vous avez paru mettre tous vos soins à l'augmenter encore. A table, vous choisissez précisément votre place à cÎté de la mienne une légÚre indisposition me force d'en sortir avant les autres; et au lieu de respecter ma solitude, vous engagez tout le monde à venir la troubler. Rentrée au salon, si je fais un pas, je vous trouve à cÎté de moi; si je dis une parole, c'est toujours vous qui me répondez. Le mot le plus indifférent vous sert de prétexte pour ramener une conversation que je ne voulais pas entendre, qui pouvait mÃÂȘme me compromettre car enfin, Monsieur, quelque adresse que vous y mettiez, ce que je comprends, je crois que les autres peuvent aussi le comprendre. Forcée ainsi par vous à l'immobilité et au silence, vous n'en continuez pas moins de me poursuivre; je ne puis lever les yeux sans rencontrer les vÎtres. Je suis sans cesse obligée de détourner mes regards; et par une inconséquence bien incompréhensible, vous fixez sur moi ceux du cercle, dans un moment oÃÂč j'aurais voulu pouvoir mÃÂȘme me dérober aux miens. Et vous vous plaignez de mes procédés! et vous vous étonnez de mon empressement à vous fuir! Ah! blùmez-moi plutÎt de mon indulgence, étonnez-vous que je ne sois pas partie au moment de votre arrivée. Je l'aurais dû peut-ÃÂȘtre, et vous me forcerez à ce parti violent mais nécessaire, si vous ne cessez enfin des poursuites offensantes. Non, je n'oublie point, je n'oublierai jamais ce que je me dois, ce que je dois à des nÅ“uds que j'ai formés, que je respecte et que je chéris; et je vous prie de croire que, si jamais je me trouvais réduite à ce choix malheureux de les sacrifier ou de me sacrifier moi-mÃÂȘme, je ne balancerais pas un instant. Adieu, Monsieur. De ..., ce 16 septembre l7**. LETTRE LXXIX LE VICOMTE DE VALMONT A LA MARQUISE DE MERTEUIL Je comptais aller à la chasse ce matin mais il fait un temps détestable. Je n'ai pour toute lecture qu'un Roman nouveau, qui ennuierait mÃÂȘme une Pensionnaire. On déjeunera au plus tÎt dans deux heures ainsi malgré ma longue Lettre d'hier, je vais encore causer avec vous. Je suis bien sûr de ne pas vous ennuyer, car je vous parlerai du trÚs joli Prévan . Comment n'avez-vous pas su sa fameuse aventure, celle qui a séparé les inséparables . Je parie que vous vous la rappellerez au premier mot. La voici pourtant, puisque vous la désirez. Vous vous souvenez que tout Paris s'étonnait que trois femmes, toutes trois jolies, ayant toutes trois les mÃÂȘmes talents, et pouvant avoir les mÃÂȘmes prétentions, restassent intimement liées entre elles depuis le moment de leur entrée dans le monde. On crut d'abord en trouver la raison dans leur extrÃÂȘme timidité mais bientÎt, entourées d'une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, et éclairées sur leur valeur par l'empressement et les soins dont elles étaient l'objet, leur union n'en devint pourtant que plus forte; et l'on eût dit que le triomphe de l'une était toujours celui des deux autres. On espérait au moins que le moment de l'amour amÚnerait quelque rivalité. Nos agréables se disputaient l'honneur d'ÃÂȘtre la pomme de discorde; et moi-mÃÂȘme, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur oÃÂč la Comtesse de ... s'éleva dans ce mÃÂȘme temps, m'eût permis de lui ÃÂȘtre infidÚle avant d'avoir obtenu l'agrément que je demandais. Cependant nos trois Beautés, dans le mÃÂȘme carnaval, firent leur choix comme de concert; et loin qu'il excitùt les orages qu'on s'en était promis, il ne fit que rendre leur amitié plus intéressante, par le charme des confidences. La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses, et la scandaleuse constance fut soumise à la censure publique. Les uns prétendaient que dans cette société des inséparables ainsi la nommait-on alors, la loi fondamentale était la communauté de biens, et que l'amour mÃÂȘme y était soumis; d'autres assuraient que les trois Amants, exempts de rivaux, ne l'étaient pas de rivales on alla mÃÂȘme jusqu'à dire qu'ils n'avaient été admis que par décence, et n'avaient obtenu qu'un titre sans fonction. Ces bruits, vrais ou faux, n'eurent pas l'effet qu'on s'en était promis. Les trois couples, au contraire, sentirent qu'ils étaient perdus s'ils se séparaient dans ce moment; ils prirent le parti de faire tÃÂȘte à l'orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientÎt d'une satire infructueuse. Emporté par sa légÚreté naturelle, il s'occupa d'autres objets puis, revenant à celui-ci avec son inconséquence ordinaire, il changea la critique en éloge. Comme ici tout est de mode, l'enthousiasme gagna; il devenait un vrai délire, lorsque Prévan entreprit de vérifier ces prodiges, et de fixer sur eux l'opinion publique et la sienne. Il rechercha donc ces modÚles de perfection. Admis facilement dans leur société, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d'un accÚs si facile. Il vit bientÎt, en effet, que ce bonheur si vanté était, comme celui des Rois, plus envié que désirable. Il remarqua que, parmi ces prétendus inséparables, on commençait à rechercher les plaisirs du dehors, qu'on s'y occupait mÃÂȘme de distraction; et il en conclut que les liens d'amour ou d'amitié étaient déjà relùchés ou rompus, et que ceux de l'amour- propre et de l'habitude conservaient seuls quelque force. Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l'apparence de la mÃÂȘme intimité mais les hommes, plus libres dans leurs démarches, retrouvaient des devoirs à remplir ou des affaires à suivre; ils s'en plaignaient encore, mais ne s'en dispensaient plus, et rarement les soirées étaient complÚtes. Cette conduite de leur part fut profitable à l'assidu Prévan, qui, placé naturellement auprÚs de la délaissée du jour, trouvait à offrir alternativement, et selon les circonstances, le mÃÂȘme hommage aux trois amies. Il sentit facilement que faire un choix entre elles, c'était se perdre; que la fausse honte de se trouver la premiÚre infidÚle effaroucherait la préférée; que la vanité blessée des deux autres les rendrait ennemies du nouvel Amant, et qu'elles ne manqueraient pas de déployer contre lui la sévérité des grands principes; enfin, que la jalousie ramÚnerait à coup sûr les soins d'un rival qui pouvait ÃÂȘtre encore à craindre. Tout fût devenu obstacle; tout devenait facile dans son triple projet; chaque femme était indulgente, parce qu'elle y était intéressée, chaque homme, parce qu'il croyait ne pas l'ÃÂȘtre. Prévan, qui n'avait alors qu'une seule femme à sacrifier, fut assez heureux pour qu'elle prÃt de la célébrité. Sa qualité d'étrangÚre et l'hommage d'un grand Prince assez adroitement, refusé avaient fixé sur elle l'attention de la Cour et de la Ville; son Amant en partageait l'honneur, et en profita auprÚs de ses nouvelles MaÃtresses. La seule difficulté était de mener de front ces trois intrigues, dont la marche devait forcément se régler sur la plus tardive; en effet, je tiens d'un de ses confidents que sa plus grande peine fut d'en arrÃÂȘter une, qui se trouva prÃÂȘte à éclore prÚs de quinze jours avant les autres. Enfin le grand jour arriva. Prévan, qui avait obtenu les trois aveux, se trouvait déjà maÃtre des démarches, et les régla comme vous allez voir. Des trois maris, l'un était absent, l'autre partait le lendemain au point du jour, le troisiÚme était à la Ville. Les inséparables amies devaient souper chez la veuve future; mais le nouveau MaÃtre n'avait pas permis que les anciens Serviteurs y fussent invités. Le matin mÃÂȘme de ce jour, il fait trois lots des Lettres de sa Belle, il accompagne l'un du portrait qu'il avait reçu d'elle le second d'un chiffre amoureux qu'elle-mÃÂȘme avait peint, le troisiÚme d'une boucle de ses cheveux; chacune reçut pour complet ce tiers de sacrifice, et consentit, en échange, à envoyer à l'Amant disgracié une Lettre éclatante de rupture. C'était beaucoup; ce n'était pas assez. Celle dont le mari était à la Ville ne pouvait disposer que de la journée; il fut convenu qu'une feinte indisposition la dispenserait d'aller souper chez son amie, et que la soirée serait toute à Prévan la nuit fut accordée par celle dont le mari fut absent et le point du jour, moment du départ du troisiÚme époux, fut marqué par la derniÚre, pour l'heure du Berger. Prévan qui ne néglige rien, court ensuite chez la belle étrangÚre, y porte et y fait naÃtre l'humeur dont il avait besoin, et n'en sort qu'aprÚs avoir établi une querelle qui lui assure vingt-quatre heures de liberté. Ses dispositions ainsi faites, il rentra chez lui, comptant prendre quelque repos; d'autres affaires l'y attendaient. Les Lettres de rupture avaient été un coup de lumiÚre pour les Amants disgraciés chacun d'eux ne pouvait douter qu'il n'eût été sacrifié à Prévan; et le dépit d'avoir été joué, se joignant à l'humeur que donne presque toujours la petite humiliation d'ÃÂȘtre quitté, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient résolu d'en avoir raison, et pris le parti de la demander à leur fortuné rival. Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels; il les accepta loyalement mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l'éclat de cette aventure, il fixa les rendez- vous au lendemain matin, et les assigna tous les trois au mÃÂȘme lieu et à la mÃÂȘme heure. Ce fut à une des portes du bois de Boulogne. Le soir venu, il courut sa triple carriÚre avec un succÚs égal; au moins s'est-il vanté depuis que chacune de ses nouvelles MaÃtresses avait reçu trois fois le gage et le serment de son amour. Ici, comme vous le jugez bien, les preuves manquent à l'histoire; tout ce que peut faire l'Historien impartial, c'est de faire remarquer au Lecteur incrédule que la vanité et l'imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges, et de plus, que la matinée qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de ménagement pour l'avenir. Quoi qu'il en soit, les faits suivants ont plus de certitude. Prévan se rendit exactement au rendez-vous qu'il avait indiqué; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre, et peut-ÃÂȘtre chacun d'eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons d'infortune. Il les aborda d'un air affable et cavalier, et leur tint ce discours, qu'on m'a rendu fidÚlement " Messieurs, leur dit-il, en vous trouvant rassemblés ici, vous avez deviné sans doute que vous aviez tous trois le mÃÂȘme sujet de plainte contre moi. Je suis prÃÂȘt à vous rendre raison. Que le sort décide, entre vous, qui des trois tentera le premier une vengeance à laquelle vous avez tous un droit égal. Je n'ai amené ici ni second, ni témoins. Je n'en ai point pris pour l'offense; je n'en demande point pour la réparation. " Puis cédant à son caractÚre joueur " Je sais, ajouta-t-il, qu'on gagne rarement le sept et le va ; mais quel que soit le sort qui m'attend, on a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d'acquérir l'amour des femmes et l'estime des hommes. " Pendant que ses adversaires étonnés se regardaient en silence, et que leur délicatesse calculait peut-ÃÂȘtre que ce triple combat ne laissait pas la partie égale, Prévan reprit la parole " Je ne vous cache pas, continua-t-il donc, que la nuit que je viens de passer m'a cruellement fatigué. Il serait généreux à vous de me permettre de réparer mes forces. J'ai donné mes ordres pour qu'on tÃnt ici un déjeuner prÃÂȘt; faites-moi l'honneur de l'accepter. Déjeunons ensemble, et surtout déjeunons gaiement. On peut se battre pour de semblables bagatelles; mais elles ne doivent pas, je crois, altérer notre humeur. " Le déjeuner fut accepté. Jamais, dit-on, Prévan ne fut plus aimable. Il eut l'adresse de n'humilier aucun de ses rivaux; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mÃÂȘmes succÚs, et surtout de les faire convenir qu'ils n'en eussent pas plus que lui laissé échapper l'occasion. Ces faits une fois avoués, tout s'arrangeait de soi-mÃÂȘme. Aussi le déjeuner n'était-il pas fini, qu'on y avait déjà répété dix fois que de pareilles femmes ne méritaient pas que d'honnÃÂȘtes gens se battissent pour elles. Cette idée amena la cordialité; le vin la fortifia; si bien que peu de moments aprÚs, ce ne fut pas assez de n'avoir plus de rancune, on se jura amitié sans réserve. Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement que l'autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses projets aux circonstances " En effet, dit-il aux trois offensés, ce n'est pas de moi, mais de vos infidÚles MaÃtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre l'occasion. Déjà je ressens, comme vous-mÃÂȘmes, une injure que bien tÎt je partagerai car si chacun de vous n'a pu parvenir à en fixer une seule, puis-je espérer de les fixer toutes trois? Votre querelle devient la mienne. Acceptez pour ce soir un souper dans ma petite maison, et j'espÚre ne pas différer plus long temps votre vengeance. " On voulut le faire expliquer mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance l'autorisait à prendre " Messieurs, répondit-il, je crois vous avoir prouvé que j'avais quelque esprit de conduite; reposez-vous sur moi. " Tous consentirent; et aprÚs avoir embrassé leur nouvel ami, ils se séparÚrent jusqu'au soir, en attendant l'effet de ses promesses. Celui-ci, sans perdre de temps, retourne à Paris, et va, suivant l'usage, visiter ses nouvelles conquÃÂȘtes. Il obtint de toutes trois qu'elles viendraient le soir mÃÂȘme souper en tÃÂȘte-à -tÃÂȘte à sa petite maison. Deux d'entre elles firent bien quelques difficultés, mais que reste-t-il à refuser le lendemain? Il donna le rendez-vous à une heure de distance, temps nécessaire à ses projets. AprÚs ces préparatifs, il se retira, fit avertir les trois autres conjurés, et tous quatre allÚrent gaiement attendre leurs victimes. On entend arriver la premiÚre. Prévan se présente seul, la reçoit avec l'air de l'empressement, la conduit jusque dans le sanctuaire dont elle se croyait la Divinité; puis, disparaissant sur un léger prétexte, il se fait remplacer aussitÎt par l'Amant outragé. Vous jugez que la confusion d'une femme qui n'a point encore l'usage des aventures rendait, en ce moment, le triomphe bien facile tout reproche qui ne fut pas fait fut compté pour une grùce; et l'esclave fugitive, livrée de nouveau à son ancien maÃtre, fut trop heureuse de pouvoir espérer son pardon, en reprenant sa premiÚre chaÃne. Le traité de paix se ratifia dans un lieu plus solitaire, et la scÚne, restée vide, fut alternativement remplie par les autres Acteurs, à peu prÚs de la mÃÂȘme maniÚre, et surtout avec le mÃÂȘme dénouement. Chacune des femmes pourtant se croyait encore seule en jeu. Leur étonnement et leur embarras augmentÚrent, quand, au moment du souper, les trois couples se réunirent; mais la confusion fut au comble, quand Prévan, qui reparut au milieu de tous, eut la cruauté de faire aux trois infidÚles des excuses, qui, en livrant leur secret, leur apprenaient entiÚrement jusqu'à quel point elles avaient été jouées. Cependant on se mit à table, et peu aprÚs la contenance revint les hommes se livrÚrent, les femmes se soumirent. Tous avaient la haine dans le cÅ“ur; mais les propos n'en étaient pas moins tendres la gaieté éveilla le désir, qui, à son tour, lui prÃÂȘta de nouveaux charmes. Cette étonnante orgie dura jusqu'au matin; et quand on se sépara, les femmes durent se croire pardonnées mais les hommes, qui avaient conservé leur ressentiment, firent dÚs le lendemain une rupture qui n'eut point de retour; et non contents de quitter leurs légÚres MaÃtresses, ils achevÚrent leur vengeance, en publiant leur aventure. Depuis ce temps, une d'elles est au Couvent, et les deux autres languissent exilées dans leurs Terres. Voilà l'histoire de Prévan; c'est à vous de voir si vous voulez ajouter à sa gloire, et vous atteler à son char de triomphe. Votre Lettre m'a vraiment donné de l'inquiétude, et j'attends avec impatience une réponse plus sage et plus claire à la derniÚre que je vous ai écrite. Adieu, ma belle amie, méfiez-vous des idées plaisantes ou bizarres qui vous séduisent toujours trop facilement. Songez que, dans la carriÚre que vous courez, l'esprit ne suffit pas, qu'une seule imprudence y devient un mal sans remÚde. Souffrez enfin que la prudente amitié soit quelquefois le guide de vos plaisirs. Adieu. Je vous aime pourtant comme si vous étiez raisonnable. De ..., ce 18 septembre 17** LETTRE LXXX LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES Cécile, ma chÚre Cécile, quand viendra le temps de nous revoir? qui m'apprendra à vivre loin de vous? qui m'en donnera la force et le courage? Jamais, non, jamais, je ne pourrai supporter cette fatale absence. Chaque jour ajoute à mon malheur et n'y point voir de terme! Valmont qui m'avait promis des secours, des consolations, Valmont me néglige, et peut-ÃÂȘtre m'oublie. Il est auprÚs de ce qu'il aime; il ne sait plus ce qu'on souffre quand on en est éloigné. En me faisant passer votre derniÚre Lettre, il ne m'a point écrit. C'est lui pourtant qui doit m'apprendre quand je pourrai vous voir et par quel moyen. N'a-t-il donc rien à me dire? Vous-mÃÂȘme, vous ne m'en parlez pas, serait-ce que vous n'en partagez plus le désir? Ah! Cécile, Cécile, je suis bien malheureux. Je vous aime plus que jamais mais cet amour, qui fait le charme de ma vie, en devient le tourment. Non, je ne peux plus vivre ainsi, il faut que je vous voie, il le faut, ne fût-ce qu'un moment. Quand je me lÚve, je me dis; " Je ne la verrai pas. " Je me couche en disant " Je ne l'ai point vue. " Les journées si longues n'ont pas un moment pour le bonheur. Tout est privation, tout est regret, tout est désespoir; et tous ces maux me viennent d'oÃÂč j'attendais tous mes plaisirs! Ajoutez à ces peines mortelles mon inquiétude sur les vÎtres, et vous aurez une idée de ma situation. Je pense à vous sans cesse, et n'y pense jamais sans trouble. Si je vous vois affligée, malheureuse, je souffre de tous vos chagrins; si je vous vois tranquille et consolée, ce sont les miens qui redoublent. Partout je trouve le malheur. Ah! qu'il n'en était pas ainsi, quand vous habitiez les mÃÂȘmes lieux que moi! Tout alors était plaisir. La certitude de vous voir embellissait mÃÂȘme les moments de l'absence; le temps qu'il fallait passer loin de vous m'approchait de vous en s'écoulant. L'emploi que j'en faisais ne vous était jamais étranger. Si je remplissais des devoirs, ils me rendaient plus digne de vous; si je cultivais quelque talent, j'espérais vous plaire davantage. Lors mÃÂȘme que les distractions du monde m'emportaient loin de vous, je n'en étais point séparé. Au Spectacle, je cherchais à deviner ce qui vous aurait plu; un concert me rappelait vos talents et nos si douces occupations. Dans le cercle, comme aux promenades, je saisissais la plus légÚre ressemblance. Je vous comparais à tout; partout vous aviez l'avantage. Chaque moment du jour était marqué par un hommage nouveau, et chaque soir j'en apportais le tribut à vos pieds. A présent, que me reste-t-il? des regrets douloureux, des privations éternelles, et un léger espoir que le silence de Valmont diminue, que le vÎtre change en inquiétude. Dix lieues seulement nous séparent, et cet espace si facile à franchir devient pour moi seul un obstacle insurmontable! et quand, pour m'aider à le vaincre, j'implore mon ami, ma MaÃtresse, tous deux restent froids et tranquilles! Loin de me secourir, ils ne me répondent mÃÂȘme pas. Qu'est donc devenue l'amitié active de Valmont? que sont devenus, surtout, vos sentiments si tendres, et qui vous rendaient si ingénieuse pour trouver les moyens de nous voir tous les jours? Quelquefois, je m'en souviens, sans cesser d'en avoir le désir, je me trouvais forcé de le sacrifier à des considérations, à des devoirs; que ne me disiez-vous pas alors? par combien de prétextes ne combattiez-vous pas mes raisons! Et qu'il vous en souvienne, ma Cécile, toujours mes raisons cédaient à vos désirs. Je ne m'en fais point un mérite! je n'avais pas mÃÂȘme celui du sacrifice. Ce que vous désiriez d'obtenir, je brûlais de l'accorder. Mais enfin je demande à mon tour et quelle est cette demande? de vous voir un moment, de vous renouveler et de recevoir le serment d'un amour éternel. N'est-ce donc plus votre bonheur comme le mien? Je repousse cette idée désespérante, qui mettrait le comble à mes maux. Vous m'aimez, vous m'aimerez toujours; je le crois, j'en suis sûr, je ne veux jamais en douter mais ma situation est affreuse et je ne puis la soutenir plus longtemps. Adieu, Cécile. Paris, ce 18 septembre 17** LETTRE LXXXI LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Que vos craintes me causent de pitié! Combien elles me prouvent ma supériorité sur vous! et vous voulez m'enseigner, me conduire? Ah! mon pauvre Valmont, quelle distance il y a encore de vous à moi! Non, tout l'orgueil de votre sexe ne suffirait pas pour remplir l'intervalle qui nous sépare. Parce que vous ne pourriez exécuter mes projets, vous les jugez impossibles! Etre orgueilleux et faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens et juger de mes ressources! Au vrai, Vicomte, vos conseils m'ont donné de l'humeur, et je ne puis vous le cacher. Que pour masquer votre incroyable gaucherie auprÚs de votre Présidente, vous m'étaliez comme un triomphe d'avoir déconcerté un moment cette femme timide et qui vous aime, j'y consens; d'en avoir obtenu un regard, un seul regard, je souris et vous le passe. Que sentant, malgré vous, le peu de valeur de votre conduite, vous espériez la dérober à mon attention, en me flattant de l'effort sublime de rapprocher deux enfants qui, tous deux, brûlent de se voir, et qui, soit dit en passant, doivent à moi seule l'ardeur de ce désir, je le veux bien encore. Qu'enfin vous vous autorisiez de ces actions d'éclat, pour me dire d'un ton doctoral qu'il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu'à les raconter ; cette vanité ne me nuit pas, et je la pardonne. Mais que vous puissiez croire que j'aie besoin de votre prudence, que je m'égarerais en ne déférant pas à vos avis, que je dois leur sacrifier un plaisir, une fantaisie en vérité, Vicomte, c'est aussi vous trop enorgueillir de la confiance que je veux bien avoir en vous! Et qu'avez-vous donc fait que je n'aie surpassé mille fois? Vous avez séduit, perdu mÃÂȘme beaucoup de femmes mais quelles difficultés avez-vous eues à vaincre? quels obstacles à surmonter? oÃÂč est le mérite qui soit véritablement à vous? Une belle figure, pur effet du hasard; des grùces, que l'usage donne presque toujours, de l'esprit à la vérité, mais auquel du jargon suppléerait au besoin; une impudence assez louable, mais peut-ÃÂȘtre uniquement due à la facilité de vos premiers succÚs; si je ne me trompe, voilà tous vos moyens car, pour la célébrité que vous avez pu acquérir, vous n'exigerez pas, je crois, que je compte pour beaucoup l'art de faire naÃtre ou de saisir l'occasion d'un scandale. Quant à la prudence, à la finesse, je ne parle pas de moi mais quelle femme n'en aurait pas plus que vous? Eh! votre Présidente vous mÚne comme un enfant. Croyez-moi, Vicomte, on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. Pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succÚs de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous accorderais autant de talents qu'à nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité oÃÂč nous sommes d'en faire un continuel usage! Supposons, j'y consens, que vous mettiez autant d'adresse à nous vaincre, que nous à nous défendre ou à céder, vous conviendrez au moins qu'elle vous devient inutile aprÚs le succÚs. Uniquement occupé de votre nouveau goût, vous vous y livrez sans crainte, sans réserve ce n'est pas à vous que sa durée importe. En effet, ces liens réciproquement donnés et reçus, pour parler le jargon de l'amour, vous seul pouvez, à votre choix, les resserrer ou les rompre heureuses encore, si dans votre légÚreté, préférant le mystÚre à l'éclat, vous vous contentez d'un abandon humiliant, et ne faites pas de l'idole de la veille la victime du lendemain. Mais qu'une femme infortunée sente la premiÚre le poids de sa chaÃne, quels risques n'a-t-elle pas à courir, si elle tente de s'y soustraire, si elle ose seulement la soulever? Ce n'est qu'en tremblant qu'elle essaie d'éloigner d'elle l'homme que son cÅ“ur repousse avec effort. S'obstine-t-il à rester, ce qu'elle accordait à l'amour, il faut le livrer à la crainte Ses bras s'ouvrent encor, quand son cÅ“ur est fermé. Sa prudence doit dénouer avec adresse ces mÃÂȘmes liens que vous auriez rompus. A la merci de son ennemi, elle est sans ressource, s'il est sans générosité et comment en espérer de lui, lorsque, si quelquefois on le loue d'en avoir, jamais pourtant on ne le blùme d'en manquer? Sans doute, vous ne nierez pas ces vérités que leur évidence a rendues triviales. Si cependant vous m'avez vue, disposant des événements et des opinions, faire de ces hommes si redoutables le jouet de mes caprices ou de mes fantaisies; Îter aux uns la volonté, aux autres la puissance de me nuire; si j'ai su tour à tour, et suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi Ces Tyrans détrÎnés devenus mes esclaves [On ne sait si ce vers, ainsi que celui qui se trouve plus haut, Ses bras s'ouvrent encor, quand son cÅ“ur est fermé , sont des citations d'Ouvrages peu connus; ou s'ils font partie de la prose de Madame de Merteuil. Ce qui le ferait croire, c'est la multitude de fautes de ce genre qui se trouvent dans toutes les Lettres de cette correspondance. Celles du Chevalier Danceny sont les seules qui en soient exemptes peut-ÃÂȘtre que, comme il s'occupait quelquefois de Poésie, son oreille plus exercée lui faisait éviter plus facilement ce défaut.] si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s'est pourtant conservée pure; n'avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maÃtriser le vÎtre, j'avais su me créer des moyens inconnus jusqu'à moi? Ah! gardez vos conseils et vos craintes pour ces femmes à délire, et qui se disent à sentiment; dont l'imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tÃÂȘte; qui, n'ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l'amour et l'Amant; qui, dans leur folle illusion, croient que celui-là seul avec qui elles ont cherché le plaisir en est l'unique dépositaire; et vraies superstitieuses, ont pour le PrÃÂȘtre le respect et la foi qui n'est dû qu'à la Divinité. Craignez encore pour celles qui, plus vaines que prudentes, ne savent pas au besoin consentir à se faire quitter. Tremblez surtout pour ces femmes actives dans leur oisiveté, que vous nommez sensibles, et dont l'amour s'empare si facilement et avec tant de puissance; qui sentent le besoin de s'en occuper encore, mÃÂȘme lorsqu'elles n'en jouissent pas; et s'abandonnant sans réserve à la fermentation de leurs idées, enfantent par elles ces Lettres si douces, mais si dangereuses à écrire; et ne craignent pas de confier ces preuves de leur faiblesse à l'objet qui les cause imprudentes, qui, dans leur Amant actuel, ne savent pas voir leur ennemi futur. Mais moi, qu'ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées? quand m'avez-vous vue m'écarter des rÚgles que je me suis prescrites, et manquer à mes principes? je dis mes principes, et je le dis à dessein car ils ne sont pas comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen et suivis par habitude, ils sont le fruit de mes profondes réflexions; je les ai créés, et je puis dire que je suis mon ouvrage. Entrée dans le monde dans le temps oÃÂč, fille encore, j'étais vouée par état au silence et à l'inaction, j'ai su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu'on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu'on s'empressait à me tenir, je recueillais avec soin ceux qu'on cherchait à me cacher. Cette utile curiosité, en servant à m'instruire, m'apprit encore à dissimuler forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux de ceux qui m'entouraient, j'essayai de guider les miens à mon gré; j'obtins dÚs lors de prendre à volonté ce regard distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succÚs, je tùchai de régler de mÃÂȘme les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sérénité, mÃÂȘme celui de la joie; j'ai porté le zÚle jusqu'à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le mÃÂȘme soin et plus de peine, pour réprimer les symptÎmes d'une joie inattendue. C'est ainsi que j'ai su prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné. J'étais bien jeune encore, et presque sans intérÃÂȘt mais je n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais qu'on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premiÚres armes, j'en essayai l'usage non contente de ne plus me laisser pénétrer, je m'amusais à me montrer sous des formes différentes; sûre de mes gestes, j'observais mes discours; je réglai les uns et les autres, suivant les circonstances, ou mÃÂȘme seulement suivant mes fantaisies dÚs ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai plus que celle qu'il m'était utile de laisser voir. Ce travail sur moi-mÃÂȘme avait fixé mon attention sur l'expression des figures et le caractÚre des physionomies; et j'y gagnai ce coup d'oeil pénétrant, auquel l'expérience m'a pourtant appris à ne pas me fier entiÚrement; mais qui, en tout, m'a rarement trompée. Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos Politiques doivent leur réputation, et je ne me trouvais encore qu'aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir. Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l'amour et ses plaisirs mais n'ayant jamais été au Couvent, n'ayant point de bonne amie, et surveillée par une mÚre vigilante, je n'avais que des idées vagues et que je ne pouvais fixer; la nature mÃÂȘme, dont assurément je n'ai eu qu'à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu'elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage. Ma tÃÂȘte seule fermentait; je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir; le désir de m'instruire m'en suggéra les moyens. Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet, sans me compromettre, était mon Confesseur. AussitÎt je pris mon parti; je surmontai ma petite honte; et me vantant d'une faute que je n'avais pas commise, je m'accusai d'avoir fait tout ce que font les femmes . Ce fut mon expression; mais en parlant ainsi je ne savais en vérité quelle idée j'exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entiÚrement rempli, la crainte de me trahir m'empÃÂȘchait de m'éclairer mais le bon PÚre me fit le mal si grand que j'en conclus que le plaisir devait ÃÂȘtre extrÃÂȘme; et au désir de le connaÃtre succéda celui de le goûter. Je ne sais oÃÂč ce désir m'aurait conduite; et alors dénuée d'expérience, peut- ÃÂȘtre une seule occasion m'eût perdue heureusement pour moi, ma mÚre m'annonça peu de jours aprÚs que j'allais me marier; sur-le-champ la certitude de savoir éteignit ma curiosité, et j'arrivai vierge entre les bras de M. de Merteuil. J'attendais avec sécurité le moment qui devait m'instruire, et j'eus besoin de réflexion pour montrer de l'embarras et de la crainte. Cette premiÚre nuit, dont on se fait pour l'ordinaire une idée si cruelle ou si douce ne me présentait qu'une occasion d'expérience douleur et plaisir, j'observai tout exactement, et ne voyais dans ces diverses sensations que des faits à recueillir et à méditer. Ce genre d'étude parvint bientÎt à me plaire mais fidÚle à mes principes, et sentant peut-ÃÂȘtre par instinct, que nul ne devait ÃÂȘtre plus loin de ma confiance que mon mari, je résolus, par cela seul que j'étais sensible, de me montrer impassible à ses yeux. Cette froideur apparente fut par la suite le fondement inébranlable de son aveugle confiance j'y joignis, par une seconde réflexion, l'air d'étourderie qu'autorisait mon ùge; et jamais il ne me jugea plus enfant que dans les moments oÃÂč je le jouais avec plus d'audace. Cependant, je l'avouerai, je me laissai d'abord entraÃner par le tourbillon du monde, et je me livrai tout entiÚre à ses distractions futiles. Mais au bout de quelques mois, M. de Merteuil m'ayant menée à sa triste campagne, la crainte de l'ennui fit revenir le goût de l'étude; et ne m'y trouvant entourée que de gens dont la distance avec moi me mettait à l'abri de tout soupçon, j'en profitai pour donner un champ plus vaste à mes expériences. Ce fut là , surtout, que je m'assurai que l'amour que l'on nous vante comme la cause de nos plaisirs n'en est au plus que le prétexte. La maladie de M. de Merteuil vint interrompre de si douces occupations; il fallut le suivre à la Ville, oÃÂč il venait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps aprÚs; et quoique à tout prendre, je n'eusse pas à me plaindre de lui, je n'en sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu'allait me donner mon veuvage, et je me promis bien d'en profiter. Ma mÚre comptait que j'entrerais au Couvent, ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l'un et l'autre parti; et tout ce que j'accordai à la décence fut de retourner dans cette mÃÂȘme campagne oÃÂč il me restait bien encore quelques observations à faire. Je les fortifiai par le secours de la lecture mais ne croyez pas qu'elle fût toute du genre que vous la supposez. J'étudiai nos mÅ“urs dans les Romans; nos opinions dans les Philosophes; je cherchai mÃÂȘme dans les Moralistes les plus sévÚres ce qu'ils exigeaient de nous, et je m'assurai ainsi de ce qu'on pouvait faire, de ce qu'on devait penser et de ce qu'il fallait paraÃtre. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution; j'espérai les vaincre et j'en méditai les moyens. Je commençais à m'ennuyer de mes plaisirs rustiques, trop peu variés pour ma tÃÂȘte active; je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l'amour; non pour le ressentir à la vérité, mais pour l'inspirer et le feindre. En vain m'avait-on dit et avais-je lu qu'on ne pouvait feindre ce sentiment, je voyais pourtant que, pour y parvenir, il suffisait de joindre à l'esprit d'un Auteur le talent d'un Comédien. Je m'exerçai dans les deux genres, et peut- ÃÂȘtre avec quelque succÚs mais au lieu de rechercher les vains applaudissements du Théùtre, je résolus d'employer à mon bonheur ce que tant d'autres sacrifiaient à la vanité. Un an se passa dans ces occupations différentes. Mon deuil me permettant alors de reparaÃtre, je revins à la Ville avec mes grands projets; je ne m'attendais pas au premier obstacle que j'y rencontrai. Cette longue solitude, cette austÚre retraite avaient jeté sur moi un vernis de pruderie qui effrayait nos plus agréables; ils se tenaient à l'écart, et me laissaient livrée à une foule d'ennuyeux, qui tous prétendaient à ma main. L'embarras n'était pas de les refuser; mais plusieurs de ces refus déplaisaient à ma famille, et je perdais dans ces tracasseries intérieures le temps dont je m'étais promis un si charmant usage. Je fus donc obligée, pour rappeler les uns et éloigner les autres, d'afficher quelques inconséquences, et d'employer à nuire à ma réputation le soin que je comptais mettre à la conserver. Je réussis facilement, comme vous pouvez croire. Mais n'étant emportée par aucune passion, je ne fis que ce que je jugeai nécessaire et mesurai avec prudence les doses de mon étourderie. DÚs que j'eus touché le but que je voulais atteindre, je revins sur mes pas, et fis honneur de mon amendement à quelques-unes de ces femmes qui, dans l'impuissance d'avoir des prétentions à l'agrément, se rejettent sur celles du mérite et de la vertu. Ce fut un coup de partie qui me valut plus que je n'avais espéré. Ces reconnaissantes DuÚgnes s'établirent mes apologistes; et leur zÚle aveugle pour ce qu'elles appelaient leur ouvrage fut porté au point qu'au moindre propos qu'on se permettait sur moi, tout le parti Prude criait au scandale et à l'injure. Le mÃÂȘme moyen me valut encore le suffrage de nos femmes à prétentions, qui, persuadées que je renonçais à courir la mÃÂȘme carriÚre qu'elles, me choisirent pour l'objet de leurs éloges, toutes les fois qu'elles voulaient prouver qu'elles ne médisaient pas de tout le monde. Cependant ma conduite précédente avait ramené les Amants; et pour me ménager entre eux et mes fidÚles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, à qui l'excÚs de sa délicatesse fournissait des armes contre l'amour. Alors je commençai à déployer sur le grand Théùtre les talents que je m'étais donnés. Mon premier soin fut d'acquérir le renom d'invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j'eus l'air d'accepter les hommages. Je les employais utilement à me procurer les honneurs de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l'Amant préféré. Mais, celui-là , ma feinte timidité ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde; et les regards du cercle ont été, ainsi, toujours fixés sur l'Amant malheureux. Vous savez combien je me décide vite c'est pour avoir observé que ce sont presque toujours les soins antérieurs qui livrent le secret des femmes. Quoi qu'on puisse faire, le ton n'est jamais le mÃÂȘme, avant ou aprÚs le succÚs. Cette différence n'échappe point à l'observateur attentif et j'ai trouvé moins dangereux de me tromper dans le choix, que de le laisser pénétrer. Je gagne encore par là d'Îter les vraisemblances, sur lesquelles seules on peut nous juger. Ces précautions et celle de ne jamais écrire, de ne livrer jamais aucune preuve de ma défaite, pouvaient paraÃtre excessives, et ne m'ont jamais paru suffisantes. Descendue dans mon cÅ“ur, j'y ai étudié celui des autres. J'y ai vu qu'il n'est personne qui n'y conserve un secret qu'il lui importe qui ne soit point dévoilé vérité que l'Antiquité paraÃt avoir mieux connue que nous, et dont l'histoire de Samson pourrait n'ÃÂȘtre qu'un ingénieux emblÚme. Nouvelle Dalila, j'ai toujours, comme elle, employé ma puissance à surprendre ce secret important. Hé! de combien de nos Samsons modernes, ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau! et ceux-là , j'ai cessé de les craindre; ce sont les seuls que je me sois permis d'humilier quelquefois. Plus souple avec les autres, l'art de les rendre infidÚles pour éviter de leur paraÃtre volage, une feinte amitié, une apparente confiance, quelques procédés généreux, l'idée flatteuse et que chacun conserve d'avoir été mon seul Amant, m'ont obtenu leur discrétion. Enfin, quand ces moyens m'ont manqué, j'ai su, prévoyant mes ruptures, étouffer d'avance, sous le ridicule ou la calomnie, la confiance que ces hommes dangereux auraient pu obtenir. Ce que je vous dis là , vous me le voyez pratiquer sans cesse; et vous doutez de ma prudence! Hé bien! rappelez-vous le temps oÃÂč vous me rendÃtes vos premiers soins jamais hommage ne me flatta autant; je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation, il me semblait que vous manquiez à ma gloire; je brûlais de vous combattre corps à corps. C'est le seul de mes goûts qui ait jamais pris un moment d'empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre; quels moyens eussiez-vous trouvés? de vains discours qui ne laissent aucune trace aprÚs eux, que votre réputation mÃÂȘme eût aidé à rendre suspects, et une suite de faits sans vraisemblance, dont le récit sincÚre aurait eu l'air d'un Roman mal tissu. A la vérité, je vous ai depuis livré tous mes secrets mais vous savez quels intérÃÂȘts nous unissent, et si de nous deux, c'est moi qu'on doit taxer d'imprudence. [On saura dans la suite, Lettre CLII, non pas le secret de M. de Valmont à peu prÚs de quel genre il était; et le Lecteur sentira qu'on n'a pas pu l'éclaircir davantage sur cet objet] Puisque je suis en train de vous rendre compte, je veux le faire exactement. Je vous entends d'ici me dire que je suis au moins à la merci de ma Femme de chambre; en effet, si elle n'a pas le secret de mes sentiments, elle a celui de mes actions. Quand vous m'en parlùtes jadis, je vous répondis seulement que j'étais sûre d'elle; et la preuve que cette réponse suffit alors à votre tranquillité, c'est que vous lui avez confié depuis, et pour votre compte, des secrets assez dangereux. Mais à présent que Prévan vous donne de l'ombrage, et que la tÃÂȘte vous en tourne, je me doute bien que vous ne me croyez plus sur parole. Il faut donc vous édifier. PremiÚrement, cette fille est ma sÅ“ur de lait, et ce lien qui ne nous en paraÃt pas un, n'est pas sans force pour les gens de cet état de plus, j'ai son secret, et mieux encore; victime d'une folie de l'amour, elle était perdue si je ne l'eusse sauvée. Ses parents, tout hérissés d'honneur, ne voulaient pas moins que la faire enfermer. Ils s'adressÚrent à moi. Je vis, d'un coup d'oeil, combien leur courroux pouvait m'ÃÂȘtre utile. Je le secondai, et sollicitai l'ordre, que j'obtins. Puis passant tout à coup au parti de la clémence auquel j'amenai ses parents, et profitant de mon crédit auprÚs du vieux Ministre, je les fis tous consentir à me laisser dépositaire de cet ordre, et maÃtresse d'en arrÃÂȘter ou demander l'exécution, suivant que je jugerais du mérite de la conduite future de cette fille. Elle sait donc que j'ai son sort entre les mains, et quand, par impossible, ces moyens puissants ne l'arrÃÂȘteraient point, n'est-il pas évident que sa conduite dévoilée et sa punition authentique Îteraient bientÎt toute créance à ses discours? A ces précautions que j'appelle fondamentales, s'en joignent mille autres, ou locales ou d'occasion, que la réflexion et l'habitude font trouver au besoin; dont le détail serait minutieux, mais dont la pratique est importante, et qu'il faut vous donner la peine de recueillir dans l'ensemble de ma conduite, si vous voulez parvenir à les connaÃtre. Mais de prétendre que je me sois donné tant de soins pour n'en pas retirer de fruits; qu'aprÚs m'ÃÂȘtre autant élevée au-dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l'imprudence et la timidité; que surtout je pusse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite? Non, Vicomte; jamais. Il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l'avoir et je l'aurai; il veut le dire, et il ne le dira pas en deux mots, voilà notre Roman. Adieu. De ..., ce 20 septembre 17** LETTRE LXXXII CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Mon Dieu, que votre Lettre m'a fait de peine! J'avais bien besoin d'avoir tant d'impatience de la recevoir! J'espérais y trouver de la consolation, et voilà que je suis plus affligée qu'avant de l'avoir reçue. J'ai bien pleuré en la lisant ce n'est pas cela que je vous reproche; j'ai déjà bien pleuré des fois à cause de vous, sans que ça me fasse de la peine. Mais cette fois-ci, ce n'est pas la mÃÂȘme chose. Qu'est-ce donc que vous voulez dire, que votre amour devient un tourment pour vous, que vous ne pouvez plus vivre ainsi, ni soutenir plus longtemps votre situation? Est-ce que vous allez cesser de m'aimer, parce que cela n'est pas si agréable qu'autrefois? Il me semble que je ne suis pas plus heureuse que vous, bien au contraire; et pourtant je ne vous aime que davantage. Si M. de Valmont ne vous a pas écrit, ce n'est pas ma faute; je n'ai pas pu l'en prier, parce que je n'ai pas été seule avec lui, et que nous sommes convenus que nous ne nous parlerions jamais devant le monde et ça, c'est encore pour vous; afin qu'il puisse faire le plus tÎt ce que vous désirez. Je ne dis pas que je ne le désire pas aussi, et vous devez en ÃÂȘtre bien sûr mais comment voulez- vous que je fasse? Si vous croyez que c'est facile, trouvez donc le moyen, je ne demande pas mieux. Croyez-vous qu'il me soit bien agréable d'ÃÂȘtre grondée tous les jours par Maman, elle qui auparavant ne me disait jamais rien, bien au contraire? A présent, c'est pis que si j'étais au Couvent. Je m'en consolais pourtant en songeant que c'était pour vous; il y avait mÃÂȘme des moments oÃÂč je trouvais que j'en étais bien aise; mais quand je vois que vous ÃÂȘtes fùché aussi, et ça sans qu'il y ait du tout de ma faute, je deviens plus chagrine que pour tout ce qui vient de m'arriver jusqu'ici. Rien que pour recevoir vos Lettres, c'est un embarras, que si M. de Valmont n'était pas aussi complaisant et aussi adroit qu'il l'est, je ne saurais comment faire; et pour vous écrire, c'est plus difficile encore. De toute la matinée, je n'ose pas, parce que Maman est tout prÚs de moi, et qu'elle vient à tout moment dans ma chambre. Quelquefois je le peux l'aprÚs-midi; sous prétexte de chanter ou de jouer de la harpe; encore faut-il que j'interrompe à chaque ligne pour qu'on entende que j'étudie. Heureusement ma Femme de chambre s'endort quelquefois le soir, et je lui dis que je me coucherai bien toute seule, afin qu'elle s'en aille et me laisse de la lumiÚre. Et puis, il faut que je me mette sous mon rideau, pour qu'on ne puisse pas voir de clarté, et puis que j'écoute au moindre bruit pour pouvoir tout cacher dans mon lit, si on venait. Je voudrais que vous y fussiez, pour voir! Vous verriez bien qu'il faut bien aimer pour faire ça. Enfin, il est bien vrai que je fais tout ce que je peux, et que je voudrais en pouvoir faire davantage. Assurément, je ne refuse pas de vous dire que je vous aime et que je vous aimerai toujours; jamais je ne l'ai dit de meilleur cÅ“ur; et vous ÃÂȘtes fùché! Vous m'aviez pourtant bien assuré, avant que je vous l'eusse dit, que cela suffisait pour vous rendre heureux. Vous ne pouvez pas le nier c'est dans vos Lettres. Quoique je ne les aie plus, je m'en souviens comme quand je les lisais tous les jours. Et parce que nous voilà absents, vous ne pensez plus de mÃÂȘme! Mais cette absence ne durera pas toujours, peut-ÃÂȘtre? Mon Dieu, que je suis malheureuse! et c'est bien vous qui en ÃÂȘtes cause! A propos de vos Lettres, j'espÚre que vous avez gardé celles que Maman m'a prises, et qu'elle vous a renvoyées; il faudra bien qu'il vienne un temps oÃÂč je ne serai plus si gÃÂȘnée qu'à présent, et vous me les rendrez toutes. Comme je serai heureuse, quand je pourrai les garder toujours, sans que personne ait rien à y voir! A présent, je les remets à M. de Valmont, parce qu'il y aurait trop à risquer autrement malgré cela je ne lui en rends jamais, que cela ne me fasse bien de la peine. Adieu, mon cher ami. Je vous aime de tout mon cÅ“ur. Je vous aimerai toute ma vie. J'espÚre qu'à présent vous n'ÃÂȘtes plus fùché; et si j'en étais sûre, je ne le serais plus moi-mÃÂȘme. Ecrivez-moi le plus tÎt que vous pourrez, car je sens que jusque-là je serai toujours triste. Du Chùteau de ce 21 septembre 17** LETTRE LXXXIII LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL De grùce, Madame, renouons cet entretien si malheureusement rompu! Que je puisse achever de vous prouver combien je diffÚre de l'odieux portrait qu'on vous avait fait de moi; que je puisse, surtout, jouir encore de cette aimable confiance que vous commenciez à me témoigner! Que de charmes vous savez prÃÂȘter à la vertu! comme vous embellissez et faites chérir tous les sentiments honnÃÂȘtes! Ah! c'est là votre séduction; c'est la plus forte; c'est la seule qui soit, à la fois, puissante et respectable. Sans doute il suffit de vous voir, pour désirer de vous plaire; de vous entendre dans le cercle, pour que ce désir augmente. Mais celui qui a le bonheur de vous connaÃtre davantage, qui peut quelquefois lire dans votre ùme, cÚde bientÎt à un plus noble enthousiasme, et pénétré de vénération comme d'amour, adore en vous l'image de toutes les vertus. Plus fait qu'un autre, peut-ÃÂȘtre, pour les aimer et les suivre, entraÃné par quelques erreurs qui m'avaient éloigné d'elles, c'est vous qui m'en avez rapproché, qui m'en avez de nouveau fait sentir tout le charme me ferez-vous un crime de ce nouvel amour? blùmerez-vous votre ouvrage? Vous reprocheriez-vous mÃÂȘme l'intérÃÂȘt que vous pourriez y prendre? Quel mal peut-on craindre d'un sentiment si pur, et quelles douceurs n'y aurait-il pas à le goûter? Mon amour vous effraie, vous le trouvez violent, effréné? Tempérez-le par un amour plus doux; ne refusez pas l'empire que je vous offre, auquel je jure de ne jamais me soustraire, et qui, j'ose le croire, ne serait pas entiÚrement perdu pour la vertu. Quel sacrifice pourrait me paraÃtre pénible, sûr que votre cÅ“ur m'en garderait le prix? Quel est donc l'homme assez malheureux pour ne pas savoir jouir des privations qu'il s'impose; pour ne pas préférer un mot, un regard accordés, à toutes les jouissances qu'il pourrait ravir ou surprendre! et vous avez cru que j'étais cet homme-là ! et vous m'avez craint! Ah! pourquoi votre bonheur ne dépend-il pas de moi? comme je me vengerais de vous, en vous rendant heureuse! Mais ce doux empire, la stérile amitié ne le produit pas; il n'est dû qu'à l'amour. Ce mot vous intimide! et pourquoi? un attachement plus tendre, une union plus forte, une seule pensée; le mÃÂȘme bonheur comme les mÃÂȘmes peines, qu'y a-t-il donc là d'étranger à votre ùme? Tel est pourtant l'amour! tel est au moins celui que vous inspirez et que je ressens! C'est lui surtout, qui, calculant sans intérÃÂȘt, sait apprécier les actions sur leur mérite et non sur leur valeur; trésor inépuisable des ùmes sensibles, tout devient précieux, fait par lui ou pour lui. Ces vérités si faciles à saisir, si douces à pratiquer, qu'ont-elles donc d'effrayant? Quelles craintes peut aussi vous causer un homme sensible, à qui l'amour ne permet plus un autre bonheur que le vÎtre? C'est aujourd'hui l'unique vÅ“u que je forme je sacrifierai tout pour le remplir, excepté le sentiment qui l'inspire; et ce sentiment lui-mÃÂȘme, consentez à le partager, et vous le réglerez à votre choix. Mais ne souffrons plus qu'il nous divise, lorsqu'il devrait nous réunir. Si l'amitié que vous m'avez offerte n'est pas un vain mot; si, comme vous me le disiez hier, c'est le sentiment le plus doux que votre ùme connaisse; que ce soit elle qui stipule entre nous, je ne la récuserai point mais juge de l'amour, qu'elle consente à l'écouter; le refus de l'entendre deviendrait une injustice, et l'amitié n'est point injuste. Un second entretien n'aura pas plus d'inconvénients que le premier le hasard peut encore en fournir l'occasion; vous pourriez vous-mÃÂȘme en indiquer le moment. Je veux croire que j'ai tort; n'aimerez-vous pas mieux me ramener que me combattre, et doutez-vous de ma docilité? Si ce tiers importun ne fût pas venu nous interrompre, peut-ÃÂȘtre serais-je déjà entiÚrement revenu à votre avis; qui sait jusqu'oÃÂč peut aller votre pouvoir? Vous le dirai-je? cette puissance invincible, à laquelle je me livre sans oser la calculer, ce charme irrésistible, qui vous rend souveraine de mes pensées comme de mes actions, il m'arrive quelquefois de les craindre. Hélas! cet entretien que je vous demande, peut-ÃÂȘtre est-ce à moi à le redouter! peut-ÃÂȘtre aprÚs, enchaÃné par mes promesses, me verrai-je réduit à brûler d'un amour que je sens bien qui ne pourra s'éteindre, sans oser mÃÂȘme implorer votre secours! Ah! Madame, de grùce, n'abusez pas de votre empire! Mais quoi! si vous devez en ÃÂȘtre plus heureuse, si je dois vous en paraÃtre plus digne de vous, quelles peines ne sont pas adoucies par ces idées consolantes! Oui, je le sens; vous parler encore, c'est vous donner contre moi de plus fortes armes; c'est me soumettre plus entiÚrement à votre volonté. Il est plus aisé de se défendre contre vos Lettres; ce sont bien vos mÃÂȘmes discours, mais vous n'ÃÂȘtes pas là pour leur prÃÂȘter des forces. Cependant, le plaisir de vous entendre m'en fait braver le danger au moins aurai-je ce bonheur d'avoir tout fait pour vous, mÃÂȘme contre moi; et mes sacrifices deviendront un hommage. Trop heureux de vous prouver de mille maniÚres, comme je le sens de mille façons, que, sans m'en excepter, vous ÃÂȘtes, vous serez toujours l'objet le plus cher à mon cÅ“ur. Du Chùteau de ce 23 septembre 17** LETTRE LXXXIV LE VICOMTE DE VALMONT A CECILE VOLANGES Vous avez vu combien nous avons été contrariés hier. De toute la journée je n'ai pas pu vous remettre la Lettre que j'avais pour vous; j'ignore si j'y trouverai plus de facilité aujourd'hui. Je crains de vous compromettre, en y mettant plus de zÚle que d'adresse; et je ne me pardonnerais pas une imprudence qui vous deviendrait si fatale, et causerait le désespoir de mon ami, en vous rendant éternellement malheureuse. Cependant je connais les impatiences de l'amour; je sens combien il doit ÃÂȘtre pénible, dans votre situation, d'éprouver quelque retard à la seule consolation que vous puissiez goûter dans ce moment. A force de m'occuper des moyens d'écarter les obstacles, j'en ai trouvé un dont l'exécution sera aisée, si vous y mettez quelque soin. Je crois avoir remarqué que la clef de la porte de votre Chambre, qui donne sur le corridor, est toujours sur la cheminée de votre Maman. Tout deviendrait facile avec cette clef, vous devez bien le sentir; mais à son défaut, je vous en procurerai une semblable, et qui la suppléera. Il me suffira, pour y parvenir, d'avoir l'autre une heure ou deux à ma disposition. Vous devez trouver aisément l'occasion de la prendre, et pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'elle manque, j'en joins ici une à moi, qui est assez semblable, pour qu'on n'en voie pas la différence, à moins qu'on ne l'essaie; ce qu'on ne tentera pas. Il faudra seulement que vous ayez soin d'y mettre un ruban, bleu et passé, comme celui qui est à la vÎtre. Il faudrait tùcher d'avoir cette clef pour demain ou aprÚs-demain, à l'heure du déjeuner; parce qu'il vous sera plus facile de me la donner alors, et qu'elle pourra ÃÂȘtre remise à sa place pour le soir, temps oÃÂč votre Maman pourrait y faire plus d'attention. Je pourrai vous la rendre au moment du dÃner, si nous nous entendons bien. Vous savez que quand on passe du salon à la salle à manger, c'est toujours Madame de Rosemonde qui marche la derniÚre. Je lui donnerai la main. Vous n'aurez qu'à quitter votre métier de tapisserie lentement, ou bien laisser tomber quelque chose, de façon à rester en arriÚre vous saurez bien alors prendre la clef, que j'aurai soin de tenir derriÚre moi. Il ne faudra pas négliger, aussitÎt aprÚs l'avoir prise, de rejoindre ma vieille tante, et de lui faire quelques caresses. Si par hasard vous laissiez tomber cette clef, n'allez pas vous déconcerter; je feindrai que c'est moi, et je vous réponds de tout. Le peu de confiance que vous témoigne votre Maman et ses procédés si durs envers vous autorisent de reste cette petite supercherie. C'est au surplus le seul moyen de continuer à recevoir les Lettres de Danceny, et à lui faire passer les vÎtres; tout autre est réellement trop dangereux, et pourrait vous perdre tous deux sans ressource aussi ma prudente amitié se reprocherait-elle de les employer davantage. Une fois maÃtres de la clef, il nous restera quelques précautions à prendre contre le bruit de la porte et de la serrure mais elles sont bien faciles. Vous trouverez, sous la mÃÂȘme armoire oÃÂč j'avais mis votre papier, de l'huile et une plume. Vous allez quelquefois chez vous à des heures oÃÂč vous y ÃÂȘtes seule il faut en profiter pour huiler la serrure et les gonds. La seule attention à avoir, est de prendre garde aux taches qui déposeraient contre vous. Il faudra aussi attendre que la nuit soit venue, parce que, si cela se fait avec l'intelligence dont vous ÃÂȘtes capable, il n'y paraÃtra plus le lendemain matin. Si pourtant on s'en aperçoit, n'hésitez pas à dire que c'est le Frotteur du Chùteau. Il faudrait, dans ce cas, spécifier le temps, mÃÂȘme les discours qu'il vous aura tenus comme par exemple, qu'il prend ce soin contre la rouille, pour toutes les serrures dont on ne fait pas usage. Car vous sentez qu'il ne serait pas vraisemblable que vous eussiez été témoin de ce tracas sans en demander la cause. Ce sont ces petits détails qui donnent la vraisemblance, et la vraisemblance rend les mensonges sans conséquence, en Îtant le désir de les vérifier. AprÚs que vous aurez lu cette Lettre, je vous prie de la relire, et mÃÂȘme de vous en occuper d'abord, c'est qu'il faut bien savoir ce qu'on veut bien faire; ensuite, pour vous assurer que je n'ai rien omis. Peu accoutumé à employer la finesse pour mon compte, je n'en ai pas grand usage; il n'a pas mÃÂȘme fallu moins que ma vive amitié pour Danceny, et l'intérÃÂȘt que vous inspirez, pour me déterminer à me servir de ces moyens, quelque innocents qu'ils soient. Je hais tout ce qui a l'air de la tromperie; c'est là mon caractÚre. Mais vos malheurs m'ont touché au point que je tenterai tout pour les adoucir. Vous pensez bien que, cette communication une fois établie entre nous, il me sera bien plus facile de vous procurer, avec Danceny, l'entretien qu'il désire. Cependant ne lui parlez pas encore de tout ceci; vous ne feriez qu'augmenter son impatience, et le moment de la satisfaire n'est pas encore tout à fait venu. Vous lui devez, je crois, de la calmer plutÎt que de l'aigrir. Je m'en rapporte là - dessus à votre délicatesse. Adieu, ma belle pupille car vous ÃÂȘtes ma pupille. Aimez un peu votre tuteur, et surtout ayez avec lui de la docilité; vous vous en trouverez bien. Je m'occupe de votre bonheur, et soyez sûre que j'y trouverai le mien. De ..., ce 24 septembre 17** LETTRE LXXXV LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT Enfin vous serez tranquille et surtout vous me rendrez justice. Ecoutez, et ne me confondez plus avec les autres femmes. J'ai mis à fin mon aventure avec Prévan; à fin ! entendez-vous bien ce que cela veut dire? A présent vous allez juger qui de lui ou de moi pourra se vanter. Le récit ne sera pas si plaisant que l'action aussi ne serait-il pas juste que, tandis que vous n'avez fait que raisonner bien ou mal sur cette affaire, il vous en revÃnt autant de plaisir qu'à moi, qui y donnais mon temps et ma peine. Cependant, si vous avez quelque grand coup à faire, si vous devez tenter quelque entreprise oÃÂč ce Rival dangereux vous paraisse à craindre, arrivez. Il vous laisse le champ libre, au moins pour quelque temps; peut-ÃÂȘtre mÃÂȘme ne se relÚvera-t-il jamais du coup que je lui ai porté. Que vous ÃÂȘtes heureux de m'avoir pour amie! Je suis pour vous une Fée bienfaisante. Vous languissez loin de la Beauté qui vous engage; je dis un mot, et vous vous retrouvez auprÚs d'elle. Vous voulez vous venger d'une femme qui vous nuit; je vous marque l'endroit oÃÂč vous devez frapper et la livre à votre discrétion. Enfin, pour écarter de la lice un concurrent redoutable, c'est encore moi que vous invoquez, et je vous exauce. En vérité, si vous ne passez pas votre vie à me remercier, c'est que vous ÃÂȘtes un ingrat. Je reviens à mon aventure et la reprends d'origine. Le rendez-vous, donné si haut, à la sortie de l'Opéra [Voyez la Lettre LXXIV], fut entendu comme je l'avais espéré. Prévan s'y rendit; et quand la Maréchale lui dit obligeamment qu'elle se félicitait de le voir deux fois de suite à ses jours, il eut soin de répondre que depuis Mardi soir il avait défait mille arrangements, pour pouvoir ainsi disposer de cette soirée. A bon entendeur, salut! Comme je voulais pourtant savoir, avec plus de certitude, si j'étais ou non le véritable objet de cet empressement flatteur, je voulus forcer le soupirant nouveau de choisir entre moi et son goût dominant. Je déclarai que je ne jouerais point; en effet, il trouva, de son cÎté, mille prétextes pour ne pas jouer; et mon premier triomphe fut sur le lansquenet. Je m'emparai de l'EvÃÂȘque de ... pour ma conversation; je le choisis à cause de sa liaison avec le héros du jour, à qui je voulais donner toute facilité de m'aborder. J'étais bien aise aussi d'avoir un témoin respectable qui pût, au besoin, déposer de ma conduite et de mes discours. Cet arrangement réussit. AprÚs les propos vagues et d'usage, Prévan, s'étant bientÎt rendu maÃtre de la conversation, prit tour à tour différents tons, pour essayer celui qui pourrait me plaire. Je refusai celui du sentiment, comme n'y croyant pas; j'arrÃÂȘtai par mon sérieux sa gaieté qui me parut trop légÚre pour un début; il se rabattit sur la délicate amitié; et ce fut sous ce drapeau banal que nous commençùmes notre attaque réciproque. Au moment du souper, l'EvÃÂȘque, ne descendait pas; Prévan me donna donc la main, et se trouva naturellement placé à table à cÎté de moi. Il faut ÃÂȘtre juste; il soutint avec beaucoup d'adresse notre conversation particuliÚre, en ne paraissant s'occuper que de la conversation générale, dont il eut l'air de faire tous les frais. Au dessert, on parla d'une PiÚce nouvelle qu'on devait donner le Lundi suivant aux Français. Je témoignai quelques regrets de n'avoir pas ma loge; il m'offrit la sienne que je refusai d'abord, comme cela se pratique à quoi il répondit assez plaisamment que je ne l'entendais pas, qu'à coup sûr il ne ferait pas le sacrifice de sa loge à quelqu'un qu'il ne connaissait pas, mais qu'il m'avertissait seulement que Madame la Maréchale en disposerait. Elle se prÃÂȘta à cette plaisanterie, et j'acceptai. Remonté au salon, il demanda, comme vous pouvez croire, une place dans cette loge; et comme la Maréchale, qui le traite avec beaucoup de bonté, la lui promit s'il était sage , il en prit l'occasion d'une de ces conversations à double entente, pour lesquelles vous m'avez vanté son talent. En effet, s'étant mis à ses genoux, comme un enfant soumis, disait-il, sous prétexte de lui demander ses avis et d'implorer sa raison, il dit beaucoup de choses flatteuses et assez tendres, dont il m'était facile de me faire l'application. Plusieurs personnes ne s'étant pas remises au jeu l'aprÚs-souper, la conversation fut plus générale et moins intéressante mais nos yeux parlÚrent beaucoup. Je dis nos yeux je devrais dire les siens; car les miens n'eurent qu'un langage, celui de la surprise. Il dut penser que je m'étonnais et m'occupais excessivement de l'effet prodigieux qu'il faisait sur moi. Je crois que je le laissai fort satisfait; je n'étais pas moins contente. Le Lundi suivant, je fus aux Français, comme nous en étions convenus. Malgré votre curiosité littéraire, je ne puis vous rien dire du Spectacle, sinon que Prévan a un talent merveilleux pour la cajolerie, et que la PiÚce est tombée voilà tout ce que j'y ai appris. Je voyais avec peine finir cette soirée, qui réellement me plaisait beaucoup; et pour la prolonger, j'offris à la Maréchale de venir souper chez moi ce qui me fournit le prétexte de le proposer à l'aimable Cajoleur, qui ne demanda que le temps de courir, pour se dégager, jusque chez les Comtesses de P. [Voyez la lettre LXX]. Ce nom me rendit toute ma colÚre; je vis clairement qu'il allait commencer les confidences je me rappelai vos sages conseils et me promis bien de poursuivre l'aventure; sûre que je le guérirais de cette dangereuse indiscrétion. Etranger dans ma société, qui ce soir-là était peu nombreuse, il me devait les soins d'usage; aussi, quand on alla souper, m'offrit-il la main. J'eus la malice, en l'acceptant, de mettre dans la mienne un léger frémissement, et d'avoir, pendant ma marche, les yeux baissés et la respiration haute. J'avais l'air de pressentir ma défaite, et de redouter mon vainqueur. Il le remarqua à merveille; aussi le traÃtre changea-t-il sur-le-champ de ton et de maintien. Il était galant, il devint tendre. Ce n'est pas que les propos ne fussent à peu prÚs les mÃÂȘmes; la circonstance y forçait mais son regard, devenu moins vif, était plus caressant; l'inflexion de sa voix plus douce; son sourire n'était plus celui de la finesse, mais du contentement. Enfin dans ses discours, éteignant peu à peu le feu de la saillie, l'esprit fit place à la délicatesse. Je vous le demande, qu'eussiez-vous fait de mieux? De mon cÎté, je devins rÃÂȘveuse, à tel point qu'on fut forcé de s'en apercevoir, et quand on m'en fit le reproche, j'eus l'adresse de m'en défendre maladroitement, et de jeter sur Prévan un coup d'oeil prompt, mais timide et déconcerté, et propre à lui faire croire que toute ma crainte était qu'il ne devinùt la cause de mon trouble. AprÚs souper, je profitai du temps oÃÂč la bonne Maréchale contait une de ces histoires qu'elle conte toujours, pour me placer sur mon Ottomane, dans cet abandon que donne une tendre rÃÂȘverie. Je n'étais pas fùchée que Prévan me vÃt ainsi; il m'honora, en effet, d'une attention toute particuliÚre. Vous jugez bien que mes timides regards n'osaient chercher les yeux de mon vainqueur mais dirigés vers lui d'une maniÚre plus humble, ils m'apprirent bientÎt que j'obtenais l'effet que je voulais produire. Il fallait encore lui persuader que je le partageais aussi, quand la Maréchale annonça qu'elle allait se retirer, je m'écriai d'une voix molle et tendre " Ah Dieu! j'étais si bien là ! " Je me levai pourtant mais avant de me séparer d'elle, je lui demandai ses projets, pour avoir un prétexte de dire les miens et de faire savoir que je resterais chez moi le surlendemain. Là -dessus tout le monde se sépara. Alors je me mis à réfléchir. Je ne doutais pas que Prévan ne profitùt de l'espÚce de rendez-vous que je venais de lui donner; qu'il n'y vÃnt d'assez bonne heure pour me trouver seule, et que l'attaque ne fût vive mais j'étais bien sûre aussi, d'aprÚs ma réputation, qu'il ne me traiterait pas avec cette légÚreté que, pour peu qu'on ait d'usage, on n'emploie qu'avec les femmes à aventures, ou celles qui n'ont aucune expérience; et je voyais mon succÚs certain s'il prononçait le mot d'amour, s'il avait la prétention, surtout, de l'obtenir de moi. Qu'il est commode d'avoir affaire à vous autres gens à principes ! quelquefois un brouillon d'Amoureux vous déconcerte par sa timidité ou vous embarrasse par ses fougueux transports; c'est une fiÚvre qui, comme l'autre, a ses frissons et son ardeur, et quelquefois varie dans ses symptÎmes. Mais votre marche réglée se devine si facilement! L'arrivée, le maintien, le ton, les discours, je savais tout dÚs la veille. Je ne vous rendrai donc pas notre conversation que vous suppléerez aisément. Observez seulement que, dans ma feinte défense, je l'aidais de tout mon pouvoir embarras, pour lui donner le temps de parler; mauvaises raisons, pour ÃÂȘtre combattues; crainte et méfiance, pour ramener les protestations; et ce refrain perpétuel de sa part, je ne vous demande qu'un mot ; et ce silence de la mienne, qui semble ne le laisser attendre que pour le faire désirer davantage; au travers de tout cela, une main cent fois prise, qui se retire toujours et ne se refuse jamais. On passerait ainsi tout un jour; nous y passùmes une mortelle heure nous y serions peut-ÃÂȘtre encore si nous n'avions entendu entrer un carrosse dans ma cour. Cet heureux contretemps rendit, comme de raison, ses instances plus vives; et moi, voyant le moment arrivé, oÃÂč j'étais à l'abri de toute surprise, aprÚs m'ÃÂȘtre préparée par un long soupir, j'accordai le mot précieux. On annonça, et peu de temps aprÚs, j'eus un cercle assez nombreux. Prévan me demanda de venir le lendemain matin, et j'y consentis mais soigneuse de me défendre, j'ordonnai à ma Femme de chambre de rester tout le temps de cette visite dans ma chambre à coucher, d'oÃÂč vous savez qu'on voit tout ce qui se passe dans mon cabinet de toilette, et ce fut là que je le reçus. Libres dans notre conversation, et ayant tous deux le mÃÂȘme désir, nous fûmes bientÎt d'accord mais il fallait se défaire de ce spectateur importun; c'était oÃÂč je l'attendais. Alors, lui faisant à mon gré le tableau de ma vie intérieure, je lui persuadai aisément que nous ne trouverions jamais un moment de liberté; et qu'il fallait regarder comme une espÚce de miracle, celle dont nous avions joui hier, qui mÃÂȘme laisserait encore des dangers trop grands pour m'y exposer, puisque à tout moment on pouvait entrer dans mon salon. Je ne manquai pas d'ajouter que tous ces usages s'étaient établis, parce que, jusqu'à ce jour, ils ne m'avaient jamais contrariée; et j'insistai en mÃÂȘme temps sur l'impossibilité de les changer, sans me compromettre aux yeux de mes Gens. Il essaya de s'attrister, de prendre de l'humeur, de me dire que j'avais peu d'amour; et vous devinez combien tout cela me touchait! Mais voulant frapper le coup décisif, j'appelai les larmes à mon secours. Ce fut exactement le Zaïre, vous pleurez . Cet empire qu'il se crut sur moi, et l'espoir qu'il en conçut de me perdre à son gré, lui tinrent lieu de tout l'amour d'Orosmane. Ce coup de théùtre passé, nous revÃnmes aux arrangements. Au défaut du jour, nous nous occupùmes de la nuit mais mon Suisse devenait un obstacle insurmontable, et je ne permettais pas qu'on essayùt de le gagner. Il me proposa la petite porte de mon jardin mais je l'avais prévu, et j'y créai un chien qui, tranquille et silencieux le jour, était un vrai démon la nuit. La facilité avec laquelle j'entrai dans tous ces détails était bien propre à l'enhardir; aussi vint-il à me proposer l'expédient le plus ridicule, et ce fut celui que j'acceptai. D'abord, son Domestique était sûr comme lui-mÃÂȘme en cela il ne trompait guÚre, l'un l'était bien autant que l'autre. J'aurais un grand souper chez moi; il y serait, il prendrait son temps pour sortir seul. L'adroit confident appellerait la voiture, ouvrirait la portiÚre; et lui Prévan, au lieu de monter, s'esquiverait adroitement. Son cocher ne pouvait s'en apercevoir en aucune façon; ainsi sorti pour tout le monde, et cependant resté chez moi, il s'agissait de savoir s'il pourrait parvenir à mon appartement. J'avoue que d'abord mon embarras fut de trouver, contre ce projet, d'assez mauvaises raisons pour qu'il pût avoir l'air de les détruire; il y répondit par des exemples. A l'entendre, rien n'était plus ordinaire que ce moyen; lui-mÃÂȘme s'en était beaucoup servi; c'était mÃÂȘme celui dont il faisait le plus d'usage, comme le moins dangereux. Subjuguée par ces autorités irrécusables, je convins, avec candeur, que j'avais bien un escalier dérobé qui conduisait trÚs prÚs de mon boudoir; que je pouvais y laisser la clef, et qu'il lui serait possible de s'y enfermer, et d'attendre, sans beaucoup de risques, que mes Femmes fussent retirées; et puis, pour donner plus de vraisemblance à mon consentement, le moment d'aprÚs je ne voulais plus, je ne revenais à consentir qu'à condition d'une soumission parfaite, d'une sagesse... Ah! quelle sagesse! Enfin je voulais bien lui prouver mon amour, mais non pas satisfaire le sien. La sortie, dont j'oubliais de vous parler, devait se faire par la petite porte du jardin il ne s'agissait que d'attendre le point du jour, le CerbÚre ne dirait plus mot. Pas une ùme ne passe à cette heure-là , et les gens sont dans le plus fort du sommeil. Si vous vous étonnez de ce tas de mauvais raisonnements, c'est que vous oubliez notre situation réciproque. Qu'avions-nous besoin d'en faire de meilleurs? Il ne demandait pas mieux que tout cela se sût, et moi, j'étais bien sûre qu'on ne le saurait pas. Le jour fixé fut au surlendemain. Remarquez que voilà une affaire arrangée, et que personne n'a encore vu Prévan dans ma société. Je le rencontre à souper chez une de mes amies, il lui offre sa loge pour une piÚce nouvelle, et j'y accepte une place. J'invite cette femme à souper, pendant le Spectacle et devant Prévan; je ne puis presque pas me dispenser de lui proposer d'en ÃÂȘtre. Il accepte et me fait, deux jours aprÚs, une visite que l'usage exige. Il vient, à la vérité, me voir le lendemain matin mais, outre que les visites du matin ne marquent plus, il ne tient qu'à moi de trouver celle-ci trop leste; et je le mets en effet dans la classe des gens moins liés avec moi, par une invitation écrite, pour un souper de cérémonie. Je puis bien dire comme Annette Mais voilà tout, pourtant! Le jour fatal arrivé, ce jour oÃÂč je devais perdre ma vertu et ma réputation, je donnai mes instructions à ma fidÚle Victoire, et elle les exécuta comme vous le verrez bientÎt. Cependant le soir vint. J'avais déjà beaucoup de monde chez moi, quand on y annonça Prévan. Je le reçus avec une politesse marquée, qui constatait mon peu de liaison avec lui; et je le mis à la partie de la Maréchale, comme étant celle par qui j'avais fait cette connaissance. La soirée ne produisit rien qu'un trÚs petit billet, que le discret Amoureux trouva moyen de me remettre, et que j'ai brûlé suivant ma coutume. Il m'y annonçait que je pouvais compter sur lui; et ce mot essentiel était entouré de tous les mots parasites, d'amour, de bonheur, etc., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fÃÂȘte. A minuit, les parties étant finies, je proposai une courte macédoine [Quelques personnes ignorent peut-ÃÂȘtre qu'une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque Coupeur a droit de choisir lorsque c'est à lui à tenir la main. C'est une des inventions du siÚcle.]. J'avais le double projet de favoriser l'évasion de Prévan, et en mÃÂȘme temps de la faire remarquer; ce qui ne pouvait pas manquer d'arriver, vu sa réputation de Joueur. J'étais bien aise aussi qu'on pût se rappeler au besoin que je n'avais pas été pressée de rester seule. Le jeu dura plus que je n'avais pensé. Le Diable me tentait, et je succombai au désir d'aller consoler l'impatient prisonnier. Je m'acheminais ainsi à ma perte, quand je réfléchis qu'une fois rendue tout à fait, je n'aurais plus sur lui l'empire de le tenir dans le costume de décence nécessaire à mes projets. J'eus la force de résister. Je rebroussai chemin, et revins, non sans humeur, reprendre place à ce jeu éternel. Il finit pourtant, et chacun s'en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me déshabillai fort vite, et les renvoyai de mÃÂȘme. Me voyez-vous, Vicomte, dans ma toilette légÚre, marcher d'un pas timide et circonspect, et d'une main mal assurée ouvrir la porte à mon vainqueur? Il m'aperçut, l'éclair n'est pas plus prompt. Que vous dirai-je? je fus vaincue, tout à fait vaincue, avant d'avoir pu dire un mot pour l'arrÃÂȘter ou me défendre. Il voulut ensuite prendre une situation plus commode et plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa parure, qui, disait-il, l'éloignait de moi, il voulait me combattre à armes égales mais mon extrÃÂȘme timidité s'opposa à ce projet, et mes tendres caresses ne lui en laissÚrent pas le temps. Il s'occupa d'autre chose. Ses droits étaient doublés, et ses prétentions revinrent; mais alors " Ecoutez- moi, lui dis-je; vous aurez jusqu'ici un assez agréable récit à faire aux deux Comtesses de P***, et à mille autres mais je suis curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l'aventure. " En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes forces. Pour le coup j'eus mon tour, et mon action fut plus vive que sa parole. Il n'avait encore que balbutié, quand j'entendis Victoire accourir, et appeler les Gens qu'elle avait gardés chez elle, comme je le lui avais ordonné. Là , prenant mon ton de Reine, et élevant la voix " Sortez, Monsieur, continuai-je, et ne reparaissez jamais devant moi. " Là -dessus, la foule de mes gens entra. Le pauvre Prévan perdit la tÃÂȘte, et croyant voir un guet-apens dans ce qui n'était au fond qu'une plaisanterie, il se jeta sur son épée. Mal lui en prit car mon Valet de chambre, brave et vigoureux, le saisit au corps et le terrassa. J'eus, je l'avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu'on arrÃÂȘtùt, et ordonnai qu'on laissùt sa retraite libre, en s'assurant seulement qu'il sortÃt de chez moi. Mes gens m'obéirent mais la rumeur était grande parmi eux ils s'indignaient qu'on eût osé manquer à leur vertueuse MaÃtresse . Tous accompagnÚrent le malheureux Chevalier, avec bruit et scandale, comme je le souhaitais. La seule Victoire resta, et nous nous occupùmes pendant ce temps à réparer le désordre de mon lit. Mes gens remontÚrent toujours en tumulte; et moi, encore tout émue , je leur demandai par quel bonheur ils s'étaient encore trouvés levés; et Victoire me raconta qu'elle avait donné à souper à deux de ses amies, qu'on avait veillé chez elle, et enfin tout ce dont nous étions convenues ensemble. Je les remerciai tous, et les fis retirer, en ordonnant pourtant à l'un d'eux d'aller sur- le-champ chercher mon Médecin. Il me parut que j'étais autorisée à craindre l'effet de mon saisissement mortel ; et c'était un moyen sûr de donner du cours et de la célébrité à cette nouvelle. Il vint en effet, me plaignit beaucoup, et ne m'ordonna que du repos. Moi, j'ordonnai de plus à Victoire d'aller le matin de bonne heure bavarder dans le voisinage. Tout a si bien réussi qu'avant midi, et aussitÎt qu'il a été jour chez moi, ma dévote Voisine était déjà au chevet de mon lit, pour savoir la vérité et les détails de cette horrible aventure. J'ai été obligée de me désoler avec elle, pendant une heure, sur la corruption du siÚcle. Un moment aprÚs, j'ai reçu de la Maréchale le billet que je joins ici. Enfin, avant cinq heures, j'ai vu arriver, à mon grand étonnement, M... [Le Commandant du corps dans lequel M. de Prévan servait]. Il venait, m'a-t-il dit, me faire ses excuses, de ce qu'un Officier de son corps avait pu me manquer à ce point. Il ne l'avait appris qu'à dÃner chez la Maréchale, et avait sur-le-champ envoyé ordre à Prévan de se rendre en prison. J'ai demandé grùce, et il me l'a refusée. Alors j'ai pensé que, comme complice, il fallait m'exécuter de mon cÎté, et garder au moins de rigides arrÃÂȘts. J'ai fait fermer ma porte, et dire que j'étais incommodée. C'est à ma solitude que vous devez cette longue Lettre. J'en écrirai une à Madame de Volanges, dont sûrement elle fera lecture publique et oÃÂč vous verrez cette histoire telle qu'il faut la raconter. J'oubliais de vous dire que Belleroche est outré, et veut absolument se battre avec Prévan. Le pauvre garçon! heureusement j'aurai le temps de calmer sa tÃÂȘte. En attendant, je vais reposer la mienne, qui est fatiguée d'écrire. Adieu, Vicomte. Paris, ce 25 septembre 17**, au soir. LETTRE LXXXVI LA MARECHALE DE *** A LA MARQUISE DE MERTEUIL BILLET INCLUS DANS LA PRECEDENTE. Mon Dieu! qu'est-ce donc que j'apprends, ma chÚre Madame? est-il possible que ce petit Prévan fasse de pareilles abominations? et encore vis-à -vis de vous! A quoi on est exposé! on ne sera donc plus en sûreté chez soi! En vérité, ces événements-là consolent d'ÃÂȘtre vieille. Mais de quoi je ne me consolerai jamais, c'est d'avoir été en partie cause de ce que vous avez reçu un pareil monstre chez vous. Je vous promets bien que si ce qu'on m'en a dit est vrai, il ne remettra plus les pieds chez moi; c'est le parti que tous les honnÃÂȘtes gens prendront avec lui, s'ils font ce qu'ils doivent. On m'a dit que vous vous étiez trouvée bien mal, et je suis inquiÚte de votre santé. Donnez-moi, je vous prie, de vos chÚres nouvelles; ou faites-m'en donner par une de vos Femmes, si vous ne le pouvez pas vous-mÃÂȘme. Je ne vous demande qu'un mot pour me tranquilliser. Je serais accourue chez vous ce matin, sans mes bains que mon Docteur ne me permet pas d'interrompre; et il faut que j'aille cet aprÚs-midi à Versailles, toujours pour l'affaire de mon neveu. Adieu, ma chÚre Madame; comptez pour la vie sur ma sincÚre amitié. Paris, ce 25 septembre 17** LETTRE LXXXVII LA MARQUISE DE MERTEUIL A MADAME DE VOLANGES Je vous écris de mon lit, ma chÚre bonne amie. L'événement le plus désagréable et le plus impossible à prévoir, m'a rendue malade de saisissement et de chagrin. Ce n'est pas qu'assurément j'aie rien à me reprocher mais il est toujours si pénible pour une femme honnÃÂȘte et qui conserve la modestie convenable à son sexe, de fixer sur elle l'attention publique, que je donnerais tout au monde pour avoir pu éviter cette malheureuse aventure, et que je ne sais encore si je ne prendrai pas le parti d'aller à la campagne, attendre qu'elle soit oubliée. Voici ce dont il s'agit. J'ai rencontré chez la Maréchale de ... un M. de Prévan que vous connaissez sûrement de nom, et que je ne connaissais pas autrement. Mais en le trouvant dans cette maison, j'étais bien autorisée, ce me semble, à le croire bonne compagnie. Il est assez bien fait de sa personne, et m'a paru ne pas manquer d'esprit. Le hasard et l'ennui du jeu me laissÚrent seule de femme entre lui et l'EvÃÂȘque de ... , tandis que tout le monde était occupé au lansquenet. Nous causùmes tous trois jusqu'au moment du souper. A table, une nouveauté dont on parla lui donna l'occasion d'offrir sa loge à la Maréchale, qui l'accepta; et il fut convenu que j'y aurais une place. C'était pour Lundi dernier, aux Français. Comme la Maréchale venait souper chez moi au sortir du Spectacle, je proposai à ce Monsieur de l'y accompagner, et il y vint. Le surlendemain il me fit une visite qui se passa en propos d'usage, et sans qu'il y eût du tout rien de marqué. Le lendemain il vint me voir le matin, ce qui me parut bien un peu leste mais je crus qu'au lieu de le lui faire sentir par ma façon de le recevoir, il valait mieux l'avertir par une politesse, que nous n'étions pas encore aussi intimement liés qu'il paraissait le croire. Pour cela je lui envoyai, le jour mÃÂȘme, une invitation bien sÚche et bien cérémonieuse, pour un souper que je donnais avant-hier. Je ne lui adressai pas la parole quatre fois dans toute la soirée; et lui de son cÎté se retira aussitÎt sa partie finie. Vous conviendrez que jusque-là rien n'a moins l'air de conduire à une aventure on fit, aprÚs les parties, une macédoine qui nous mena jusqu'à prÚs de deux heures; et enfin je me mis au lit. Il y avait au moins une mortelle demi-heure que mes femmes étaient retirées, quand j'entendis du bruit dans mon appartement. J'ouvris mon rideau avec beaucoup de frayeur, et vis un homme entrer par la porte qui conduit à mon boudoir. Je jetai un cri perçant; et je reconnus, à la clarté de ma veilleuse, ce M. de Prévan, qui, avec une effronterie inconcevable, me dit de ne pas m'alarmer; qu'il allait m'éclaircir le mystÚre de sa conduite, et qu'il me suppliait de ne faire aucun bruit. En parlant ainsi, il allumait une bougie; j'étais saisie au point que je ne pouvais parler. Son air aisé et tranquille me pétrifiait, je crois, encore davantage. Mais il n'eut pas dit deux mots, que je vis quel était ce prétendu mystÚre; et ma seule réponse fut, comme vous pouvez le croire, de me pendre à ma sonnette. Par un bonheur incroyable, tous les Gens de l'office avaient veillé chez une de mes Femmes, et n'étaient pas encore couchés. Ma Femme de chambre, qui, en venant chez moi, m'entendit parler avec beaucoup de chaleur, fut effrayée, et appela tout ce monde-là . Vous jugez quel scandale! Mes Gens étaient furieux; je vis le moment oÃÂč mon Valet de chambre tuait Prévan. J'avoue que, pour l'instant, je fus fort aise de me voir en force en y réfléchissant aujourd'hui, j'aimerais mieux qu'il ne fût venu que ma Femme de chambre; elle aurait suffi, et j'aurais peut-ÃÂȘtre évité cet éclat qui m'afflige. Au lieu de cela, le tumulte a réveillé les voisins, les Gens ont parlé, et c'est depuis hier la nouvelle de tout Paris. M. de Prévan est en prison par ordre du Commandant de son corps, qui a eu l'honnÃÂȘteté de passer chez moi, pour me faire des excuses, m'a-t-il dit. Cette prison va encore augmenter le bruit mais je n'ai jamais pu obtenir que cela fût autrement. La Ville et la Cour se sont fait écrire à ma porte, que j'ai fermée à tout le monde. Le peu de personnes que j'ai vues m'a dit qu'on me rendait justice, et que l'indignation publique était au comble contre M. de Prévan assurément, il le mérite bien, mais cela n'Îte pas le désagrément de cette aventure. De plus, cet homme a sûrement quelques amis, et ses amis doivent ÃÂȘtre méchants qui sait, qui peut savoir ce qu'ils inventeront pour me nuire? Mon Dieu, qu'une jeune femme est malheureuse! elle n'a rien fait encore, quand elle s'est mise à l'abri de la médisance; il faut qu'elle en impose mÃÂȘme à la calomnie. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous auriez fait, ce que vous feriez à ma place; enfin tout ce que vous pensez. C'est toujours de vous que j'ai reçu les consolations les plus douces et les avis les plus sages; c'est de vous aussi que j'aime le mieux à en recevoir. Adieu, ma chÚre et bonne amie; vous connaissez les sentiments qui m'attachent à vous pour jamais. J'embrasse votre aimable fille. Paris, ce 26 septembre 17** TROISIEME PARTIE LETTRE LXXXVIII CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT Malgré tout le plaisir que j'ai, Monsieur, à recevoir les Lettres de M. le Chevalier Danceny, et quoique je ne désire pas moins que lui que nous puissions nous voir encore, sans qu'on puisse nous en empÃÂȘcher, je n'ai pas osé cependant faire ce que vous me proposez. PremiÚrement, c'est trop dangereux; cette clef que vous voulez que je mette à la place de l'autre lui ressemble bien assez à la vérité mais pourtant, il ne laisse pas d'y avoir encore de la différence, et Maman regarde à tout, et s'aperçoit de tout. De plus, quoiqu'on ne s'en soit pas encore servi depuis que nous sommes ici, il ne faut qu'un malheur; et si on s'en apercevait, je serais perdue pour toujours. Et puis, il me semble aussi que ce serait bien mal; faire comme cela une double clef c'est bien fort! Il est vrai que c'est vous qui auriez la bonté de vous en charger; mais malgré cela, si on le savait, je n'en porterais pas moins le blùme et la faute, puisque ce serait pour moi que vous l'auriez faite. Enfin, j'ai voulu essayer deux fois de la prendre, et certainement cela serait bien facile, si c'était toute autre chose mais je ne sais pas pourquoi je me suis toujours mise à trembler, et n'en ai jamais eu le courage. Je crois donc qu'il vaut mieux rester comme nous sommes. Si vous avez toujours la bonté d'ÃÂȘtre aussi complaisant que jusqu'ici, vous trouverez toujours bien le moyen de me remettre une Lettre. MÃÂȘme pour la derniÚre, sans le malheur qui a voulu que vous vous retourniez tout de suite dans un certain moment, nous aurions eu bien aisé. Je sens bien que vous ne pouvez pas, comme moi, ne songer qu'à ça; mais j'aime mieux avoir plus de patience et ne pas tant risquer. Je suis sûre que M. Danceny dirait comme moi car toutes les fois qu'il voulait quelque chose qui me faisait trop de peine, il consentait toujours que cela ne fût pas. Je vous remettrai, Monsieur, en mÃÂȘme temps que cette Lettre, la vÎtre, celle de M. Danceny, et votre clef. Je n'en suis pas moins reconnaissante de toutes vos bontés et je vous prie bien de me les continuer. Il est bien vrai que je suis bien malheureuse, et que sans vous je le serais encore bien davantage mais, aprÚs tout, c'est ma mÚre; il faut bien prendre patience. Et pourvu que M. Danceny m'aime toujours, et que vous ne m'abandonniez pas, il viendra peut- ÃÂȘtre un temps plus heureux. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Monsieur, avec bien de la reconnaissance, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. De ..., ce 26 septembre 17** LETTRE LXXXIX LE VICOMTE DE VALMONT AU CHEVALIER DANCENY Si vos affaires ne vont pas toujours aussi vite que vous le voudriez, mon ami, ce n'est pas tout à fait à moi qu'il faut vous en prendre. J'ai ici plus d'un obstacle à vaincre. La vigilance et la sévérité de Madame de Volanges ne sont pas les seuls; votre jeune amie m'en oppose aussi quelques-uns. Soit froideur, ou timidité, elle ne fait pas toujours ce que je lui conseille; et je crois cependant savoir mieux qu'elle ce qu'il faut faire. J'avais trouvé un moyen simple, commode et sûr de lui remettre vos Lettres, et mÃÂȘme de faciliter, par la suite, les entrevues que vous désirez mais je n'ai pu la décider à s'en servir. J'en suis d'autant plus affligé, que je n'en vois pas d'autre pour vous rapprocher d'elle; et que mÃÂȘme pour votre correspondance, je crains sans cesse de nous compromettre tous trois. Or, vous jugez que je ne veux ni courir ce risque-là , ni vous y exposer l'un et l'autre. Je serais pourtant vraiment peiné que le peu de confiance de votre petite amie m'empÃÂȘchùt de vous ÃÂȘtre utile; peut-ÃÂȘtre feriez-vous bien de lui en écrire. Voyez ce que vous voulez faire, c'est à vous seul à décider; car ce n'est pas assez de servir ses amis, il faut encore les servir à leur maniÚre. Ce pourrait ÃÂȘtre aussi une façon de plus de vous assurer de ses sentiments pour vous; car la femme qui garde une volonté à elle n'aime pas autant qu'elle le dit. Ce n'est pas que je soupçonne votre MaÃtresse d'inconstance mais elle est bien jeune elle a grand-peur de sa Maman, qui, comme vous le savez, ne cherche qu'à vous nuire; et peut-ÃÂȘtre serait-il dangereux de rester trop longtemps sans l'occuper de vous. N'allez pas cependant vous inquiéter à un certain point de ce que je vous dis là . Je n'ai dans le fond nulle raison de méfiance; c'est uniquement la sollicitude de l'amitié. Je ne vous écris pas plus longuement, parce que j'ai bien aussi quelques affaires pour mon compte. Je ne suis pas aussi avancé que vous mais j'aime autant, et cela console; et quand je ne réussirais pas pour moi, si je parviens à vous ÃÂȘtre utile, je trouverai que j'ai bien employé mon temps. Adieu, mon ami. Du Chùteau de ..., ce 26 septembre 17** LETTRE XC LA PRESIDENTE DE TOURVEL AU VICOMTE DE VALMONT Je désire beaucoup, Monsieur, que cette Lettre ne vous fasse aucune peine; ou, si elle doit vous en causer, qu'au moins elle puisse ÃÂȘtre adoucie par celle que j'éprouve en vous l'écrivant. Vous devez me connaÃtre assez à présent pour ÃÂȘtre bien sûr que ma volonté n'est pas de vous affliger; mais vous, sans doute, vous ne voudriez pas non plus me plonger dans un désespoir éternel. Je vous conjure donc, au nom de l'amitié tendre que je vous ai promise, au nom mÃÂȘme des sentiments peut-ÃÂȘtre plus vifs, mais à coup sûr pas plus sincÚres, que vous avez pour moi, ne nous voyons plus; partez; et, jusque-là , fuyons surtout ces entretiens particuliers et trop dangereux, oÃÂč, par une inconcevable puissance, sans jamais parvenir à vous dire ce que je veux, je passe mon temps à écouter ce que je ne devrais pas entendre. Hier encore, quand vous vÃntes me joindre dans le parc, j'avais bien pour unique objet de vous dire ce que je vous écris aujourd'hui; et cependant qu'ai- je fait? que m'occuper de votre amour;... de votre amour, auquel jamais je ne dois répondre! Ah! de grùce, éloignez-vous de moi. Ne craignez pas que votre absence altÚre jamais mes sentiments pour vous; comment parviendrais-je à les vaincre, quand je n'ai plus le courage de les combattre? Vous le voyez, je vous dis tout, je crains moins d'avouer ma faiblesse, que d'y succomber mais cet empire que j'ai perdu sur mes sentiments, je le conserverai sur mes actions; oui, je le conserverai, j'y suis résolue; fût-ce aux dépens de ma vie. Hélas! le temps n'est pas loin, oÃÂč je me croyais bien sûre de n'avoir jamais de pareils combats à soutenir. Je m'en félicitais; je m'en glorifiais peut-ÃÂȘtre trop. Le Ciel a puni, cruellement puni cet orgueil mais plein de miséricorde au moment mÃÂȘme qu'il nous frappe, il m'avertit encore avant ma chute; et je serais doublement coupable, si je continuais à manquer de prudence, déjà prévenue que je n'ai plus de force. Vous m'avez dit cent fois que vous ne voudriez pas d'un bonheur acheté par mes larmes. Ah! ne parlons plus de bonheur, mais laissez-moi reprendre quelque tranquillité. En accordant ma demande, quels nouveaux droits n'acquerrez-vous pas sur mon cÅ“ur? Et ceux-là , fondés sur la vertu, je n'aurai point à m'en défendre. Combien je me plairai dans ma reconnaissance! Je vous devrai la douceur de goûter sans remords un sentiment délicieux. A présent, au contraire, effrayée de mes sentiments, de mes pensées, je crains également de m'occuper de vous et de moi; votre idée mÃÂȘme m'épouvante quand je ne peux la fuir, je la combats; je ne l'éloigne pas, mais je la repousse. Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet état de trouble et d'anxiété? Ô vous, dont l'ùme toujours sensible, mÃÂȘme au milieu de ses erreurs, est restée amie de la vertu, vous aurez égard à ma situation douloureuse, vous ne rejetterez pas ma priÚre! Un intérÃÂȘt plus doux, mais non moins , ces agitations violentes alors respirant par vos bienfaits, je chérirai mon existence, et je dirai dans la joie de mon cÅ“ur " Ce calme que je ressens, je le dois à mon ami " . En vous soumettant à quelques privations légÚres, que je ne vous impose point, mais que je vous demande, croirez-vous donc acheter trop cher la fin de mes tourments? Ah! si, pour vous rendre heureux, il ne fallait que consentir à ÃÂȘtre malheureuse, vous pouvez m'en croire, je n'hésiterais pas un moment... Mais devenir coupable!... non, mon ami, non, plutÎt mourir mille fois. Déjà assaillie par la honte, à la veille des remords, je redoute et les autres et moi-mÃÂȘme; je rougis dans le cercle, et frémis dans la solitude; je n'ai plus qu'une vie de douleur; je n'aurai de tranquillité que par votre consentement. Mes résolutions les plus louables ne suffisent pas pour me rassurer; j'ai formé celle-ci dÚs hier, et cependant j'ai passé la nuit dans les larmes. Voyez votre amie, celle que vous aimez, confuse et suppliante, vous demander le repos et l'innocence. Ah Dieu! sans vous, eût-elle jamais été réduite à cette humiliante demande? Je ne vous reproche rien; je sens trop par moi-mÃÂȘme combien il est difficile de résister à un sentiment impérieux. Une plainte n'est pas un murmure. Faites par générosité ce que je fais par devoir; et à tous les sentiments que vous m'avez inspirés, je joindrai celui d'une éternelle reconnaissance. Adieu, adieu, Monsieur. De ..., ce 27 septembre 17** LETTRE XCI LE VICOMTE DE VALMONT A LA PRESIDENTE DE TOURVEL Consterné par votre Lettre, j'ignore encore, Madame, comment je pourrai y répondre. Sans doute, s'il faut choisir entre votre malheur et le mien, c'est à moi à me sacrifier, et je ne balance pas; mais de si grands intérÃÂȘts méritent bien, ce me semble, d'ÃÂȘtre avant tout discutés et éclaircis; et comment y parvenir, si nous ne devons plus nous parler ni nous voir? Quoi! tandis que les sentiments les plus doux nous unissent, une vaine terreur suffira pour nous séparer, peut-ÃÂȘtre sans retour! En vain l'amitié tendre, l'ardent amour, réclameront leurs droits; leurs voix ne seront point entendues et pourquoi? quel est donc ce danger pressant qui vous menace? Ah! croyez- moi, de pareilles craintes, et si légÚrement conçues, sont déjà , ce me semble, d'assez puissants motifs de sécurité. Permettez-moi de vous le dire, je retrouve ici la trace des impressions défavorables qu'on vous a données sur moi. On ne tremble point auprÚs de l'homme qu'on estime; on n'éloigne pas, surtout, celui qu'on a jugé digne de quelque amitié c'est l'homme dangereux qu'on redoute et qu'on fuit. Cependant, qui fut jamais plus respectueux et plus soumis que moi? Déjà , vous le voyez, je m'observe dans mon langage; je ne me permets plus ces noms si doux, si chers à mon cÅ“ur, et qu'il ne cesse de vous donner en secret. Ce n'est plus l'amant fidÚle et malheureux, recevant les conseils et les consolations d'une amie tendre et sensible; c'est l'accusé devant son juge, l'esclave devant son maÃtre. Ces nouveaux titres imposent sans doute de nouveaux devoirs; je m'engage à les remplir tous. Ecoutez-moi, et si vous me condamnez, j'y souscris et je pars. Je promets davantage; préférez-vous ce despotisme qui juge sans entendre? vous sentez-vous le courage d'ÃÂȘtre injuste? ordonnez et j'obéis encore. Mais ce jugement, ou cet ordre, que je l'entende de votre bouche. Et pourquoi? m'allez-vous dire à votre tour. Ah! que si vous faites cette question, vous connaissez peu l'amour et mon cÅ“ur! N'est-ce donc rien que de vous voir encore une fois? Eh! quand vous porterez le désespoir dans mon ùme, peut-ÃÂȘtre un regard consolateur l'empÃÂȘchera d'y succomber. Enfin s'il me faut renoncer à l'amour, à l'amitié, pour qui seuls j'existe, au moins vous verrez votre ouvrage, et votre pitié me restera cette faveur légÚre, quand mÃÂȘme je ne la mériterais pas, je me soumets, ce me semble, à la payer assez cher, pour espérer de l'obtenir. Quoi! vous allez m'éloigner de vous! Vous consentez donc à ce que nous devenions étrangers l'un à l'autre! que dis-je? vous le désirez; et tandis que vous m'assurez que mon absence n'altérera point vos sentiments, vous ne pressez mon départ que pour travailler plus facilement à les détruire. Déjà , vous me parlez de les remplacer par de la reconnaissance. Ainsi le sentiment qu'obtiendrait de vous un inconnu pour le plus léger service, votre ennemi mÃÂȘme en cessant de vous nuire, voilà ce que vous m'offrez! et vous voulez que mon cÅ“ur s'en contente! Interrogez le vÎtre si votre amant, si votre ami, venaient un jour vous parler de leur reconnaissance, ne leur diriez-vous pas avec indignation " Retirez-vous, vous ÃÂȘtes des ingrats " ? Je m'arrÃÂȘte et réclame votre indulgence. Pardonnez l'expression d'une douleur que vous faites naÃtre elle ne nuira point à ma soumission parfaite. Mais je vous en conjure à mon tour, au nom de ces sentiments si doux, que vous- mÃÂȘme vous réclamez, ne refusez pas de m'entendre; et par pitié du moins pour le trouble mortel oÃÂč vous m'avez plongé, n'en éloignez pas le moment. Adieu, Madame. De ..., ce 27 septembre 17**, au soir. LETTRE XCII LE CHEVALIER DANCENY AU VICOMTE DE VALMONT Ô mon ami! votre Lettre m'a glacé d'effroi. Cécile... Ô Dieu! est-il possible? Cécile ne m'aime plus. Oui, je vois cette affreuse vérité à travers le voile dont votre amitié l'entoure. Vous avez voulu me préparer à recevoir ce coup mortel. Je vous remercie de vos soins, mais peut-on en imposer à l'amour? Il court au-devant de ce qui l'intéresse; il n'apprend pas son sort, il le devine. Je ne doute plus du mien parlez-moi sans détour, vous le pouvez, et je vous en prie. Mandez-moi tout; ce qui a fait naÃtre vos soupçons, ce qui les a confirmés. Les moindres détails sont précieux. Tùchez, surtout, de vous rappeler ses paroles. Un mot pour l'autre peut changer toute une phrase; le mÃÂȘme a quelquefois deux sens... Vous pouvez vous ÃÂȘtre trompé hélas, je cherche à me flatter encore. Que vous a-t-elle dit? me fait-elle quelque reproche? au moins ne se défend-elle pas de ses torts? J'aurais dû prévoir ce changement, par les difficultés que, depuis un temps, elle trouve à tout. L'amour ne connaÃt pas tant d'obstacles. Quel parti dois-je prendre? que me conseillez-vous? Si je tentais de la voir? cela est-il donc impossible? L'absence est si cruelle, si funeste... et elle a refusé un moyen de me voir! Vous ne me dites pas quel il était; s'il y avait en effet trop de danger, elle sait bien que je ne veux pas qu'elle se risque trop. Mais aussi je connais votre prudence; et pour mon malheur, je ne peux pas ne pas y croire. Que vais-je faire à présent? comment lui écrire? Si je lui laisse voir mes soupçons, ils la chagrineront peut-ÃÂȘtre; et s'ils sont injustes, me pardonnerais- je de l'avoir affligée? Si je les lui cache, c'est la tromper, et je ne sais point dissimuler avec elle. Oh! si, elle pouvait savoir ce que je souffre, ma peine la toucherait. Je la connais sensible; elle a le cÅ“ur excellent et j'ai mille preuves de son amour. Trop de timidité, quelque embarras, elle est si jeune! et sa mÚre la traite avec tant de sévérité! Je vais lui écrire; je me contiendrai; je lui demanderai seulement de s'en remettre entiÚrement à vous. Quand mÃÂȘme elle refuserait encore, elle ne pourra pas au moins se fùcher de ma priÚre, et peut-ÃÂȘtre elle consentira. Vous, mon ami, je vous fais mille excuses, et pour elle et pour moi. Je vous assure qu'elle sent le prix de vos soins, qu'elle en est reconnaissante. Ce n'est pas méfiance, c'est timidité. Ayez de l'indulgence; c'est le plus beau caractÚre de l'amitié. La vÎtre m'est bien précieuse, et je ne sais comment reconnaÃtre tout ce que vous faites pour moi. Adieu, je vais écrire tout de suite. Je sens toutes mes craintes revenir; qui m'eût dit que jamais il m'en coûterait de lui écrire! Hélas! hier encore, c'était mon plaisir le plus doux. Adieu, mon ami; continuez-moi vos soins, et plaignez-moi beaucoup. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIII LE CHEVALIER DANCENY A CECILE VOLANGES JOINTE A LA PRECEDENTE. Je ne puis vous dissimuler combien j'ai été affligé en apprenant de Valmont le peu de confiance que vous continuez à avoir en lui. Vous n'ignorez pas qu'il est mon ami, qu'il est la seule personne qui puisse nous rapprocher l'un de l'autre j'avais cru que ces titres seraient suffisants auprÚs de vous; je vois avec peine que je me suis trompé. Puis-je espérer qu'au moins vous m'instruirez de vos raisons? Ne trouverez-vous pas encore quelques difficultés qui vous en empÃÂȘcheront? Je ne puis cependant deviner, sans vous, le mystÚre de cette conduite. Je n'ose soupçonner votre amour, sans doute aussi vous n'oseriez trahir le mien. Ah! Cécile!... Il est donc vrai que vous avez refusé un moyen de me voir? un moyen simple, commode et sûr [Danceny ne sait pas quel était ce moyen; il répÚte seulement l'expression de Valmont]? Et c'est ainsi que vous m'aimez! Une si courte absence a bien changé vos sentiments. Mais pourquoi me tromper? pourquoi me dire que vous m'aimez toujours, que vous m'aimez davantage? Votre Maman, en détruisant votre amour, a-t-elle aussi détruit votre candeur? Si au moins elle vous a laissé quelque pitié, vous n'apprendrez pas sans peine les tourments affreux que vous me causez. Ah! je souffrirais moins pour mourir. Dites-moi donc, votre cÅ“ur m'est-il fermé sans retour? m'avez-vous entiÚrement oublié? Grùce à vos refus, je ne sais, ni quand vous entendrez mes plaintes, ni quand vous y répondrez. L'amitié de Valmont avait assuré notre correspondance mais vous, vous n'avez pas voulu; vous la trouviez pénible, vous avez préféré qu'elle fût rare. Non, je ne croirai plus à l'amour, à la bonne foi. Eh! qui peut-on croire, si Cécile m'a trompé? Répondez-moi donc est-il vrai que vous ne m'aimez plus? Non cela n'est pas possible; vous vous faites illusion; vous calomniez votre cÅ“ur. Une crainte passagÚre, un moment de découragement, mais que l'amour a bientÎt fait disparaÃtre; n'est-il pas vrai, ma Cécile? ah! sans doute, et j'ai tort de vous accuser. Que je serais heureux d'avoir tort! que j'aimerais à vous faire de tendres excuses, à réparer ce moment d'injustice par une éternité d'amour! Cécile, Cécile, ayez pitié de moi! Consentez à me voir, prenez-en tous les moyens! Voyez ce que produit l'absence! des craintes, des soupçons, peut- ÃÂȘtre de la froideur! un seul regard, un seul mot et nous serons heureux. Mais quoi! puis-je encore parler de bonheur? peut-ÃÂȘtre est-il perdu pour moi, perdu pour jamais. Tourmenté par la crainte, cruellement pressé entre les soupçons injustes et la vérité plus cruelle, je ne puis m'arrÃÂȘter à aucune pensée; je ne conserve d'existence que pour souffrir et vous aimer. Ah! Cécile! vous seule avez le droit de me la rendre chÚre; et j'attends du premier mot que vous prononcerez le retour du bonheur ou la certitude d'un désespoir éternel. Paris, ce 27 septembre 17** LETTRE XCIV CECILE VOLANGES AU CHEVALIER DANCENY Je ne conçois rien à votre Lettre, sinon la peine qu'elle me cause. Qu'est-ce que M. de Valmont vous a donc mandé, et qu'est-ce qui a pu vous faire croire que je ne vous aimais plus? Cela serait peut-ÃÂȘtre bien heureux pour moi, car sûrement j'en serais moins tourmentée; et il est bien dur, quand je vous aime comme je fais, de voir que vous croyez toujours que j'ai tort, et qu'au lieu de me consoler, ce soit de vous que me viennent toujours les peines qui me font le plus de chagrin. Vous croyez que je vous trompe, et que je vous dis ce qui n'est pas! vous avez là une jolie idée de moi! Mais quand je serais menteuse comme vous me le reprochez, quel intérÃÂȘt y aurais-je? Assurément, si je ne vous aimais plus je n'aurais qu'à le dire, et tout le monde m'en louerait; mais, par malheur, c'est plus fort que moi; et il faut que ce soit pour quelqu'un qui ne m'en a pas d'obligation du tout! Qu'est-ce que j'ai donc fait pour vous tant fùcher? Je n'ai pas osé prendre une clef, parce que je craignais que Maman ne s'en aperçût, et que cela ne me causùt encore du chagrin, et à vous aussi à cause de moi; et puis encore, parce qu'il me semble que c'est mal fait. Mais ce n'était que M. de Valmont qui m'en avait parlé; je ne pouvais pas savoir si vous le vouliez ou non, puisque vous n'en saviez rien. A présent que je sais que vous le désirez, est-ce que je refuse de la prendre, cette clef? je la prendrai dÚs demain; et puis nous verrons ce que vous aurez, encore à dire. M. de Valmont a beau ÃÂȘtre votre ami, je crois que je vous aime bien autant qu'il peut vous aimer, pour le moins; et cependant c'est toujours lui qui a raison, et moi j'ai toujours tort. Je vous assure que je suis bien fùchée. Ça vous est bien égal, parce que vous savez que je m'apaise tout de suite mais à présent que j'aurai la clef, je pourrai vous voir quand je voudrai; et je vous assure que je ne voudrai pas quand vous agirez comme ça. J'aime mieux avoir du chagrin qui me vienne de moi, que s'il me venait de vous voyez ce que vous voulez faire. Si vous vouliez, nous nous aimerions tant! et au moins n'aurions-nous de peines que celles qu'on nous fait! Je vous assure bien que si j'étais maÃtresse, vous n'auriez jamais à vous plaindre de moi mais si vous ne me croyez pas, nous serons toujours bien malheureux, et ce ne sera pas ma faute. J'espÚre que bientÎt nous pourrons nous voir, et qu'alors nous n'aurons plus d'occasions de nous chagriner comme à présent. Si j'avais pu prévoir ça, j'aurais pris cette clef tout de suite mais, en vérité, je croyais bien faire. Ne m'en voulez donc pas, je vous en prie. Ne soyez plus triste, et aimez-moi toujours autant que je vous aime; alors je serai bien contente. Adieu, mon cher ami. Du Chùteau de ..., ce 28 septembre 17** LETTRE XCV CECILE VOLANGES AU VICOMTE DE VALMONT Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien avoir la bonté de me remettre cette clef que vous m'aviez donnée pour mettre à la place de l'autre; puisque tout le monde le veut, il faut bien que j'y consente aussi. Je ne sais pas pourquoi vous avez mandé à M. Danceny que je ne l'aimais plus je ne crois pas vous avoir jamais donné lieu de le penser; et cela lui a fait bien de la peine, et à moi aussi. Je sais bien que vous ÃÂȘtes son ami; mais ce n'est pas une raison pour le chagriner, ni moi non plus. Vous me feriez bien plaisir de lui mander le contraire, la premiÚre fois que vous lui écrirez, et que vous en ÃÂȘtes sûr car c'est en vous qu'il a le plus confiance; et moi, quand j'ai dit une chose, et qu'on ne la croit pas, je ne sais plus comment faire. Pour ce qui est de la clef, vous pouvez ÃÂȘtre tranquille; j'ai bien retenu tout ce que vous me recommandiez dans votre Lettre. Cependant, si vous l'avez encore, et que vous vouliez me la donner en mÃÂȘme temps, je vous promets que j'y ferai bien attention. Si ce pouvait ÃÂȘtre demain en allant dÃner, je vous donnerais l'autre clef aprÚs-demain à déjeuner, et vous me la remettriez de la mÃÂȘme façon que la premiÚre. Je voudrais bien que cela ne fût pas long, parce qu'il y aurait moins de temps à risquer que Maman ne s'en aperçût. Et puis, quand une fois vous aurez cette clef-là , vous aurez bien la bonté de vous en servir aussi pour prendre mes Lettres; et comme cela, M. Danceny aura plus souvent de mes nouvelles. Il est vrai que ce sera bien plus commode qu'à présent; mais c'est que d'abord, cela m'a fait trop peur je vous prie de m'excuser, et j'espÚre que vous n'en continuerez pas moins d'ÃÂȘtre aussi complaisant que par le passé. J'en serai aussi toujours bien reconnaissante. J'ai l'honneur d'ÃÂȘtre, Monsieur, votre trÚs humble et trÚs obéissante servante. De ..., ce 28 septembre 17** Sices effets persistent au-delĂ  de 48h aprĂšs la sĂ©ance, consultez un mĂ©decin. La quantitĂ© de sang extraite n’est en aucun cas un signe de hijĂąma profitable, « rĂ©ussie » ou autre. La quantitĂ© de sang variera d’une personne Ă  l’autre et des fois, pour une mĂȘme personne d’une sĂ©ance Ă  l’autre en fonction de :-La pĂ©riode du mois lunaire (le sang est agitĂ© par l J’ai une maladie rare, un NĂŠvus bleu 
 Je me suis prise, de plein fouet, les insultes racistes, les regards de travers, les convocations pour savoir si je n’étais pas une enfant battue 
 Je ne voulais qu’une chose ; disparaĂźtre tellement ma vie Ă©tait un enfer au quotidien. 
 Je suis tombĂ©e sous le charme, si l’on peut dire, de la hijama. Puis un jour, je me suis dĂ©cidĂ©e Ă  tester 
 Tels sont les mots forts et touchants employĂ©s par notre soeur H, qui a souhaitĂ© garder l’anonymat. Un tĂ©moignage poignant et Ă©mouvant qu’elle a livrĂ© pour Muslimette Magazine. Afin de nous faire partager, tout au long de son histoire, des messages d’une grande beautĂ© et de donner l’espoir Ă  toutes nos sƓurs malades, qu’un jour la guĂ©rison arrivera incha a Allah. La hijama a Ă©tĂ© pour elle, la cause de son rĂ©tablissement et nous louons Allah pour cela. Nous laissons donc la parole Ă  notre Muslimette et nous demandons Ă  Allah la guĂ©rison de tous nos malades. Peux-tu te prĂ©senter ? Bismillahi-rrahmani-rahim As salam alaykoum, Je me prĂ©sente, je m’appelle H, j’ai Ă  ce jour 30 ans. Je tenais Ă  faire un petit tĂ©moignage sur un sujet qui me tient particuliĂšrement Ă  cƓur la mĂ©decine prophĂ©tique en particulier la hijama. Raconte-nous ton histoire
 Pour expliquer mon cheminement, je dois faire un petit flash-back dans mon passĂ©. Je suis d’origine tunisienne et je suis nĂ©e en France en 1986 des dĂ©tails qui auront de l’importance par la suite . A la naissance tout allait bien, ou presque. Ma mĂšre a constatĂ© une petite veine bleue assez apparente du cĂŽtĂ© de l’Ɠil droit. Les mĂ©decins l’ont rassurĂ© lui disant que ce n’était rien. Sauf que voilĂ  ! Trois mois plus tard, je me retrouvais avec une tĂąche bleue voire noire tout autour de l’Ɠil droit. Ma mĂšre a fait le tour des hĂŽpitaux en France, et ils ne savaient pas ce que c’était. En Tunisie, pire on lui proposa des pommades qui finirent par me brĂ»ler la peau, ou des opĂ©rations destinĂ©es Ă  inciser et gratter sous la peau. Ma mĂšre refusa. AprĂšs plusieurs allers-retours entre la Tunisie et la France, nous avons fini par nous installer en Tunisie. Les annĂ©es ont passĂ© et en 1996 j’avais une dizaine d’annĂ©es, nous sommes retournĂ©s en France . Mon cauchemar dĂ©bute ici. Qu’entends-tu par cauchemar » ? Je me suis prise, de plein fouet, les insultes racistes, les regards de travers, les convocations pour savoir si je n’étais pas une enfant battue. J’étais une enfant, je n’y comprenais rien. Ma mĂšre ; qu’Allah me la garde Ă  continuer Ă  faire le tour des hĂŽpitaux. C’était de pire en pire ! Je me retrouvais tel un phĂ©nomĂšne de foire, un professeur et ses Ă©lĂšves autour de moi. J’étais un cas d’école ! Un cas Ă  part ! Je ne voulais qu’une chose ; disparaĂźtre tellement ma vie Ă©tait un enfer au quotidien. Sortir Ă©tait devenu pour moi un supplice. Jusqu’au jour oĂč un mĂ©decin rĂ©ussit Ă  mettre un nom sur la cause de mes souffrances. De quoi souffrais-tu ? J’ai une maladie rare, un NĂŠvus bleu ou nĂŠvus d’Ota. Une tumeur pigmentaire qui touche 0,1 % de la population mondiale. De lĂ , j’ai entamĂ© un traitement assez contraignant ; des sĂ©ances de laser. Sous anesthĂ©sie gĂ©nĂ©rale, le laser vous donne des sortes de coup de jus littĂ©ralement. S’en suivit plusieurs jours de cicatrisation ; un contour de l’Ɠil aussi ensanglantĂ© et enflĂ© comme aprĂšs un combat de boxe. Des douleurs, la tĂȘte qui tourne. Je ratais Ă©galement l’école. J’ai subi cela plusieurs annĂ©es. Jusqu’au jour oĂč le mĂ©decin m’annonce qu’il ne pourrait plus pratiquer sous anesthĂ©siste gĂ©nĂ©rale. J’étais trop jeune et j’avais dĂ©jĂ  testĂ© en anesthĂ©sie locale. La douleur Ă©tait insupportable. Comment t’es-tu dirigĂ©e vers la mĂ©decine prophĂ©tique ? Les annĂ©es passĂšrent et je m’étais plus ou moins accommodĂ©e de ma tĂąche, je ne la cachais pas. J’en souffrais moins mais un peu tout de mĂȘme ! Je m’étais, alors, accrochĂ©e Ă  la religion. J’ai dĂ©couvert au fil des lectures les traitements prophĂ©tiques. Je suis tombĂ©e sous le charme, si l’on peut dire, de la hijama. Puis un jour, je me suis dĂ©cidĂ©e Ă  tester. AprĂšs avoir cherchĂ© et trouvĂ© une sƓur diplĂŽmĂ©e, je me suis lancĂ©e. Au dĂ©part, je soignais des soucis d’estomac mais une voix intĂ©rieure me disait Demande Ă  la sƓur de pratiquer la hijama sur ta tĂąche. » Au dĂ©part la praticienne n’osĂąt pas, il fallait qu’elle se renseigne, ma maladie Ă©tant mĂ©connue. Et que vous dire sinon qu’Allah est Grand et GĂ©nĂ©reux. AprĂšs la premiĂšre sĂ©ance et avec quasiment aucun dĂ©sagrĂ©ment, ma tĂąche a commencĂ© Ă  se rĂ©duire. Tes conseils aux Muslimette
 Le texte est long et j’en aurais beaucoup Ă  dire ! Mais je me contenterai de ceci. Ma maladie est rare mais beaucoup sont touchĂ©s. Cette maladie peut apparaĂźtre Ă  tout Ăąge et je fais partie des rares chez qui elle est apparue aprĂšs la naissance. J’ai donc, al hamdoulilah ! Une petite expĂ©rience. Elle touche la population asiatique, noire et maghrĂ©bine. Alors, si la description vous Ă©voque quelque chose ; suivez ces quelques conseils – ProtĂ©gez vous du soleil la tĂąche fonce au soleil, risque de cancer de la peau – Interdiction d’aller aux UV – Consulter un dermatologue. – Et pour finir, faĂźtes des hijamas avec une personne diplĂŽmĂ©e et si possible qu’elle soit du corps mĂ©dical. Mon dernier conseil si vous avez eu le courage de lire ce long texte. Que vous vous sentez concernĂ©es. Vous n’ĂȘtes pas seules, vous n’ĂȘtes pas moins bien qu’une autre personne. Mais Allah par sa grĂące vous a favorisĂ©. En vous enseignant la patience dans l’épreuve, en vous effaçant vos pĂ©chĂ©s et en vous Ă©levant. Ne dĂ©sespĂ©rerez jamais de la misĂ©ricorde d’Allah. H. votre sƓur qui vous aime fillah. Fin. Abou Houraira rapporte que le prophĂšte ï·ș a dit Allah n’a pas fait descendre une maladie, sans avoir descendu en mĂȘme temps son remĂšde » hadith authentique-as-Silsila as-SahĂźha – n°451 C’est Ă  Allah que nous demandons la guĂ©rison de tous nos malades et c’est Lui Le Seul et Unique GuĂ©risseur. N’hĂ©sitez pas Ă  faire partager Ă  la RĂ©dac de Muslimette vos histoires extraordinaires, Ă  envoyer vos tĂ©moignages Ă  l’adresse contact et Ă  poster vos commentaires. Nous vous publierons Ă  notre tour incha a Allah. · pour la recette ayurvĂ©dique de l’huile, le produit est-il Ă  appliquer juste aprĂšs avoir mĂ©langĂ© l’huile et le fenugrec ? Il n’y a pas de temps de repos ? Et pour faire grossir les seins, est-ce que cette huile est efficace ? Si oui au bout de combien de temps Dr Anto Youssef Le docteur Anto Youssef a Ă©tĂ© actif au sein du domaine dentaire depuis une vingtaine d'annĂ©es. Un dentiste de jour et un blogueur de soir, il peut exprimer sa passion pour la dentisterie en prenant soin de ses patients, ou en rĂ©digeant des articles pour informer le public sur les sujets dentaires courants. Il est Ă©tabli dans la merveilleuse ville de MontrĂ©al, ainsi que ses rĂ©gions avoisinantes. Lessavants sont en divergence Ă  propos de la hijama, est-ce qu’elle annule le jeĂ»ne ou pas ? La majoritĂ© des savants sont d’avis que la hijama n’annule pas le jeĂ»ne. L’imam Chafi’i (mort en 204 du calendrier hĂ©girien) a dit : « Ce que je connais des compagnons du ProphĂšte (qu’Allah les agrĂ©e tous), des tab’ins (*) et de la majoritĂ© des gens de science est que le jeĂ»ne

Festival de cinĂ©ma plein air Les Nuits ÉtoilĂ©es FĂȘte, CinĂ©maMimbaste 40350Le 28/08/2022Projection plein air gratuite au fronton du film Envole moi. ComĂ©die dramatique de Christophe Baratier. Avec Victor Belmondo, Yoann Eloundou, GĂ©rard Lanvin. Repli dans le hall des sports en cas de mauvais temps. Thomas passe ses nuits en boites et ses journĂ©es au lit, jusqu'au jour oĂč son pĂšre dĂ©cide de lui couper les vivres et lui impose de s'occuper d'un de ses jeunes patients. Marcus a douze ans et vit seul avec sa maman. Il souffre depuis sa naissance d'une maladie grave qui rythme ses journĂ©es, entre le centre d'accueil mĂ©dicalisĂ© oĂč il est scolarisĂ© et des sĂ©jours rĂ©pĂ©tĂ©s Ă  l'hĂŽpital. Cette rencontre va bouleverser le quotidien de l'un et de l'autre, et tout simplement changer leur vie. À 19h repas moules sur rĂ©servation au 06 25 03 41 20 Vente de popcorn OrganisĂ© par le ComitĂ© des FĂȘtes et la MairieSeptembre Musical de l'Orne - Ensemble Matheus Concert, Festival gĂ©nĂ©raliste, Musique classiqueALENCON 61000Le 02/09/2022Un contre-tĂ©nor face Ă  une basse dans un affrontement d’airs d’opĂ©ras, une flĂ»te piccolo contre un basson dans le domaine instrumental
 Reprenant avec humour le principe des joutes artistiques qui existaient Ă  l’ùre baroque, Jean- Christophe Spinosi nous propose un programme subtil autour des plus beaux airs et des plus belles mĂ©lodies de Vivaldi, Haendel ou Purcell. Sous un prĂ©texte ludique, il nous invite Ă  une plongĂ©e musicale au coeur de l’émotion et du contraste des sentiments. ENSEMBLE MATHEUS Jean-Christophe SPINOSI, direction Antonio VIVALDI Olimpiade ouverture Antonio VIVALDI Nisi Dominus - Sicut erat in principio Antonio VIVALDI Nisi Dominus - Amen Antonio VIVALDI Aria BenchĂ© nasconde » Antonio VIVALDI Concerto pour piccolo en do majeur - RV 443 George Frideric HAENDEL The People That Walked In Darkness Le Messie George Frideric HAENDEL ScĂšne de la folie Orlando Henry PURCELL Air du froid King Arthur Antonio VIVALDI Concerto pour basson en la mineur - RV 498 Antonio VIVALDI Aria Sento in seno » George Frideric HAENDEL Fra l’ombre e gl’orrori Aci Galatea e Polifemo Antonio VIVALDI Ah Sleale, ah Spergiura Orlando George Frideric[...]"Lectures" par Jean-Christophe Cochard Lecture - Conte - PoĂ©sie, ThéùtreLa FertĂ©-Vidame 28340Le 03/09/2022Le théùtre de l'Argile prĂ©sente "Lectures" avec Jean-Christophe Cochard - suivi d'un Ă©change et d'un pot de l'amitiĂ© -Festival de cinĂ©ma plein air Les Nuits ÉtoilĂ©es FĂȘte, CinĂ©ma, Manifestation culturelle, Manifestation culturelle, Festival gĂ©nĂ©ralisteMimbaste 40350Le 28/08/2022Projection plein air gratuite au fronton du film Envole moi. ComĂ©die dramatique de Christophe Baratier. Avec Victor Belmondo, Yoann Eloundou, GĂ©rard Lanvin. Repli dans le hall des sports en cas de mauvais temps. Thomas passe ses nuits en boites et ses journĂ©es au lit, jusqu'au jour oĂč son pĂšre dĂ©cide de lui couper les vivres et lui impose de s'occuper d'un de ses jeunes patients. Marcus a douze ans et vit seul avec sa maman. Il souffre depuis sa naissance d'une maladie grave qui rythme ses journĂ©es, entre le centre d'accueil mĂ©dicalisĂ© oĂč il est scolarisĂ© et des sĂ©jours rĂ©pĂ©tĂ©s Ă  l'hĂŽpital. Cette rencontre va bouleverser le quotidien de l'un et de l'autre, et tout simplement changer leur vie. À 19h repas moules sur rĂ©servation au 06 25 03 41 20 Vente de popcorn OrganisĂ© par le ComitĂ© des FĂȘtes et la MairieChristophe Caul OpĂ©ra - OpĂ©rette, Musique, Chorale - Chant, VariĂ©tĂ© françaiseAubigny-sur-NĂšre 18700Le 04/09/2022Lors de cette soirĂ©e, il interprĂ©tera les grands airs d'opĂ©ra et d'opĂ©rette cĂ©lĂšbres et connus du grand public ainsi que les chansons napolitaines populaires tels que Rigoletto, Tosca, La BohĂšme, O Sole Mio, Mexico etc... Il y a quelques mois, l'Ă©cole de musique a prĂ©sentĂ© Ă  son public l'opĂ©ra "Carmen", il se pourrait donc que quelques extraits interprĂ©tĂ©s par les mĂȘmes protagonistes et Christophe Caul figurent au programme de cet Ă©vĂšnement. Le rĂ©cital sera accompagnĂ© au piano par Antoine Metelin, pianiste accompagnateur Ă  l'opĂ©ra et au conservatoire de Limoges ainsi que des AcadĂ©mie internationales de Mende et Art's - 1er salon des aquarellistes Exposition, Dessin - Collage, Gravure, Peinture, Sculpture, AtelierPesmes - 70 Du 20/08/2022 Ă  1000 au 28/08/2022 Ă  1900OrganisĂ© par Anne Christophe, aquarelliste renommĂ©e, l'Ă©vĂ©nement rĂ©unira 16 artistes de France et d'ailleurs, reprĂ©sentants talentueux des domaines de l'aquarelle, la reliure, la sculpture papier, la gravure, le carnet de voyage... Un parcours de 5 lieux au cƓur d'un des "Plus beaux villages[...]Une Rance Ă  soi ConfĂ©rence - DĂ©batSaint-Malo 35400Du 02/07/2022 au 28/08/202210 cultures. 1 terre d’accueil la Rance. Des portraits photographiques illustrĂ©s de podcast sonores mis en lumiĂšre grĂące Ă  dix "tipis-nomades gĂ©ants" dissĂ©minĂ©s dans le parc de La Briantais. Une expĂ©rience immersive et intimiste Ă  la rencontre de dix femmes venues d’ailleurs Colombie, Espagne, CĂŽte d’Ivoire, Angleterre, Cambodge, Liban 
 À l’origine de ce projet, des artistes du territoire qui ont travaillĂ© en Ă©troite collaboration artistique Une auteure podcasteuse, Karine Fougeray Cinq photographes, Nohemy Adrian, BĂ©atrice Degano, NadĂšge Samson, StĂ©phane Maillard, Guillaume Lebrun Un musicien, Manu Armstrong Un designer, Christophe Bachmann Visite sonore guidĂ©e du mardi au dimanche de 14h Ă  19h. Accueil Une Rance Ă  Soi Ă  l’entrĂ©e du parc de la Briantais. Visite libre aux horaires d’ouverture du parc avec Ă©coute sonore sur votre propre smartphone prĂ©voir des Ă©couteurs/casque – explications/mode d’emploi Ă  disposition Ă  l’accueil Une Rance Ă  Soi.Atelier "DĂ©couverte du mĂ©tier de vigneron"LaizĂ© 71870Du /00/1e16 au //099En compagnie de Christophe et Elodie Brenot, chefs d'exploitation, viticulteurs rĂ©coltants du Domaine Naisse, devenez vigneron le temps d'une aprĂšs-midi et participez Ă  une Ă©tape primordiale pendant les vendanges, le prĂ©lĂšvement de raisins dans le vignoble dans le but de contrĂŽler la maturitĂ©, suivi d'une dĂ©gustation de 3 vins accompagnĂ© d'un mĂąchon. Places limitĂ©es Ă  12 personnes par vend ses livres de cuisineTournus 71700Du /00/1e16 au //099Martine vend ses livres de cuisine Beaux livres, livres techniques professionnels, cuisine locale et Ă©trangĂšre, livres anciens, histoire de la cuisine et de la gastronomie...en compagnie de Christophe Goumaz, librairie "La bonne Pioche Ă  Cuisery" et grĂące aux bibliothĂšques et au jolis meubles de cuisine de Constant , Constant HĂŒss,Ă©bĂ©nisteAvec aussi de la vaisselle, des casseroles, des ustensiles, pleins de choses Ă  lire et Ă  cuisiner! et toujours, les petits dessins impertinents de Damien ConcertVarzy 58210Du /00/1e16 au //099Venez assister au diner concert au chĂąteau de Varzy, au programme chansons Française revisitĂ©es Jazzy avec Christophe Duplan Trio. Pass sanitaire de l'Ă©levage Cluny Horse Valley Pour enfantsCortambert 71250Du /00/1e16 au //099Avec Jean Christophe. Pour les familles et groupes ; enfants Ă  partir de 7 ans Attention minimum 6 personnes. Programme - 14h30 Visite expliquĂ©e de notre Ă©levage de chevaux amĂ©ricains, leur vie en troupe, les chuchoteurs AmĂ©ricains - 15h30 DĂ©monstration de jeux d'apprentissage - 16h30 Collation et rĂ©ponse Ă  vos questions Tenue adaptĂ©e jeans et baskets ou chaussures d'Ă©quitation. SĂ©ances se dĂ©roulant au manĂšge, Ă  l' "100 clarinettes en Ternois" Musique, Concert, Culte et religionSaint-Pol-sur-Ternoise 62130Du 00/00/-100 au 99/99/-199Rendez-vous Ă  la salle des fĂȘtes de Saint-Pol-sur-Ternoise, ce dimanche 12 dĂ©cembre ! Les enseignants des Ă©coles de musique et conservatoires des Hauts de France vous invitent pour un concert orchestrĂ© avec et autour de l'ensemble de clarinettes BorĂ©e et la participation du soliste international JoĂ« Christophe. → Pass sanitaire Les Jumeaux SpectacleSaint-Pol-sur-Ternoise 62130Du 00/00/-100 au 99/99/-199Les Jumeaux ont une rĂ©vĂ©lation Ă  vous faire... En attendant, Dupont et Dupond infiltrent une mosquĂ©e, un lion devient vĂ©gĂ©tarien, des mamies deviennent dealeuses, Steeven se lance dans le one-man-show et Christopher Nolan rencontre un Ch'ti Ă  Dunkerque. De son cĂŽtĂ©, Sarko se consacre entiĂšrement Ă  la carriĂšre de Carla, ce qui lui laisse pas mal de temps libre...Concert de l'Harmonie municipale Musique, Musique classique, ConcertFrĂ©vent 62270Du 00/00/-100 au 99/99/-199Ne manquez pas le concert de l'automne de l'Harmonie municipale de FrĂ©vent ! La cinquantaine de musiciennes et musiciens de l'Orchestre d'Harmonie municipale seront heureux de vous retrouver ce dimanche 7 novembre pour vous prĂ©senter un programme riche et variĂ© de morceaux spĂ©cialement choisis. Hommage Ă  Jean Ferrat, Ă  Gainsbourg, Ă  Joe Dassin, Ă  Christophe, aux Beatles, Ă  Ennio Morricone...Sous la direction de Didier Valette ! En 1e partie l'orchestre junior de l'Ă©cole de musique ternoiscom. ➡ EntrĂ©e libre / Sur prĂ©sentation du passe SUR LA PLACE - RENCONTRE AVEC CHRISTOPHE ONO-DIT-BIO Lecture - Conte - PoĂ©sieNancy 54000Le 10/09/2022Quand l’exil forcĂ© devient l’occasion de s’interroger sur soi et sa famille, sur la transmission et l’amour. Christophe Ono Dit-Biot nous pousse encore une fois Ă  croire au merveilleux, Ă  la beautĂ© et la nature, aux livres et Ă  l’Histoire, mĂȘme dans l’adversitĂ© ! Christophe Ono-Dit-Biot, "Trouver refuge" Gallimard Animation Baptiste LigerVisite guidĂ©e de Ruffey-sur-Seille Patrimoine - Culture, Vie localeRuffey-sur-Seille 39140Le 31/08/2022Suivez votre guide Ă  travers les rues du village, il vous contera la vie des habitants Ă  travers les Ăąges et vous emmĂšnera sur les traces de Claude Jacques Lecourbe, gĂ©nĂ©ral sous NapolĂ©on. S'en suivra alors la visite du PrieurĂ© Saint-Christophe par ses propriĂ©taires. INFORMATIONS ET RÉSERVATION AUPRÈS DE VOTRE OFFICE DE TOURISME JURABSOLU. Pour dĂ©couvrir autrement le village de Ruffey-sur-Seille, l'Escape Game Outdoor "La tactique du GĂ©nĂ©ral Lecourbe" est disponible Ă  l'accueil de l'Office de Tourisme Rendez-Vous d'Arthur Utopia Musique, Vie localeLe Havre 76600Du 23/08/2022 au 28/08/2022Les Rendez-Vous d'Arthur Utopia Sextuor de cuivres - Pierre Grimopont trompette - Pierrick Chevalier trompette - Vincent Portilla trompette, bugle - Pascal Riegel alto - Christophe Lion trombone - Antoine Herfroy tuba. DĂ©couvrir les cuivres au travers de quatre siĂšcles de rĂ©pertoire, survoler les musiques entraĂźnantes des XIXe et XXe siĂšcles, faire incursion dans le travail des compositeurs et arrangeurs d’aujourd’hui Ɠuvrant au service de cet ensemble vivant et crĂ©ant en Normandie 
 tel est l’enjeu de cette spectaculaire rĂ©sidence finale ! Depuis leur rencontre en 2018, ces six compagnons croient profondĂ©ment au pouvoir de l’expression artistique et se sont donnĂ© comme objectif partagĂ© de transmettre l’émotion que procure la sonoritĂ© des cuivres. Et, de ce qui se dit aprĂšs leur passage, il semble qu’ils y rĂ©ussissent sacrĂ©ment. Tout au long de la semaine, le sextuor UTOPIA animera par ailleurs un stage permettant aux cuivres amateurs et volontaires de prĂ©parer une participation Ă  la fĂȘte de clĂŽture d’Un EtĂ© au Havre le samedi 17 septembre en soirĂ©e. Objectif rĂ©unir plus d’une centaine d’instrumentistes et donner symboliquement le signal d’envoi des festivitĂ©s[...]Tout d'abord - Cie ManieBeaune 21200Du /00/1e16 au //099Le vĂȘtement nous accompagne toute notre vie. Propice aux dĂ©formations et aux cache-caches, il est chez le tout-petit un vĂ©ritable terrain de jeu au quotidien. Sur scĂšne, un personnage se dĂ©couvre avec plaisir et amusement des habits qui le mĂ©tamorphosent. Trop petits ou trop grands, ils s’étirent, se dĂ©ploient, le chatouillent ou l’entrelacent
 Un spectacle intime et joueur dans lequel les enfants installĂ©s tout autour du comĂ©dien inventent avec lui un langage de tous les possibles, de la transformation et de l’émerveillement. conception Vincent Regnard, jeu Vincent Regnard ou AurĂ©lie Galibourg, musique StĂ©phane Scott, crĂ©ation costumes Emmanuelle Grobet, construction scĂ©nographie Christophe Boisson, lumiĂšre Julien Lanaud, son RaphaĂ«l Longet, accompagnement artistique Eleonora Ribis et Christian DuchangeSeptembre Musical de l'Orne - Ensemble Matheus Musique, Musique classiqueAlençon 61000Du 15/07/2022 au 02/09/2022Un contre-tĂ©nor face Ă  une basse dans un affrontement d’airs d’opĂ©ras, une flĂ»te piccolo contre un basson dans le domaine instrumental
 Reprenant avec humour le principe des joutes artistiques qui existaient Ă  l’ùre baroque, Jean- Christophe Spinosi nous propose un programme subtil autour des plus beaux airs et des plus belles mĂ©lodies de Vivaldi, Haendel ou Purcell. Sous un prĂ©texte ludique, il nous invite Ă  une plongĂ©e musicale au coeur de l’émotion et du contraste des sentiments. ENSEMBLE MATHEUS Jean-Christophe SPINOSI, direction Antonio VIVALDI Olimpiade ouverture Antonio VIVALDI Nisi Dominus - Sicut erat in principio Antonio VIVALDI Nisi Dominus - Amen Antonio VIVALDI Aria BenchĂ© nasconde » Antonio VIVALDI Concerto pour piccolo en do majeur - RV 443 George Frideric HAENDEL The People That Walked In Darkness Le Messie George Frideric HAENDEL ScĂšne de la folie Orlando Henry PURCELL Air du froid King Arthur Antonio VIVALDI Concerto pour basson en la mineur - RV 498 Antonio VIVALDI Aria Sento in seno » George Frideric HAENDEL Fra l’ombre e gl’orrori Aci Galatea e Polifemo Antonio VIVALDI Ah Sleale, ah Spergiura Orlando George Frideric[...]Concert BACHAR MAR-KHALIFECluny 71250Du /00/1e16 au //099ON OFF – BACHAR MAR-KHALIFE MUSIQUE Bachar Mar-KhalifĂ© est bien plus qu’un pianiste envoĂ»tant. Compositeur, chanteur et multi-instrumentiste, sa musique est celle d’un homme libre ; un mĂ©lange Ă©clairĂ© et percutant de jazz, d’électro, de musique traditionnelle libanaise et de musique contemporaine, qu’il aborde avec un amour et une Ă©nergie semblable. Entre percussion traditionnelle et classique, piano et direction d’orchestre, Bachar Mar-KhalifĂ© intĂšgre toutes ces facettes pour en devenir l’unique dĂ©nominateur commun. Son cinquiĂšme album a Ă©tĂ© enregistrĂ© au Liban, au rythme des contestations populaires qui Ă©branlaient le pays. L’émotion est Ă  fleur de peau, le dĂ©pouillement de sa musique fait Ă©cho Ă  la situation du pays. Dans la maison, l’électricitĂ© coupe 2 fois par jour On/Off. avec Christophe -Jnoun inĂ©dit Ă  ce jour. Production AstĂ©rios spectacles Bachar Mar-KhalifĂ© piano, synthĂ©, chant Dogan Poyraz batterie Aleksander Angelov basse, contrebasseLivres VoyageursSens 89100Le 30/08/2022Lectures partagĂ©es et bibliothĂšque itinĂ©rante proposĂ©es par les bibliothĂšques de Sens, le Centre Social des Champs-Plaisants, le Centre Social des Chaillots et l'Association Lire et Faire Lire. Pour tous. Pour savoir oĂč nous poserons nos valises, renseignements au 03 86 83 88 13 ou 03 86 83 72 80. Lectures partagĂ©es et bibliothĂšque itinĂ©rante tous les mardis des mois de juillet et aoĂ»t de 15h Ă  18h dans diffĂ©rents lieux de la ville. En cas de pluie retrouvez-nous dans les bibliothĂšques de Sens. Mardi 05 juillet parc prĂšs de l’école Pierre Larousse – quartier des Champs Plaisants Petite forme contĂ©e par EsmĂ© Planchon autour de sa bande dessinĂ©e La fĂ©e des grains de poussiĂšre » – Ă  partir de 14h Mardi 12 juillet Moulin Ă  Tan Mardi 19 juillet Bords de l’Yonne nouveaux espaces amĂ©nagĂ©s. Lieu modifiĂ© en raison de la canicule retrouvez cette Ă©vĂ©nement directement Ă  la bibliothĂšque des Champs-Plaisants ou Ă  la mĂ©diathĂšque Jean-Christophe Rufin. Mardi 26 juillet prĂšs du City Stade – quartier des Chaillots Mardi 02 aoĂ»t parc prĂšs de l’école Paul Bert – quartier des Champs Plaisants Mardi 09 aoĂ»t Moulin Ă  Tan Mardi 16 aoĂ»t parc – quartier Sainte BĂ©ate Mardi 23[...]Animation pĂȘche PĂȘcheSanguinet 40460Du 05/07/2022 au 30/08/2022L'AAPPMA de Sanguinet et Christophe Maffezzoni, moniteur Guide de PĂȘche diplĂŽmĂ© d'Etat vous proposent des animations "pĂȘche au coup" pour tout public. Inscription obligatoire auprĂšs de la Boutique MatĂ©riel fourni. DĂšs 4 ansExposition de Christophe Valdivieso Exposition, Patrimoine - CultureLe Temple-sur-Lot 47110Du 22/08/2022 au 03/09/2022Retrouvez les peintures Ă  l'huile de Christophe Valdivieso, Ă  la salle d'exposition de l'Office de Tourisme Lot-et-Tolzac. Exposition visible aux heures d'ouverture de l'Office de Tourisme le lundi de 13h Ă  17h, du mardi au vendredi de 10h Ă  17h et la samedi de 10h Ă  Voyageurs Lecture - Conte - PoĂ©sie, Vie localeSens 89100Le 30/08/2022Lectures partagĂ©es et bibliothĂšque itinĂ©rante proposĂ©es par les bibliothĂšques de Sens, le Centre Social des Champs-Plaisants, le Centre Social des Chaillots et l'Association Lire et Faire Lire. Pour tous. Pour savoir oĂč nous poserons nos valises, renseignements au 03 86 83 88 13 ou 03 86 83 72 80. Lectures partagĂ©es et bibliothĂšque itinĂ©rante tous les mardis des mois de juillet et aoĂ»t de 15h Ă  18h dans diffĂ©rents lieux de la ville. En cas de pluie retrouvez-nous dans les bibliothĂšques de Sens. Mardi 05 juillet parc prĂšs de l’école Pierre Larousse – quartier des Champs Plaisants Petite forme contĂ©e par EsmĂ© Planchon autour de sa bande dessinĂ©e La fĂ©e des grains de poussiĂšre » – Ă  partir de 14h Mardi 12 juillet Moulin Ă  Tan Mardi 19 juillet Bords de l’Yonne nouveaux espaces amĂ©nagĂ©s. Lieu modifiĂ© en raison de la canicule retrouvez cette Ă©vĂ©nement directement Ă  la bibliothĂšque des Champs-Plaisants ou Ă  la mĂ©diathĂšque Jean-Christophe Rufin. Mardi 26 juillet prĂšs du City Stade – quartier des Chaillots Mardi 02 aoĂ»t parc prĂšs de l’école Paul Bert – quartier des Champs Plaisants Mardi 09 aoĂ»t Moulin Ă  Tan Mardi 16 aoĂ»t parc – quartier Sainte BĂ©ate Mardi 23[...]Concert SezvennMeursault 21190Du /00/1e16 au //099Concert Sezvenn – tout public Ă  partir de 3 ans ! Le quatuor Sezvenn est un groupe de musique du monde orientĂ© vers le rĂ©pertoire irlandais mais qui s’aventure en toute libertĂ© vers d’autres univers
 Gravissant les collines Ă©meraudes, les musiciens regardent au loin pour percevoir et recueillir des rĂ©sonances perpĂ©tuelles, et ardentes, des rythmes spasmodiques, des litanies ancestrales portĂ©es par la brise chantante des esprits nomades irlandais
 La musique surgit de notes virtuoses et d’harmonies cadencĂ©es
 Y’a plus qu’à danser ! NĂ© de la rencontre entre Christopher Frontier, accordĂ©oniste renommĂ© et Patryk Lory, guitariste chanteur passionnĂ© de musique irlandaise, le duo s’est enrichi de la collaboration de Fanny Sauvin et Pierre Olivier Fernandez, violonistes rĂ©putĂ©s. Les quatre musiciens construisent un nouveau rĂ©pertoire festif, vivant, empreint de culture tzigane autour de l’histoire des Tinkers», oĂč les sonoritĂ©s stylĂ©es de la musique irlandaise se mĂȘleraient aux accents prononcĂ©s des musiques de l’Est avec leurs consonances manouches. Entre puissante rythmique, danses exaltĂ©es et balades mĂ©lancoliques, le groupe promet un voyage des montagnes des Balkans[...]INCANDESCENCE ThéùtreMIRAMAS 13140Du //000 au //099MADANI COMPAGNIE Texte et mise en scĂšne Ahmed Madani Assistant Ă  la mise en scĂšne Issam Rachyq-Ahrad CrĂ©ation vidĂ©o Nicolas Clauss CrĂ©ation sonore Christophe SĂ©chet CrĂ©ation lumiĂšre et rĂ©gie gĂ©nĂ©rale Damien Klein Costumes Ahmed Madani et Pascale BarrĂ© Avec Aboubacar Camara, Ibrahima Diop, Virgil Leclaire, Marie Ntotcho, Julie Plaisir, Philippe Quy, Merbouha Rahmani, Jordan Rezgui et Izabela Zak CREATION AprĂšs Illuminations et Flammes, Ahmed Madani créée Incandescences, le portrait d'une jeunesse bouillonnante. Dans ce dernier chapitre de sa trilogie Face Ă  leur destin, il met en scĂšne des jeunes femmes et des jeunes hommes non professionnels, rĂ©sidant dans des quartiers populaires, nĂ©s de parents ayant vĂ©cu l'exil, qui partagent la singularitĂ© extraor- dinaire de leurs vies ordinaires. Dans le sillage de ses spectacles prĂ©cĂ©dents, le théùtre d'Ahmed Madani fait entendre la voix d'une jeunesse trop souvent dans l'ombre et leurs histoires passĂ©es sous silence. Sans masque ni pudeur, des jeunes gens Ă©voquent leur premier baiser, leurs premiers Ă©mois, leur premier je t'aime ». Un rĂ©cit universel, jouĂ©, dansĂ© et chantĂ©, dans cette forme poĂ©tique inĂ©dite oĂč fiction[...]Nuit d'Ă©tĂ© symphoniqueBussy-le-Grand 21150Du /00/1e16 au //099Orchestre Dijon Bourgogne - Soprano Sarah Aristidou - Direction musicale Christoph Koncz / Mozart Symphonie n°35 en rĂ© majeur, K. 385 Haffner » & airs d'opĂ©ras et de concerts -Beethoven Symphonie n°2 en rĂ© majeur, op. 36. Solennelle et majestueuse, s’amusant des contrastes entre Ă©lĂ©gance tranquille et vive agitation, la symphonie n°35 porte le nom du bourgmestre Sigmund Haffner qui en passa commande Ă  Mozart Ă  l’occasion de son anoblissement en 1782. L’énergie qu’elle porte d’un bout Ă  l’autre de ses quatre mouvements laisse Ă  peine le temps au public de s’installer dans une Ă©coute qu’il est dĂ©jĂ  emportĂ© ailleurs. Majestueuse et fougueuse, la 2Ăšme symphonie de Beethoven l’est aussi, nous emportant dans un flot Ă©tourdissant de notes. On se laisse charmer par des mĂ©lodies semblant flotter au-dessus de l’orchestre, mais ce dernier, impĂ©tueux, explose et nous entraĂźne irrĂ©sistiblement Ă  sa suite dans un rythme effrĂ©nĂ© et bouillonnant. Majestueux, enfin, sera le cadre de ces concerts le chĂąteau du tumultueux comte Roger de Bussy-Rabutin, courtisan en disgrĂące du roi Louis XIV et qui fĂ»t exilĂ© en Bourgogne pour avoir dĂ©voilĂ© les galanteries des grands de son temps.[...]Spectacle sur grand Ă©cran Daniel Guichard en concert ConcertPernes 62550Du 00/00/-100 au 99/99/-199AccompagnĂ© de douze musiciens, Daniel Guichard reprends sur scĂšne ses plus grands titres Mon vieux, La tendresse, Le gitan, Je viens pas te parler d’amour
, et nous fais dĂ©couvrir ses nouveaux titres Dans le coeur, A coups de poings, Mes silences, Combien de fois
. Son accent de titi Parisien et son franc-parler assortis d’une pointe d’humour le placent parmi les chanteurs les plus populaires de sa gĂ©nĂ©ration. TrĂšs jeune, Daniel Guichard ressent le besoin de chanter sa vie. AprĂšs avoir travaillĂ© aux Halles, il dĂ©croche un emploi de disquaire chez Barclay, et se produit le soir dans les cabarets parisiens. Il donne de la voix de “parigot”, chez Patachou, Ă  l’Alcazar ou encore au Bouchon oĂč il interprĂšte les chansons d’Aristide Bruand. En 1966, il rejoint la maison Barclay mais cette fois en qualitĂ© d’artiste. Six ans plus tard, il connaĂźt ses premiers succĂšs avec “La tendresse”. Daniel Guichard collabore alors, avec les plus grands, notamment avec Jean Ferrat et Michel Senlis qui lui Ă©crivent “Mon vieux”, un hommage Ă  son pĂšre qui meurt alors qu’il n’a que 15 ans. Christophe lui offre la musique d’un autre grand “classique”, “Faut pas pleurer comme ça”. Daniel Guichard[...]Colmar Jazz Festival Concert par Christophe Imbs "ForYourOwnGood!" feat Julien Lourau Manifestation culturelleColmar 68000Le 15/09/2022Le trio “ForYourOwnGood!” du pianiste Christophe Imbs revient avec un nouveau rĂ©pertoire et un nouveau disque Ă  paraĂźtre en 2022. Ce groupe de musiciens engagĂ©s et trĂšs crĂ©atifs est Ă©quipĂ© d’instruments acoustiques branchĂ©s Ă  des effets Ă©lectriques et Ă©lectroniques en tous genres, et dĂ©veloppe son projet autour d’un son qui se joue des frontiĂšres des diffĂ©rents styles musicaux. Julien Lourau et son saxophone tĂ©nor rejoignent le trio pour ce concert d’exception. Christophe Imbs piano, effets, compositions Julien Lourau saxophone tĂ©nor, effets Joan Eche-Puig contrebasse Anne Paceo batterieColmar Jazz Festival Concert par Christophe Imbs "ForYourOwnGood!" feat Julien Lourau Musique, Concert, Jazz - BluesColmar 68000Le 15/09/2022Le trio “ForYourOwnGood!” du pianiste Christophe Imbs revient avec un nouveau rĂ©pertoire et un nouveau disque Ă  paraĂźtre en 2022. Ce groupe de musiciens engagĂ©s et trĂšs crĂ©atifs est Ă©quipĂ© d’instruments acoustiques branchĂ©s Ă  des effets Ă©lectriques et Ă©lectroniques en tous genres, et dĂ©veloppe son projet autour d’un son qui se joue des frontiĂšres des diffĂ©rents styles musicaux. Julien Lourau et son saxophone tĂ©nor rejoignent le trio pour ce concert d’exception. Christophe Imbs piano, effets, compositions Julien Lourau saxophone tĂ©nor, effets Joan Eche-Puig contrebasse Anne Paceo batterieESTIVALES DE RUSSOL - HUM Musique, Jazz - Blues, Vin - OenologieLaure-Minervois 11800Le 01/09/2022Musique world d'Aqui au programme de ce dernier rendez-vous des Estivales de Russol, avec HUM. BenoĂźt et Nathalie Gardey De Soos, les propriĂ©taires des lieux, ainsi que leur fils Guillaume, ont ainsi concoctĂ© un programme musical pour dix soirĂ©es estivales, jusqu'au 1er septembre, avec duos, trios et quintettes de jazz, chansons et musiques du monde. Pour complĂ©ter l'ambiance, des food-trucks des alentours de Carcassonne, quelques bons vins de 10 vignerons lauranais, Ă  tour de rĂŽle et beaucoup de bonne humeur vous attendent au Domaine Russol ! RĂ©servation indispensable, par SMS, jusqu'au mardi prĂ©cĂ©dant la soirĂ©e. Parking d'une capacitĂ© de 150 voitures, Ă©clairĂ© la nuit. World d’Aqui HUMAN UNIVERSAL MUSIC est devenu depuis 1995, date de sa crĂ©ation, une valeur sĂ»re dans l’univers des groupes de reprises Soul, Funk, Pop et Rock. Ils ont notamment jouĂ© en deuxiĂšme partie de George Benson, Seal et Craig David. Distribution AimĂ© Brees Clarinette basse, chant Vincent Crepin Guitare, bouzouki Christophe Montet PercussionsCinĂ©ma Arudy Les vieux fourneaux 2 Manifestation culturelle, CinĂ©ma, Manifestation culturelleArudy 64260Le 02/09/2022ComĂ©die RĂ©alisĂ© par Christophe Duthuron Avec Pierre Richard, Eddy Mitchell, Bernard Le Coq, Alice Pol, Myriam Boyer Pour venir en aide Ă  des migrants qu'il cachait Ă  Paris, Pierrot les conduit dans le Sud-Ouest chez Antoine qui lui-mĂȘme accueille dĂ©jĂ  Mimile, en pleine reconquĂȘte amoureuse de Berthe. S'attendant Ă  trouver Ă  la campagne calme et voluptĂ©, les six rĂ©fugiĂ©s goĂ»teront surtout Ă  la lĂ©gendaire hospitalitĂ© d'un village français. L'occasion rĂȘvĂ©e de secouer les peurs et les prĂ©jugĂ©s pour Sophie et nos trois Vieux Fourneaux, promus consultants inattendus d'une campagne Ă©lectorale que Larquebuse, le maire de Montcoeur n'est pas prĂšs d' Arudy Les vieux fourneaux 2 CinĂ©maArudy 64260Le 02/09/2022ComĂ©die RĂ©alisĂ© par Christophe Duthuron Avec Pierre Richard, Eddy Mitchell, Bernard Le Coq, Alice Pol, Myriam Boyer Pour venir en aide Ă  des migrants qu'il cachait Ă  Paris, Pierrot les conduit dans le Sud-Ouest chez Antoine qui lui-mĂȘme accueille dĂ©jĂ  Mimile, en pleine reconquĂȘte amoureuse de Berthe. S'attendant Ă  trouver Ă  la campagne calme et voluptĂ©, les six rĂ©fugiĂ©s goĂ»teront surtout Ă  la lĂ©gendaire hospitalitĂ© d'un village français. L'occasion rĂȘvĂ©e de secouer les peurs et les prĂ©jugĂ©s pour Sophie et nos trois Vieux Fourneaux, promus consultants inattendus d'une campagne Ă©lectorale que Larquebuse, le maire de Montcoeur n'est pas prĂšs d' Laruns Les vieux fourneaux 2 bons pour l'asile Manifestation culturelle, CinĂ©ma, Manifestation culturelleLaruns 64440Le 02/09/2022ComĂ©die De Christophe Duthuron Par Wilfrid Lupano Pour venir en aide Ă  des migrants qu’il cachait Ă  Paris, Pierrot les conduit dans le Sud- Ouest chez Antoine qui lui-mĂȘme accueille dĂ©jĂ  Mimile, en pleine reconquĂȘte amoureuse de Berthe. S’attendant Ă  trouver Ă  la campagne calme et voluptĂ©, les six rĂ©fugiĂ©s gouteront surtout Ă  la lĂ©gendaire hospitalitĂ© d’un village français. L’occasion rĂȘvĂ©e de secouer les peurs et les prĂ©jugĂ©s pour Sophie et nos trois Vieux Fourneaux, promus consultants inattendus d'une campagne Ă©lectorale que Larquebuse, le maire de Montcoeur n’est pas prĂȘt d’ dansant Ă  la salle de Montplaisir Danse - Bal - CabaretSaint-Christophe-sur-Roc - 79 Du 07/07/2019 Ă  1430 au //099ThĂ© dansant animĂ© par l'orchestre d'Alexis HervĂ©, dans une salle climatisĂ©e. Vous danserez toutes les danses que vous aimez. Sortie nature A la rencontre des oiseaux en bateaux au Bec d'AllierMarzy 58180Du 07/05/2022 au 31/08/2022Descente de la Loire en bateau traditionnel. ArrĂȘt sur les Ăźles afin d’observer Ă  l’aide de lunettes d’observations les oiseaux caractĂ©ristiques des Ăźles de Loire gravelots, sternes, guĂȘpiers, aigrettes. ApĂ©ritif Ă  bord du bateau DurĂ©e 3h. De 9h30 Ă  13h. Places limitĂ©es Ă  7 personnes par sortie. Votre guide Christophe PAGE, guide naturaliste professionnel. Tenue prĂ©voir une tenue pour mettre les pieds dans l’eau. MatĂ©riel d'observation haut de gamme Swarovski mis Ă  disposition. Les rendez vous Juin 4, 5, 11, 12, 18, 19, 25 et 26 Juillet 2, 3, 6, 9, 10, 13, 16, 17, 20, 23, 24, 27, 30 et 31 AoĂ»t 3, 6, 7, 10, 13, 14, 17, 20, 21, 24, 27, 28 et 31 D'autres dates possibles Ă  la nature En bateau Ă  la rencontre des castorsMarzy 58180Du 06/05/2022 au 31/08/2022En bateau Ă  la rencontre du castor descente de la Loire en bateau traditionnel au grĂ© des courants. ArrĂȘt sur une Ăźle, afin de nous rapprocher des zones d’observation des castors Ă  l’aide de nos lunettes d’observation, dĂ©couverte de son chantier et commentaire sur la vie de l’animal. Apporter son pique-nique. ApĂ©ritif Ă  la lanterne au bord de l’eau. DurĂ©e 3h de 19h Ă  22h. Places limitĂ©es Ă  7 personnes par sortie. Votre guide Christophe PAGE guide naturaliste professionnel. Tenue prĂ©voir une tenue pour aller dans l'eau Les rendez vous Juin 3, 4, 10, 11, 17, 18, 24 et 25 Juillet 1er, 2, 6, 8, 9, 13, 15, 16, 20, 22, 23, 27, 29 et 30 AoĂ»t 3, 5, 6, 10, 12, 13, 17, 19, 20, 24, 26, 27 et 31 D'autres dates sur commentĂ©e de vins de la vallĂ©e du RhĂŽne mĂ©ridionale baladez curieux Vin - Oenologie, Repas - DĂ©gustationBuis-les-Baronnies 26170Du 01/07/2022 au 31/08/2022Au Hameau de la Savouillane, on vous dit tout sur les vins de la VallĂ©e du RhĂŽne mĂ©ridionale. Christophe PoirĂ©, diplĂŽmĂ© de l’Institut universitaire de la Vigne et du Vin de Dijon, vous propose ses sĂ©ances de dĂ©gustations nature A la rencontre des oiseaux en bateaux au Bec d'Allier Nature - Environnement, AnimauxMarzy 58180Du 07/05/2022 au 31/08/2022Descente de la Loire en bateau traditionnel. ArrĂȘt sur les Ăźles afin d’observer Ă  l’aide de lunettes d’observations les oiseaux caractĂ©ristiques des Ăźles de Loire gravelots, sternes, guĂȘpiers, aigrettes. ApĂ©ritif Ă  bord du bateau DurĂ©e 3h. De 9h30 Ă  13h. Places limitĂ©es Ă  7 personnes par sortie. Votre guide Christophe PAGE, guide naturaliste professionnel. Tenue prĂ©voir une tenue pour mettre les pieds dans l’eau. MatĂ©riel d'observation haut de gamme Swarovski mis Ă  disposition. Les rendez vous Juin 4, 5, 11, 12, 18, 19, 25 et 26 Juillet 2, 3, 6, 9, 10, 13, 16, 17, 20, 23, 24, 27, 30 et 31 AoĂ»t 3, 6, 7, 10, 13, 14, 17, 20, 21, 24, 27, 28 et 31 D'autres dates possibles Ă  la nature En bateau Ă  la rencontre des castors Nature - EnvironnementMarzy 58180Du 06/05/2022 au 31/08/2022En bateau Ă  la rencontre du castor descente de la Loire en bateau traditionnel au grĂ© des courants. ArrĂȘt sur une Ăźle, afin de nous rapprocher des zones d’observation des castors Ă  l’aide de nos lunettes d’observation, dĂ©couverte de son chantier et commentaire sur la vie de l’animal. Apporter son pique-nique. ApĂ©ritif Ă  la lanterne au bord de l’eau. DurĂ©e 3h de 19h Ă  22h. Places limitĂ©es Ă  7 personnes par sortie. Votre guide Christophe PAGE guide naturaliste professionnel. Tenue prĂ©voir une tenue pour aller dans l'eau Les rendez vous Juin 3, 4, 10, 11, 17, 18, 24 et 25 Juillet 1er, 2, 6, 8, 9, 13, 15, 16, 20, 22, 23, 27, 29 et 30 AoĂ»t 3, 5, 6, 10, 12, 13, 17, 19, 20, 24, 26, 27 et 31 D'autres dates sur de la pierre des sculpteurs exposentFontaines 71150Du 01/07/2022 au 31/08/2022-Vingt Ɠuvres de tailleurs de pierre de SaĂŽne-et-Loire- Les arts de la pierre ont fait, parmi d’autres, le renom de la Bourgogne. La SaĂŽne-et-Loire a fourni elle aussi son contingent d’artistes Cluny, Tournus, Autun, Chalon
en tĂ©moignent. Au travers des Ɠuvres prĂ©sentĂ©es, cette exposition renoue avec un passĂ© glorieux celui des bĂątisseurs et des artisans de la pierre en Bourgogne du sud, du Moyen-Ăąge Ă  nos jours. Les artistes exposants sont du Clunysois Florence JARRIGE ; du MĂąconnais LoĂŻc GANDREY ; du Chalonnais Jean-Claude BOUTHEILLY, Christophe TOPOROWSKI ; et de la Bresse tournusienne Didier RIDET.Les MusĂ©oFab d'Ă©tĂ©ï„‹Alise-Sainte-Reine 21150Du 14/07/2022 au 31/08/2022Le MusĂ©oFab prend ses quartiers d’étĂ© et s’installe sur le site gallo-romain. C’est l’occasion de s’initier en famille aux techniques artisanales antiques. >> L’animation est annulĂ©e ou a lieu au musĂ©e en cas d’intempĂ©ries. Inclus dans le billet d’entrĂ©e De 14 h Ă  18 h 30 >> Aux vestiges de la ville gallo-romaine - MĂ©tallurgie du bronze avec ArkĂ©oFabrik. Du jeudi 14 au dimanche 17 juillet. - Teinture et tissage avec l’atelier de Sagillia. Du lundi 18 au dimanche 24 juillet. - CĂ©ramique avec l’atelier Figvlina – Fiona Moro. Du lundi 25 au dimanche 31 juillet. - Facture instrumentale avec Christophe Pizy. Du lundi 1er au dimanche 7 aoĂ»t. - CĂ©ramique sigillĂ©e avec Ars Fictilis. Du lundi 8 au dimanche 14 aoĂ»t. - MĂ©tallurgie du bronze avec Ucuetis. Du lundi 15 au dimanche 21 de la pierre des sculpteurs exposent Exposition, Sculpture, ArtisanatFontaines 71150Du 01/07/2022 au 31/08/2022-Vingt Ɠuvres de tailleurs de pierre de SaĂŽne-et-Loire- Les arts de la pierre ont fait, parmi d’autres, le renom de la Bourgogne. La SaĂŽne-et-Loire a fourni elle aussi son contingent d’artistes Cluny, Tournus, Autun, Chalon
en tĂ©moignent. Au travers des Ɠuvres prĂ©sentĂ©es, cette exposition renoue avec un passĂ© glorieux celui des bĂątisseurs et des artisans de la pierre en Bourgogne du sud, du Moyen-Ăąge Ă  nos jours. Les artistes exposants sont du Clunysois Florence JARRIGE ; du MĂąconnais LoĂŻc GANDREY ; du Chalonnais Jean-Claude BOUTHEILLY, Christophe TOPOROWSKI ; et de la Bresse tournusienne Didier RIDET."Lectures" par Jean-Christophe cochard Lecture - Conte - PoĂ©sieSenonches 28250Le 10/09/2022Le comĂ©dien Jean-Christophe Cochard fera lecture de plusieurs textes littĂ©raires liĂ©s au monde rural, comme les Ă©crits de Pierre Michon mais aussi d’autres auteurs comme par exemple Marie-HĂ©lĂšne Lafon, Serge Joncour
 La sĂ©lection sera dĂ©cidĂ©e par le comĂ©dien en fonction de l’humeur du moment et du public ! La lecture se prolongera par un temps d’échange avec le MusĂ©oFab d'Ă©tĂ© Atelier, CĂ©ramique, Patrimoine - CultureAlise-Sainte-Reine 21150Du 14/07/2022 au 31/08/2022Le MusĂ©oFab prend ses quartiers d’étĂ© et s’installe sur le site gallo-romain. C’est l’occasion de s’initier en famille aux techniques artisanales antiques. >> L’animation est annulĂ©e ou a lieu au musĂ©e en cas d’intempĂ©ries. Inclus dans le billet d’entrĂ©e De 14 h Ă  18 h 30 >> Aux vestiges de la ville gallo-romaine - MĂ©tallurgie du bronze avec ArkĂ©oFabrik. Du jeudi 14 au dimanche 17 juillet. - Teinture et tissage avec l’atelier de Sagillia. Du lundi 18 au dimanche 24 juillet. - CĂ©ramique avec l’atelier Figvlina – Fiona Moro. Du lundi 25 au dimanche 31 juillet. - Facture instrumentale avec Christophe Pizy. Du lundi 1er au dimanche 7 aoĂ»t. - CĂ©ramique sigillĂ©e avec Ars Fictilis. Du lundi 8 au dimanche 14 aoĂ»t. - MĂ©tallurgie du bronze avec Ucuetis. Du lundi 15 au dimanche 21 SĂ©niors "Les Vieux Fourneaux 2" Manifestation culturelle, CinĂ©ma, Manifestation culturelleSaint-Vincent-de-Tyrosse 40230Le 02/09/2022CinĂ© SĂ©niors, c’est une sĂ©ance le premier vendredi du mois, ouverte Ă  tous, avec un tarif spĂ©cial de 4€ pour les plus de 60 ans. Profitez-en ! Synopsis Les Vieux Fourneaux 2 / ComĂ©die / 1h38 / De Christophe Duthuron Pierrot, Mimile et Antoine, trois amis d’enfance de 70 balais, ont bien compris que vieillir Ă©tait le seul moyen connu de ne pas mourir et ils sont bien dĂ©terminĂ©s Ă  le faire avec style ! Leurs retrouvailles Ă  l’occasion des obsĂšques de Lucette, la femme d’Antoine, sont de courte durĂ©e 
 Antoine tombe par hasard sur une lettre qui lui fait perdre la tĂȘte. Sans fournir aucune explication Ă  ses amis, il part sur les chapeaux de roue depuis leur Tarn natal vers la Toscane. Pierrot, Mimile et Sophie, la petite fille d’Antoine enceinte jusqu’aux dents, se lancent alors Ă  sa poursuite pour l’empĂȘcher de commettre un crime passionnel
 50 ans plus tard !JournĂ©es du Patrimoine Visites guidĂ©es de l'Ă©glise Saint-Christophe et son cimetiĂšre Culte et religion, Nature - EnvironnementBenerville-sur-Mer 14910Le 18/09/2022L’association pour la PrĂ©servation du Patrimoine de BĂ©nerville-sur-Mer ouvre les portes de l’église Saint-Christophe. Des visites guidĂ©es sur l’édifice sont proposĂ©es tout au long de la journĂ©e. SituĂ©e face Ă  la mer, Ă  proximitĂ© de la route cĂŽtiĂšre entre le Mont-Canisy et les rochers de BĂ©nerville, Saint-Christophe est l'une des plus anciennes Ă©glises de la rĂ©gion. Elle prĂ©sente Ă  l'extĂ©rieur prĂšs de l'entrĂ©e une pierre tombale portant la croix des Templiers et des restes d'appareillages de pierres disposĂ©es en "arĂȘtes de poisson".PARCOURS ET PIQUE-NIQUE DANS LES VIGNES DOMAINE DES GALLOIRES Vin - Oenologie, Balades, Repas - DĂ©gustationOrĂ©e d'Anjou 49270Du 23/08/2022 au 31/08/2022Munis d'un livret dĂ©livrĂ© Ă  l'accueil du Domaine des Galloires, arpentez un parcours de 3km au sein des parcelles du domaine et dĂ©couvrez son environnement Ă  travers son histoire et sa topographie. Pour finir sur une note gourmande, profitez de votre retour de balade pour passer dĂ©guster les vins du domaine et dĂ©couvrir les pĂ©pites Ă©laborĂ©es par le vigneron. Lors de la rĂ©servation de votre balade, vous pouvez Ă©galement rĂ©server votre pique-nique gastronomique ! Christophe Crand, chef cuisinier Ă  Champtoceaux vous concocte un panier garni avec de bons produits locaux. Des tables installĂ©es au cƓur des vignes vous permettront de profiter pleinement de cette expĂ©rience gourmande. La balade est gratuite, sur rĂ©servation. le pique-nique est lui payant et sur rĂ©servation Environ 3km - 1h30 attention circuit en coteaux avec des pentes Des chaussures de marche sont recommandĂ©es. Interdits aux chiens Non adaptĂ© aux poussettesFESTIVAL LES FRANCOPHONIDES Spectacle musicalPIERRE BENITE 69310Du 09/09/2022 Ă  1930 au 10/09/2022 Ă  1930AprĂšs une 10° Ă©dition rĂ©ussit et pleine d'espoir pour une premiĂšre fois dans ce trĂšs beau Parc Jean de La Fontaine, Les Francophonides lancent leur 11° Ă©dition 2022 avec BENABAR et CHRISTOPHE MAE les 9 & 10 septembre prochain !.... Pour ses 15 ans de carriĂšre Christophe MaĂ© a dĂ©cidĂ© de cĂ©lĂ©brer avec son public la sortie de son premier album Mon Paradis, lors d'une tournĂ©e de quelques dates exclusives !....et c'est Ă  Pierre-BĂ©nite. Infos Pratiques Billetterie < catĂ©gorie1=Tribune assis / catĂ©gorie 2=Fosse debout Tarifs rĂ©duits < un justificatif sera demandĂ© Ă  l'entrĂ©e ! Restauration rapide & buvette sur place AccĂšs PMRExposition de Christophe Valdivieso Manifestation culturelle, Peinture, ExpositionLe Temple-sur-Lot 47110Du 05/09/2022 au 17/09/2022Retrouvez les peintures Ă  l'huile de Christophe Valdivieso, Ă  la salle d'exposition de l'Office de Tourisme Lot-et-Tolzac. Exposition visible aux heures d'ouverture de l'Office de Tourisme le lundi de 13h Ă  17h, du mardi au vendredi de 10h Ă  17h et la samedi de 10h Ă  13h.

Desdisques dĂ©maquillants imbibĂ©s de lait. Passez les disques au rĂ©frigĂ©rateur puis dĂ©posez-les sur chaque cerne/poche pendant 15 minutes environ et rincez Ă  l’eau froide. Des disques dĂ©maquillants imbibĂ©s d’eau florale de bleuet. Passez-les au rĂ©frigĂ©rateur et dĂ©posez-les environ 15 minutes sur vos cernes/poches.
UnproblÚme digestif peut donner de l'acné, j'en avais parlé ici. Pourtant, il n'est pas toujours simple de distinguer une acné d'origine digestive. Voici 7 signes qui vont cependant m'y faire penser. Si la personne combine deux de ces signes, je sais que je suis sur la bonne piste ! 1. Des problÚmes digestifs OK,
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